Est-il nécessaire de rappeler qu’historiquement les colonisateurs avaient toujours eu en leur temps un accès privilégié aux femmes blanches, et que ce privilège s’est ensuite étendu aux femmes noires lors de leurs voyages en Afrique ? En observant des femmes africaines sans cache-sein (dans certaines contrées), ils ont interprété à tort ce fait comme un signe de promiscuité (non, les seins ne sont pas des organes sexuels…). Par la suite, lorsqu’ils se sont rendus dans des pays dont la population était majoritairement « musulmane », ils se sont heurtés à un obstacle : celui de ne pas pouvoir avoir le même accès aux femmes musulmanes cachant leur corps et/ou leur visage. Un contraste saisissant dans l’histoire du passé colonial français et sur lequel je vous invite à vous pencher, notamment en Algérie en mai 1958, lors d’une « révolution » orchestrée pour renverser la IVe République, et où les Algériennes musulmanes ont été contraintes d’ôter leur voile et de le jeter dans les flammes lors de cérémonies nauséabondes.
Des faits historiques qui viennent douloureusement nous rappeler que les femmes, souvent confinées à l’état d’objet de désir, se retrouvent encore confrontées à un dilemme lorsqu’il s’agit de s’habiller. Si elles sont trop dévêtues, elles sont qualifiées de dévergondées ; si elles optent pour plus de couverture, elles sont considérées comme des extrémistes (quid de l’interdiction du crop top à l’école face à la recommandation d’une “tenue républicaine” promue par l’ancien ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer ?). Ce scénario sans issue, fruit du concept de libération sexuelle, est selon moi un énième outil du système patriarcal. Ce concept de libération a été présenté comme un moyen pour les femmes d’embrasser et d’exprimer leur sexualité sans inhibition, mais une analyse plus approfondie révèle sa manipulation par les structures patriarcales. Bien qu’il puisse se présenter comme une source d’autonomisation, il faut reconnaître qu’il peut également servir à perpétuer l’oppression des femmes. En réalité, le mouvement a renforcé le regard masculin et l’objectivation, enracinant encore davantage les rôles traditionnels des hommes et des femmes. Car pour les hommes, la libération signifie que les femmes sont potentiellement toujours sexuellement disponibles.
Voilà pourquoi l’abaya pourrait être vue comme l’un des symboles puissants de la libération du corps des femmes. Cette dernière incarne une véritable libération sexuelle car elle a évolué pour signifier le choix, l’autonomie et l’assurance. En remettant en question les stéréotypes de la féminité, le port de l’abaya s’oppose aux normes sociétales qui banalisent souvent le corps féminin et en font un objet. Il s’agit d’une déclaration qui déplace l’attention de l’apparence physique vers l’intellect, la réussite et les idées. Grâce à elle, les femmes affirment leur indépendance et se réapproprient leur identité au-delà des attentes de la société. L’abaya détient le potentiel de remettre en cause les normes de beauté prédominantes à travers le monde, offrant ainsi une redéfinition des attentes de la société concernant la féminité. Dans un monde où les idéaux de beauté irréalistes prédominent, elle offre une alternative significative. Plus qu’un simple vêtement, elle incarne la conviction profonde selon laquelle la valeur d’une femme transcende son apparence physique.
Par le biais de politiques discriminatoires incarnée par cette nouvelle loi, la France tente une nouvelle fois de marginaliser et de séparer les femmes musulmanes de la société, nous faisant tristement nous dire que la chasse aux sorcières n’est toujours pas terminée. Au-delà de ça, il ne sera pas facile de distinguer une robe longue d’une abaya (les enseignant·e·s et les directeur·rice·s d’école auront des maux de tête en ce début d’année scolaire) et c’est l’ancienne ministre Cécile Duflot qui a montré avec amusement le ridicule de cette situation en postant sur Twitter la photo d’une belle robe style long-shirt avec la légende : “ça vous choque, ça? C’est une atteinte à la laïcité ? ”. Un post qui a évidemment déclenché la réaction de nombreux internautes réac de la fachosphère dont un en particulier qui a répondu : “Soyez un peu sérieuse, aucune jeune fille sensée et normalement constituée ne porterait une défroque d’une telle laideur si cela n’était pas motivé par un besoin d’exhiber une appartenance religieuse. Ce qui me choque c’est votre tartufferie”. Autant dire que ce dernier est tombé dans le piège puisque Cécile Duflot s’est empressé de lui répondre : “Bim badaboum perduuuuu, ce est pas une abaya, c’est une robe Gucci, 2980 euros, une ‘somptueuse robe longue de style chemise’”. Usant l’humour et l’ironie, Madame feu la Ministre a mis cette loi face à son absurdité, mettant en lumière son caractère discriminatoire et encourageant par la même occasion le débat autour de la question de la liberté de choix vestimentaires et de la tolérance religieuse en France. Car, au fond de nous, nous le savons tou·te·s, c’est bien la personne qui portera la robe qui fera de celle-ci un vêtement religieux ou non.