Il y a deux ans, elle déboulait avec une choucroute blonde sur la tête, des tuniques à paillettes et un imparable tube disco en guise d’invitation, “Pourquoi pourquoi”. Depuis, elle ne cesse de courir la France et ses régions qui ont du talent !

Quand je retrouve Corine sur le shooting qui a lieu en pleine canicule de juin, elle est exemplaire en combi rose, tignasse blonde frisée et méduses Louboutin. Le temps de coiffer des lunettes de soleil gigantesques et nous trouvons refuge dans le havre de fraîcheur de la cour du restaurant Bambou, où la discussion file à bâtons rompus autour d’un thé glacé.

Mixte. D’où est venue Corine avec son premier EP, Fille de ta région ? 

Corine. D’abord, il y a ce côté transgressif que j’aime, avec l’érotisme très 80’s des 3615 ULLA, même si je n’ai pas connu le Minitel. Et puis, il y a l’appel à toutes les filles de nos régions. Je viens de la campagne, de Rognes (au sud du Lubéron, ndlr) – J’aime bien dire que je suis une “rognasse !”, un village qui compte 3 000 habitants, où j’ai observé depuis toute petite ces femmes, qui s’occupaient de moi à l’école, par exemple, des taties, qui s’appelaient parfois Corine, toujours manucurées, coiffées. Quand j’ai commencé à écrire, je voulais leur rendre hommage, leur dire : “Sentez-vous bien, libres, et n’ayez pas peur d’avoir envie de paillettes, même loin de Paris.” On a toutes ça en nous.

M. On a aussi dit que Corine était le nom de code de la cocaïne… 

C. Oui, dans les années 80. Je crois qu’il y en avait aussi un pour l’héroïne. C’est Thierry Ardisson qui m’a donné les noms de code de toutes les drogues, mais je ne m’en souviens plus. Je n’en ai jamais pris de ma vie, mais c’est encore le petit côté transgressif que j’aime bien. Il y a plein de sous-textes à ce prénom. Malheureusement, pour plein de gens, il est aussi un peu désuet, voire péjoratif. J’aimais bien l’idée de lui redonner quelque chose de glam, de sexy, en lien en même temps avec les régions.

M. D’ailleurs, le morceau “Corine” recouvre mille sens… 

C. Complètement. C’est la seule reprise que j’aie enregistrée. C’est un morceau d’AS Dragon, un groupe que j’admirais, très punk, avec Natacha Le Jeune. Une façon de montrer qu’on peut raconter un texte de plusieurs façons. Moi, quand je l’interprète, je suis dans une confession intime sur mon double, sur quelque chose de très poétique, alors que Natacha Le Jeune a écrit ce texte sur la dépendance à la cocaïne.

M. Tu finis la chanson “René, Maurice et tous les autres” par un “Salut les salauds”, comme le titre de la chanson du groupe français Interview en 1982. C’est une époque musicale qui t’influence ? 

C. Oui évidemment, tout comme Bibi Flash, Élegance… De même que le cinéma, quand la mélodie des mots était différente. Il y avait un côté faussement ingénu très joli chez les femmes. On retrouve ça dès la Nouvelle Vague, chez Truffaut, Godard, et ce que ça raconte de leur forte féminité est magnifique. Même si on peut croire que ce que je chante est banal, ça en dit long sur la position de la femme, sur la manière de s’assumer. “René, Maurice et tous les autres” est une chanson très cinématographique dans laquelle je raconte la perte de mon amoureux, qui part chercher des chocolatines le matin et que je finis par aller récupérer dans un club de rencontres le soir. Et “Marche Nocturne” parle d’une fille perdue dans la nuit, comme on en trouve souvent dans les clubs, esseulées, très belles et mélancoliques.

M. Nostalgique de l’époque pailletée ? 

C. Pas du tout. Je trouve qu’on vit une époque très créative. Et puis, je n’ai pas l’impression que cette période à paillettes soit morte à un moment. Elle a toujours gardé son influence. On a vu Daft Punk réhabiliter la guitare très funky avec Nile Rodgers sur Random Access Memories en 2013 et Philippe Katerine faire un album assez disco en 2014, Magnum. Et c’est pareil dans la mode. C’est fou, quand j’ai sorti “Pourquoi pourquoi”, c’est tombé pile au moment où le disco revenait en force. Un véritable alignement des étoiles ! Ce n’était pas calculé, ça fait partie de moi, de ma façon de m’habiller tous les jours, en combi, dans des fringues à la fois sexy et pratiques. Et puis, j’ai fait plein d’autres choses avant, du cabaret, du théâtre, du cirque, et j’avais envie de mettre de l’humour, comme Katerine sait le faire, mais je ne voyais aucune femme aller dans ce registre-là, écrire une chanson de trois minutes sur une banane. L’humour est une arme imparable. Quand je suis sur scène, il arrive qu’un mec hurle : “À poil !” À chaque fois, j’arrête, je demande qu’on braque le projecteur sur lui, et je lui dis : “Ah, tu veux te mettre nu ? Vas-y, on te regarde !” En général, il devient écarlate. L’humour est aussi un acte féministe, qui permet de se battre pour des causes avec le sourire.

