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Alors qu’elle participe ce weekend à l’édition digitale du festival We Love Green 2020 et qu’elle appelle également à manifester contre le racisme et les violences policières à Bruxelles, Lous & The Yakuza a montré depuis quelques mois sa capacité à rebattre les cartes de la scène R&B et Hip-Hop francophone. À cette occasion, Mixte magazine publie l’intégralité de l’interview fleuve qu’elle nous a accordée dans les pages de Disobedience, notre dernier numéro printemps-été 2020.

L’enfance de Marie-Pierra Kakoma a oscillé entre Europe et Belgique. Née au Congo, elle rejoint à 5 ans sa mère rwandaise et sa petite sœur exilées politiques en Belgique. Lorsqu’elle a 9 ans, sa famille se réunit au Rwanda, à peine remis du génocide. La fillette, éveillée, dont les deux parents sont médecins, trouve alors refuge dans le savoir. À 15 ans, Lous et sa sœur retournent seules en Belgique poursuivre leurs études. Là, la musique la happe corps et âme, au point d’abandonner la fac à 18 ans quitte à ce que ses parents lui coupent les vivres. Si tout semble se liguer contre elle (Lous ira jusqu’à dormir quatre mois dans la rue), elle garde son cap contre vents et marées, comme le lui conseille Damso, la star belge du rap. Aujourd’hui dénommée Lous (soul en verlan), armée des fraternités bruxelloises indéfectibles de ceux qu’elle nomme ses Yakuza, forte de plus de 300 concerts et de sept EP précurseurs désormais cachés, elle s’attaque au monde en dévoilant Gore, un premier album à venir cette année, produit par El Guincho, le producteur espagnol qui a transformé le flamenco en or R&B avec Rosalia. Dès son premier single “Dilemme”, dont le clip aux chorégraphies racées entre cités ensoleillées et décors au classicisme majestueux rafle vite plusieurs millions de vues, Lous donne le ton : sens de la mélodie infaillible et sincérité intense, dans un titre aérien où elle scande “Si je pouvais je vivrais seule, loin de mes chaînes et des gens que j’aime”. Car cette solitaire grégaire chante sur Gore ses contradictions, mais aussi ses émotions fortes et ses blessures, jusqu’à l’agression sexuelle. Sur une musique dont les syncopes dépouillent élégamment trap et bass music, Lous illumine de sa voix claire un écrin propre aux confidences et aux pas de danse lascifs. Rencontre avec une magnifique jeune femme au débit mitraillette et aux francs éclats de rire, déterminée à accéder au succès qui lui semble promis.

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Mixte. La soul que Lous épelle à l’envers, c’est la musique ?

Lous. C’est d’abord une référence à la spiritualité. Je suis quelqu’un de très spirituel. Même si c’est aussi par rapport à la musique soul (âme en anglais, nldr), qui a été appelée comme ça parce que c’est ce qu’elle est, spirituelle, et que j’en ai énormément écouté en grandissant.

M. Pourquoi avoir ajouté à ton pseudo le mot Yakuza, terme qui désigne des mafieux japonais ?

L. Yakuza signifie “perdant” en japonais. Avec un peu d’ironie, je fais le parallèle entre les gens qui travaillent avec moi et qu’on qualifie de gangsters en raison de leur physique, parce qu’ils sont noirs, et la mafia. C’est une manière d’associer mon groupe, organisé ici en France et en Belgique, avec le Japon dont je suis passionnée. Les yakuzas sont un peu les scélérats de la société. Lous and the Yakuza, c’est moi et les scélérats, moi et les marges, moi et tous les gens dont la société ne veut pas. Les yakuzas ont par ailleurs une forte conception de la loyauté, tout comme mes amis ainsi que tous les gens avec qui je travaille. C’est important pour moi d’établir des relations de confiance et d’intensité. C’est aussi un choix d’utiliser un nom de groupe comme pseudo, même si je suis soliste, parce que sans mes Yakuza, je ne suis rien du tout. C’est une manière de mettre dans la lumière ceux qui sont dans l’ombre.

