M. En parlant de mouvement, il y a beaucoup de chorégraphies dans tes clips…
L. C’est l’héritage du bled ! On danse à toute occasion. On est à deux doigts de danser aux enterrements, là-bas. Ça permet d’extérioriser. Mais je ne suis pas danseuse professionnelle, je connais plus les danses traditionnelles et le hip-hop. Kevin Bago était d’abord danseur dans “Dilemme”, puis il est devenu mon chorégraphe.
M. L’univers de tes clips est très soigné, avec de beaux décors, des costumes classiques… On ne peut s’empêcher de penser à Beyoncé et Jay-Z au Louvre, par exemple. Tourner dans ces conditions, c’est aussi marquer une évolution dans l’empowerment Noir ?
L. Tout dépend qui tu veux toucher. L’image redirige tout de suite vers un public. Mon image, c’est ce que je veux que les gens pensent de moi, à travers des mouvements, des émotions. La réalisatrice, Wendy Morgan, est une Chilienne de Montréal qui vient de déménager à Paris. Je suis aussi contente de l’avoir trouvée qu’El Guincho. Ils me guident, c’est mon équipe artistique. Si El Guincho me disait de changer tout mon couplet, je le ferais. Et il n’y a peut-être que deux personnes qui ont ce pouvoir sur moi. Il m’a dit une chose très importante : “Toi et moi, on ne va pas travailler pour nos egos ni celui des beatmakers, on va œuvrer pour le morceau.” C’est pareil avec Wendy, on travaille pour le visuel. Ça change toute une dynamique. Ce qu’on écrit ensemble, c’est la fraternité noire sous d’autres formes, dans de beaux endroits, hors de la violence, des Noirs qui s’amusent, qui sont très beaux. On montre la grandeur des Noirs, alors qu’on a l’habitude de les représenter en gangsters. Moi je veux donner un nouveau sens aux mots “gangster” et “yakuza”. Un peu comme “négro” : aujourd’hui tu dis ça à ton meilleur pote. Je me réattribue les termes.
M. Et quel rapport entretiens-tu avec la mode, toi qui as fait du mannequinat ?
L. Ce n’était que du mannequinat photo, pour l’argent. Mais depuis “Dilemme”, je n’ai plus du tout le temps. J’adore la mode, mais je déteste son industrie. C’est la même chose avec la musique. On dirait que tout le monde s’est mis d’accord pour se dire : “On va être faux et c’est pas grave”. Moi je suis là où la passion est. Dans tout ce que je fais, je veux qu’on travaille pour l’œuvre d’art. Je valide tout le stylisme des clips, tous les plans même. Dans tous les domaines, je dis exactement ce que je veux. Jusqu’à la colorimétrie, le placement des lumières, etc. La mode m’a au moins appris ça, à me présenter sous mon meilleur jour. Même si nous, les Congolais, on a l’habitude des photos et du style. Les Congolais et la mode, c’est l’abus total – les sapeurs viennent de chez nous ! On aime bien paraître, mais pas négativement. Au bled, quand il faut s’habiller et que tu arbores ton meilleur style, tout le monde te félicite, alors qu’en Europe, on te demande ce qu’il se passe. L’habit fait bien le moine, ici !
M. Tu allais même jusqu’à détourner ton uniforme scolaire, paraît-il.
L. C’est vrai ! Mais à chaque fois, à l’école, ils me faisaient changer : “C’est trop court !”, “On avait dit bleu marine !” Malgré tout, j’arrivais à tordre les règles. J’arrive toujours à imposer ma vision. Dans la musique, il faut procéder tout le temps de cette manière. Si je pouvais, je ferais des morceaux de quinze minutes, à la Koffi Olomidé. Quand je crée des chansons de trois minutes, c’est pour avoir un format digeste correspondant à la musique actuelle. C’est comme ça que les gens consomment, et il faut toujours savoir trouver le bon compromis. Mais je ne me sens jamais bridée. J’ai la chance d’avoir un label incroyable.
M. Comment aimerais-tu qu’on classe ta musique ?
L. La musique de la vérité ! Chez Virgin Radio, ils ont dit que j’avais un style trop urbain et chez Skyrock que j’étais trop variété. Voilà où j’en suis : entre Dalida et Kaaris, entre Edith Piaf et Booba, entre Damso et Juliette Armanet ! Je ne choisis aucun style, j’adore le métal, le reggae, la musique classique. Beatus Vir de Vivaldi est une des compositions les plus belles au monde. Ça me vient de ma famille… Je ne comprends pas d’ailleurs comment ils ont pu s’étonner un jour que je sois aussi extravagante !
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