M. Tu pensais aller si loin avec Corine, rencontrer ton public comme ça ? 

C. Quand j’ai commencé, je ne m’attendais à rien. D’ailleurs, je me dis que c’est encore le début et que rien n’est acquis. L’Olympia approche et j’ai déjà des insomnies. Parce que pour moi, la scène, c’est sacré. C’est ma seule exigence, m’impliquer à fond dans mon travail.

M. Avant, tu portais une perruque et maintenant ce sont tes cheveux. Es-tu devenue Corine ? 

C. Aujourd’hui, je suis blonde, même si je ne pensais pas faire de teinture au départ. Par contre, je continue à mettre ma choucroute peroxydée sur scène, parce que c’est l’identité du projet et que je me sens bien comme ça. À mon sens, le cheveu c’est comme le vêtement, un apparat. Sur scène, je suis dans un personnage, je parle comme dans mes chansons. C’est pareil pour Matthieu Chedid qui est -M-. D’ailleurs, c’est avec son créateur, Gérald Portenart, qui fait aussi beaucoup de cinéma, qu’on a travaillé sur l’esthétique et la perruque. Je suis comme une circassienne qui met son costume, une expressionniste.

M. Tu en joues beaucoup en concert, tu as rencontré les “filles de nos régions” ? 

C. Bien sûr ! Et des garçons, des familles, des enfants. Beaucoup de femmes aiment Corine, je pense que ça les inspire dans leur féminité. Venant moi-même de la campagne, j’aime autant être à Solidays ou faire un show pour Chanel que jouer dans de toutes petites salles pour des familles. Et j’ai adoré organiser une grande Fête de la Musique avec l’association BAAM, qui nous a permis de jouer avec des musiciens réfugiés. Je suis aussi à l’aise là que dans le milieu de la mode.

M. Justement, le milieu de la mode a plutôt bien accueilli Corine, à commencer par Jean-Charles de Castelbajac ? 

C. En effet, c’était lors de ma première télé. “Pourquoi pourquoi” venait de sortir et Antoine de Caunes m’a invitée avec Jean-Charles de Castelbajac. Comme c’est un homme très bienveillant et drôle, il m’a beaucoup détendue. Puis, il y a eu Lancel qui a été la première marque à me demander de faire un show. Et Sonia Rykiel, Chanel, Hermès… Je ne m’y attendais pas du tout ! J’ai accepté parce que ce sont de grandes maisons qui ont un savoir-faire quasi ancestral, celui des petites mains qu’on oublie souvent. J’ai pu visiter les ateliers Chanel et Hermès, incroyables de minutie, de soin. C’est un honneur, même si j’adorerais que Chanel aille plus sur l’éthique, le packaging bio… À côté, je travaille depuis le début avec de jeunes créateurs et créatrices qui font tout eux-mêmes avec des produits d’ici. Ça me touche. Tout ce que je porte aujourd’hui, par exemple, est issu de créatrices parisiennes : cette merveilleuse combinaison c’est Gang de Garçonnes, l’association de Gang de Filles et des Garçonnes, mes bijoux viennent de La Môme Bijou. Les chaussures, c’est Christian Louboutin, une super maison aussi qui reste audacieuse, en lien avec les artistes. J’adore également les chausseurs Carel ou Philippe Zorzetto. Et dans les créatrices Shourouk ou Yazbukey.

M. Verra-t-on Corine longtemps ? 

C. Difficile à dire. L’important c’est de se réinventer. Je suis déjà en train de travailler à mon deuxième album alors que je n’ai pas idée de quand il sortira. J’ai conscience que ça peut s’arrêter du jour au lendemain, mais j’aimerais durer, je ne me vois pas faire autre chose. J’admire les carrières de -M-, Mylène Farmer ou de Daft Punk, qui arrivent à se réinventer. Je pense que c’est parce qu’ils sont dans le présent.

En concert à L’Olympia le 3 octobre