M. Comment s’articule la création entre Lous et les Yakuza ?

L. Je suis auteure, compositrice, interprète. J’ai fait tout mon album toute seule. Et sur scène, j’ai deux choristes, un batteur, un claviériste. En studio, je travaille avec trois producteurs : El Guincho, Mems et Ponko. El Guincho est le réalisateur et Ponko (qui fait des prods pour Hamza, Damso ou SCH, ndlr) et Mems (également pour Damso et des artistes internationaux, ndlr) sont producteurs sur certains morceaux. Quels que soient leurs rapports, ce sont deux proches de Bruxelles. Je voulais absolument une touche belge dans mon projet. Ils comprennent la façon dont on parle à Bruxelles, son argot, le respect mutuel très important qu’il y a au sein de cette scène… la Bruxelles vibe ! Mais le projet dans son ensemble est très international. El Guincho est un Espagnol né aux Canaries, Ponko vient d’Europe de l’Est, Mems est un Français originaire du Congo, la réalisatrice Wendy Morgan est chilienne, le chorégraphe Kevin Bago est ivoirien. Avoir réuni autant de cultures et d’énergies différentes sur un même projet est l’une de mes plus grandes fiertés.

M. Entre Paris et Bruxelles, comment l’Espagnol El Guincho s’est-il finalement imposé ?

L. Au début, on m’a proposé de travailler avec des producteurs français. Mais il fallait envoyer un a capella à des gens sans même les rencontrer, pour qu’ils me fassent une prod et que peut-être, inch allah, j’aime bien. Ça n’arrivera jamais de la vie ! Jamais tu n’auras ma propriété intellectuelle entre tes mains pour en faire ce que bon te semble sans ma direction ! Il a fallu que ce soit un producteur international de renom qui ait la simplicité de me dire juste : “J’aime bien, viens à Barcelone”. El Guincho est très influencé par la culture américaine, comme les relations fortes qui ont pu exister entre Dr. Dre et Eminem ou entre Timbaland et Aaliyah. Ce qu’El Guincho et Rosalia ont fait, c’est extraordinaire ! C’est la culture de développer quelque chose. Ça se fait aussi en France, il suffit de voir ce qu’a produit Tristan Salvati pour Angèle ou Louane. Simplement dans mon style, je n’ai pas trouvé quelqu’un qui sache allier chanson française et sonorités trap, africaines, cap-verdiennes. À la base, mon album était un peu indigeste tellement il recelait d’influences. Il fallait quelqu’un qui ait toutes ces notions pour pouvoir matérialiser ça en quelque chose d’unique. Moi je veux avoir mon son. Ce qui m’a toujours éblouie chez Stromae, par exemple, c’est que quand tu l’écoutes, tu sais instantanément que c’est lui. J’espère qu’un jour on dira : “Ça fait un peu Lous, ça, non ?” Le pari, c’est de définir musicalement ce que tu es, ce que tu fais, qui tu es…

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M. Qui de toi ou d’El Guincho a contacté l’autre ?

L. Je suivais Rosalia et j’ai découvert son travail avec El Guincho dès le teaser de Malamente. Immédiatement, je l’ai envoyé à mon éditeur, en lui disant : “C’est avec lui que je veux travailler”. J’ai été étonnée par la rapidité de sa réponse. Parce que quand tu le connais, tu te demandes même s’il a le temps de dormir. On est un peu pareils, lui et moi, on est passionnés, on s’envoie des messages à 2 heures du matin. C’est quelqu’un d’extraordinaire. On y allait pour deux morceaux, on a fini par faire tout l’album. Ça n’a pas pris beaucoup de temps parce que 80 % des compositions et 100 % des textes et mélodies étaient déjà prêts.

M. Comment se déroule ton travail de composition ?

L. J’invente d’abord les textes, puis la mélodie. J’écris toutes mes chansons d’un bloc, très vite. Je pense à plein de sujets en même temps, je suis accro à Wikipedia, aux encyclopédies (j’en demande à chaque anniversaire depuis que je suis toute petite), j’adore m’instruire. Et puis, j’incorpore tout ça dans ma musique. Ça relève à la fois de l’illumination et d’une très longue réflexion. Dès que j’ai le texte, la mélodie sort toute seule et elle me reste en tête. J’enregistre toujours plein de petits mémos dans mon téléphone, mais finalement je ne les écoute jamais, je n’en ai pas besoin. J’ai commencé le piano l’année dernière, avant je jouais un peu de guitare, mais surtout je plaquais des accords à la voix. Sur trois morceaux de l’album, Ponko et El Guincho m’ont envoyé un son, et le texte est venu directement à partir de là. C’est le cas de “Tout est gore”, par exemple.

