De la prochaine sortie du très attendu film “Barbie” réalisé par Greta Gerwig à la réhabilitation de la poupée Mattel comme icône de mode, la tendance Barbiecore, initiée en 2022, va continuer de s’imposer fort en 2023. Avec à la clé, une possible petite révolution féministe mettant fin au cliché de la blanche cisgenre blonde, mince et écervelée.

Depuis le mois de janvier dernier, il n’y pas un jour sans que le rose Barbie ne frappe la rétine. Si Balmain a ouvert le bal avec une collection capsule unisexe en collaboration avec Mattel (dans la campagne, c’est Ken qui est aux fourneaux), la collection Valentino Pink PP, un monochrome fuchsia exclusif imaginé par Pierpaolo Piccioli avec la complicité de Pantone, a fini de poser les bases du Barbiecore : du rose en overdose. Kim Kardashian, Megan Fox, Hailey Bieber, mais aussi d’autres personnalités ne répondant pas forcément aux standards genrés et formatés d’une poupée Barbie : Harry Styles, Lil Nas, Lizzo, Billy Porter, Sebastian Stan ou encore Glenn Close et Brad Pitt, tou.te.s ont été frappé.e.s par la déferlante rose Barbie. D’ailleurs, le Barbiecore a été élu, chiffres à l’appui,  “tendance de l’année 2022” par le moteur de recherche mode Lyst. La plateforme indique dans son bilan annuel une augmentation de 152% des requêtes pour le fuchsia Pink PP de Valentino une semaine après le défilé et un boum de 416% des recherches pour la couleur rose, après la diffusion des images du tournage du film Barbie. Et le phénomène n’est pas prêt de se calmer. Pantone annonce la couleur en nommant le “Viva Magenta” comme teinte de l’année 2023. Ce ton rouge cramoisi nuancé présente, selon la firme “un équilibre entre chaud et froid” et envoie “un message de positivité vibrante”. Il est aussi la preuve que “pink is the new black” et que porter du rose en 2023, quel que soit le genre, n’a plus vraiment de portée politique. Sept ans après que le Rose Quartz, l’une des deux couleurs Pantone de 2016 avec le bleu Serenity, rebaptisé “Millenial Pink” soit devenu l’étendard de la fluidité des genres, le Viva Magenta enterre le débat du style “le rose c’est pour les filles”. Tape à l’œil, presque agressive, cette teinte fini d’ériger le rose comme statement mode, et c’est tout. La preuve avec les collections printemps-été 2023 de Marine Serre, Rick Owens, Dior ou encore Y/Project où les silhouettes masculines sont rhabillées de rose de la tête aux pieds.

Y/Project SS23, Valentino FW22/23, Marine Serre SS23, Rick Owens SS23, Dior Homme SS23.

Bref en 2023, le Barbiecore ne se limite pas qu’à des questions chromatiques. C’est avant tout une attitude, peu importe le genre ou le corps, et une ambition assumée à l’esthétique volontairement tacky. Motivé par le retour en puissance du sexy propre aux années Y2K, l’avènement du Barbiecore a par ailleurs permis la réhabilitation d’icônes de la pop culture comme Paris Hilton, Britney Spears ou encore Pamela Anderson – que l’on retrouve d’ailleurs en robe longue drapée rose dans la récente campagne Jacquemus, « Pam in Paris ». Ces muses des années 2000 se libèrent enfin de leur étiquette de bimbos écervelées pour devenir respectivement des figures de lutte pour la santé mentale ou de l’antispécisme. En remportant la bataille juridique contre sa famille, Britney Spears a brisé le tabou de sa mise sous tutelle et soulevé une vague militante, le mouvement #FreeBritney qui dénonce de nombreuses injustices. Avec le documentaire “This is Paris”, l’héritière white trash des Hilton et star des night clubs des 00’s a enfin révélé sa “vraie” personnalité : une jeune femme détruite par des traumatismes et écrasée par son personnage de blonde stupide, créé par ses soins comme une carapace. Dans ce film, Paris Hilton révèle aussi les dessous de sa “baby voice” – cette voix nasillarde adoptée pour construire son personnage d’idiote et dévoile son nouveau combat : une loi pour protéger les enfants placés en institutions et victimes d’abus qu’elle a elle-même subis dans son adolescence. Quant à Pamela Anderson (dont le documentaire biographique Netflix arrive à la fin du mois de janvier), de bimbo en maillot rouge échancré, elle s’est métamorphosée en quelques années en pionnière pour la défense des droits des animaux et twittos engagée (le côté facho de Bardot en moins).

Mais si la déconstruction de ces trois images de bimbos concerne avant tout des modèles de femmes blanches, cisgenres, blondes et privilégiées, l’image de la Barbie version 2023 permet aussi de casser et diversifier les codes qui lui sont normalement attribués. En témoigne la nouvelle poupée Barbie que Mattel a récemment sorti à l’effigie de l’actrice transgenre afro-américaine Laverne Cox. « C’était un rêve depuis des années de travailler avec Barbie pour créer ma propre poupée », a déclaré l’actrice qui a voulu pousser la ressemblance jusqu’à ses racines de cheveux : « Nous avons aussi eu une conversation à propos des cheveux de la poupée parce que je suis blonde la plupart du temps, mais je reste une fille noire, donc j’ai besoin de racines sombres pour qu’elle me ressemble.» Une collaboration qui montre que Barbie devient ainsi un reflet plus fidèle de la société, aussi diverse qu’elle peut être sans pour autant arrêter de faire rêver. Un statement confirmé et incarnée par la chanteuse Lizzo qui postait en octobre 2022 sur son compte Insta une vidéo d’elle en train de twerker dans son tour bus , cheveux blond platine et combi en velours rose bonbon à l’appui. Adopter le Barbiecore en 2023, c’est donc faire fi des injonctions liées au corps et à la représentation tout en embrassant une certaine “frivolité”. Le tout pour mieux se protéger du sexisme, voire en finir avec le slut-shaming.

Cela dit, si vous avez encore du mal à pardonner tout le mal que Barbie a pu faire à l’image de la femme en nourrissant les stéréotypes hétéronormés, vous serez certainement convaincu·e·s de sa nouvelle identité et de sa volonté d’envoyer balader les clichés tenaces grâce au projet du film-événement Barbie attendu pour juillet prochain. Co-écrit par Greta Gerwing et Noah Baumbach, le duo très « Sundance friendly », le film vient de dévoiler ses premières scèns dans une bande-annonce édulcorée. Dans cet extrait à l’image léchée et au ton second degré, on découvre notamment l’introduction du long-métrage, librement inspirée de celle du film de Stanley Kubrick, « 2001, L’Odyssée de l’espace ». Et si les images du plateau qui avaient fuité en juin dernier, révélaient un Ken (Ryan Gosling) et une Barbie (Margot Robbie) fidèles à la plastique parfaite des jouets Mattel, le casting s’annonce beaucoup plus varié. Issa Rae – actrice et showrunneuse afro-américaine, et Hari Nef — actrice, autrice et militante transgenre — devraient aussi interpréter Barbie, tandis que Simu Liu et Ncuti Gatwa sont attendus pour jouer d’autres versions de Ken. On en attendait pas moins de la réalisatrice Greta Gerwig, coqueluche du cinéma américain indépendant et connue pour ses positions féministes engagées. En 2023, Barbie, plus inclusive, rangera définitivement au vestiaire sa mauvaise réputation de bimbo superficielle.

Ryan Gosling et Margot Robbie dans “Barbie” de Greta Gerwig.