M. Tu joues aussi beaucoup ta musique en live et acoustique. C’est important pour toi ?

L. Énormément ! Parce que la scène, c’est le moment où on se concentre sur les paroles. En tant qu’auteure, c’est la meilleure partie de ta vie ! J’ai fait récemment de superbes sessions acoustiques dans des pays non francophones, au Danemark, en Italie… L’intention est plus forte que la barrière de la langue. Et puis avec le français, on touche toute l’Afrique.

M. Quel est ton rapport à l’Afrique justement ?

L. C’est la maison ! Même si je me sens bien partout. Le pays de ma maman, le Rwanda, celui de mon papa, le Congo. Au Rwanda, quand je descends de l’avion, je me retrouve chez moi dès que j’ai posé le pied sur le tarmac. Avec des gens qui me ressemblent, il n’y a plus de jugement.

M. Pourtant, quand tu étais adolescente, ça ne te convenait pas ?

L. C’est vrai. Ça me soûlait, parce que l’accès à l’art n’était pas aussi simple qu’en Europe. Même si mon enfance n’a été faite que d’allégresse. C’est mon arrivée au Rwanda, à 9 ans, qui a été compliquée, quand j’ai compris le génocide. Il y avait des enfants amputés dans la rue, c’était horrible. Et comme j’étais une petite fille qui visualisait tout, j’ai fait des cauchemars pendant les quatre années qui ont suivi. Aujourd’hui, le Rwanda a beaucoup évolué, mais à l’époque il n’y avait rien, je n’avais que mon cerveau. Je passais ma vie à écrire, je volais les carnets de ma mère qui est médecin. J’y écrivais des chansons, des règles de jeux auxquels j’obligeais ma sœur à jouer. Ça développe une créativité et une discipline hors du commun. À 12 ans, j’écrivais des livres au rythme de dix pages par jour. J’en faisais un objectif quotidien. J’élaborais aussi des mangas, ça a été important pour moi. Je dessinais toutes les planches. Et chaque soir, je faisais relire l’ensemble depuis le début à ma sœur, qui était trop contente.

M. Par la suite, en Europe, tu as vécu des choses très dures. Comment as-tu fait pour tenir le coup loin de ta famille ?

L.  J’aime beaucoup ma famille, mais je suis une solitaire. Ce n’est pas ça qui m’affectait, parce qu’on a l’habitude d’être séparés par les voyages, les allers-retours. Je me sentais extrêmement seule, pas seulement parce que ma famille ne me comprenait pas, mais parce que je pensais que personne ne me comprenait. C’est le syndrome de tout adolescent. Ce qu’on appelait mon “échec”, je le voyais simplement comme mon processus de vie. À mon sens, je ne faisais pas d’erreur, je voulais juste faire de la musique. Je regardais les biographies des grands artistes, Prince, David Bowie, Bob Marley, James Brown, Otis Redding, Aretha Franklin… Ça n’a été facile pour personne. Donc quand j’ai eu 18 ans et que j’ai décidé d’être chanteuse, j’ai compris que soit la vie allait être rose – et je n’y croyais qu’à moitié – soit elle allait être hardcore, et j’étais prête. Et ça a été bien plus hardcore que ce que je pensais. Mais j’avais une force de résilience extraordinaire. Aujourd’hui, à 23 ans, je ne suis même pas sûre d’avoir la même force. Enfin, je dis ça parce que maintenant tout va bien… Mais en cas de drame, je sais que mon cerveau se met dans un mode que je pourrais reconnaître entre mille. Une puissance me dit : “Maintenant tu n’as plus que toi sur qui compter, donc aide-toi et le ciel t’aidera”. Je suis très croyante, et même si je ne comprenais pas Dieu au départ, un jour j’ai lu dans la Bible que les plus grands combats arrivent aux meilleurs soldats. Cette phrase m’a apaisé l’esprit de manière extraordinaire. Je pense que tout est écrit. Mes potes et moi on est tous chrétiens, mais version 2.0, on vit notre foi très loin de la manière dont nos parents la vivent.

M. Quand on vit un christianisme 2.0 en se revendiquant des yakuzas comme des scélérats, c’est facile d’exprimer une société violente avec des mots violents, voire grossiers comme le fait souvent le rap, et de concilier ça avec son rapport à la Bible ?

L. Non, c’est très difficile. Il y a beaucoup d’interrogations, pas mal d’enseignements que je ne comprends pas encore. Mes parents sont tous les deux médecins, mon père a fait dix-sept ans d’études universitaires, et quand j’étais petite, je ne comprenais pas pourquoi il avait adopté la religion que les colons nous ont imposée. Lui qui est la personne la plus cultivée que je connaisse, me répondait : “C’est la foi”. Au début de l’adolescence, j’étais contre la religion. Puis vers 14 ans, je m’y suis intéressée et j’ai tout testé, le Coran, la Torah, le bouddhisme… Et je n’ai rien trouvé de faux. Tout m’a paru vérité. Mais la vérité s’adapte aux besoins des gens.

M. As-tu ressenti à un certain moment le besoin de prendre de la distance par rapport à une certaine bourgeoisie que ta famille incarnait ?

L. Oui et non, parce que ce n’était pas une mauvaise bourgeoisie. Mes parents ont souffert d’un syndrome générationnel. Est-ce qu’on peut en vouloir aux gens d’être nés comme ils sont nés ? Non, il faut travailler pour parvenir à se comprendre. La preuve en est qu’aujourd’hui, ils comprennent extrêmement bien ce que je fais. Il y a cinq ans, ils auraient crié au satanisme devant mon clip “Tout est gore” où une montagne de sang coule derrière moi ! Aujourd’hui, ils comprennent mes références aux films d’horreur comme Shining ou à “Thriller” de Michael Jackson. Ça a nécessité un milliard de conversations. C’est beau, les parents qui acceptent de changer. Les miens sont extraordinaires. Ma mère voulait tellement que j’aille à l’université, au vu de mes excellentes mentions en physique et en latin. Elle pensait qu’être artiste n’était qu’un hobby, que ce n’était pas sérieux.

M. Mais toutes les querelles d’adolescence ne mènent pas à la rue à 18 ans…

L. Tu es à la rue quand tu n’as plus de quoi payer ton loyer. Mes parents ne l’ont pas su à l’époque. Ils ne l’auraient pas supporté. Et je ne leur ai rien dit par fierté. Ils m’ont inculqué l’ambition, la justice, la réussite. C’est pour ça qu’ils n’ont appris que j’avais dormi dans la rue que des années plus tard, par hasard. Je n’aurais jamais voulu leur faire vivre ça, ça aurait fait trop mal à ma mère.

M. Qu’as-tu appris de ton passage dans la rue ?

L. L’amour. Encore plus d’amour. Le partage, la loyauté. Sur les bouches des égouts où se réunissaient les SDF, je chantais pour eux et ils me respectaient. Il a fallu que j’arrive dans la plus grande misère pour que des gens me disent : “Chante, ça nous fait du bien”, et que je me rappelle que c’était un plaisir. Je me suis rendu compte que la musique était devenue un combat, alors qu’au départ c’était une passion. Parce que pendant toutes ces années, “c’était la haine” comme on dit à Bruxelles, c’est-à-dire que j’ai appris dans la bagarre. Et là, on voulait enfin m’écouter. Je pouvais délivrer un message en me délivrant. Mon ambition est de propager mon message à un maximum de personnes. Parce que c’est ça mon problème, j’ai un besoin irrépressible de m’exprimer. J’imagine toujours le pire en la matière. Je me demande jusqu’où je pourrais communiquer si je perdais la vue, ou la parole… Tant qu’il y a du mouvement, je peux m’exprimer. Mais si un jour je suis inerte… Oh mon Dieu, débranchez la machine !

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M. En parlant de mouvement, il y a beaucoup de chorégraphies dans tes clips…

L. C’est l’héritage du bled ! On danse à toute occasion. On est à deux doigts de danser aux enterrements, là-bas. Ça permet d’extérioriser. Mais je ne suis pas danseuse professionnelle, je connais plus les danses traditionnelles et le hip-hop. Kevin Bago était d’abord danseur dans “Dilemme”, puis il est devenu mon chorégraphe.

M. L’univers de tes clips est très soigné, avec de beaux décors, des costumes classiques… On ne peut s’empêcher de penser à Beyoncé et Jay-Z au Louvre, par exemple. Tourner dans ces conditions, c’est aussi marquer une évolution dans l’empowerment Noir ?

L. Tout dépend qui tu veux toucher. L’image redirige tout de suite vers un public. Mon image, c’est ce que je veux que les gens pensent de moi, à travers des mouvements, des émotions. La réalisatrice, Wendy Morgan, est une Chilienne de Montréal qui vient de déménager à Paris. Je suis aussi contente de l’avoir trouvée qu’El Guincho. Ils me guident, c’est mon équipe artistique. Si El Guincho me disait de changer tout mon couplet, je le ferais. Et il n’y a peut-être que deux personnes qui ont ce pouvoir sur moi. Il m’a dit une chose très importante : “Toi et moi, on ne va pas travailler pour nos egos ni celui des beatmakers, on va œuvrer pour le morceau.” C’est pareil avec Wendy, on travaille pour le visuel. Ça change toute une dynamique. Ce qu’on écrit ensemble, c’est la fraternité noire sous d’autres formes, dans de beaux endroits, hors de la violence, des Noirs qui s’amusent, qui sont très beaux. On montre la grandeur des Noirs, alors qu’on a l’habitude de les représenter en gangsters. Moi je veux donner un nouveau sens aux mots “gangster” et “yakuza”. Un peu comme “négro” : aujourd’hui tu dis ça à ton meilleur pote. Je me réattribue les termes.

M. Et quel rapport entretiens-tu avec la mode, toi qui as fait du mannequinat ?

L. Ce n’était que du mannequinat photo, pour l’argent. Mais depuis “Dilemme”, je n’ai plus du tout le temps. J’adore la mode, mais je déteste son industrie. C’est la même chose avec la musique. On dirait que tout le monde s’est mis d’accord pour se dire : “On va être faux et c’est pas grave”. Moi je suis là où la passion est. Dans tout ce que je fais, je veux qu’on travaille pour l’œuvre d’art. Je valide tout le stylisme des clips, tous les plans même. Dans tous les domaines, je dis exactement ce que je veux. Jusqu’à la colorimétrie, le placement des lumières, etc. La mode m’a au moins appris ça, à me présenter sous mon meilleur jour. Même si nous, les Congolais, on a l’habitude des photos et du style. Les Congolais et la mode, c’est l’abus total – les sapeurs viennent de chez nous ! On aime bien paraître, mais pas négativement. Au bled, quand il faut s’habiller et que tu arbores ton meilleur style, tout le monde te félicite, alors qu’en Europe, on te demande ce qu’il se passe. L’habit fait bien le moine, ici !

M. Tu allais même jusqu’à détourner ton uniforme scolaire, paraît-il.

L. C’est vrai ! Mais à chaque fois, à l’école, ils me faisaient changer : “C’est trop court !”, “On avait dit bleu marine !” Malgré tout, j’arrivais à tordre les règles. J’arrive toujours à imposer ma vision. Dans la musique, il faut procéder tout le temps de cette manière. Si je pouvais, je ferais des morceaux de quinze minutes, à la Koffi Olomidé. Quand je crée des chansons de trois minutes, c’est pour avoir un format digeste correspondant à la musique actuelle. C’est comme ça que les gens consomment, et il faut toujours savoir trouver le bon compromis. Mais je ne me sens jamais bridée. J’ai la chance d’avoir un label incroyable.

M. Comment aimerais-tu qu’on classe ta musique ?

L. La musique de la vérité ! Chez Virgin Radio, ils ont dit que j’avais un style trop urbain et chez Skyrock que j’étais trop variété. Voilà où j’en suis : entre Dalida et Kaaris, entre Edith Piaf et Booba, entre Damso et Juliette Armanet ! Je ne choisis aucun style, j’adore le métal, le reggae, la musique classique. Beatus Vir de Vivaldi est une des compositions les plus belles au monde. Ça me vient de ma famille… Je ne comprends pas d’ailleurs comment ils ont pu s’étonner un jour que je sois aussi extravagante !

Festival digital We Love Green

Maquillage : Aurore Gibrien @Bryant Artists. Coiffure : Shuhei Nishimura @ Open Talent Paris. Manucure : Isabelle Valentin @ Open Talent Paris. Digitech : Edouard Malfettes @Imag’In Paris. Assistant Photographe : Thomas Rigade. Assistante styliste : Manon Hvejsel Sarron.