Collection We Are Everyone

À l’heure où les sons afrobeats dominent les charts du monde entier, la mode africaine compte elle aussi se faire une place de choix sur la scène internationale. Pour preuve le Bénin, pays francophone voisin du Nigéria qui regorge de talents cousus main. Rencontre avec de jeunes designers qui métamorphosent leurs origines en véritable force créatrice.

On a beau scruter le programme à la loupe, la mode africaine reste toujours la moins représentée de la fashion week de Paris. Pour preuve, seules quelques marques comme le label sénégalo-malien Xuly Bët, le label nigérian Lagos Space Programme ou le label sud -africain Maxhosa Africa y sont présents. Pourtant, des créateur·rice·s émergent·e·s tels que Thebe Magugu, Lukhanyo Mdingi ou l’ivoirien Aristide Loua, à la tête de la marque Kente Gentlemen, renversent peu à peu les codes d’un secteur qui a encore du mal à ouvrir ses frontières. C’est en partant de ce constat que le gouvernement béninois, en partenariat avec l’Institut Français de la Mode parisien, a décidé en juin 2024 d’inaugurer l’incubateur FLY (Fashion Led By Youth) afin de promouvoir les jeunes talents de son pays. Reportage.

Vognon
Vognon
J’fly toute la night

 

Pendant douze mois, 19 jeunes créateur.ices Béninoi.ses bénéficient d’un accompagnement par des professionnel·le·s de la mode au sein du hub d’innovation Sèmè City, situé à Cotonou. L’engouement a été tel que l’incubateur a reçu près de 700 candidatures de jeunes designers voulant intégrer cette première promotion. Parmi celles et ceux retenu·e·s pour figurer au casting de cette première session, il y a celle d’Eustache Ahomagnon, né à Cotonou il y a 26 ans. Sa mère, photographe et créatrice de mode, lui inculque depuis son enfance le goût du beau. Un temps mannequin, il ne tarde pas à devenir photographe de mode à travers l’Afrique, et organise aussi bien des shoots au Mali qu’au Burkina Faso, ainsi qu’au pays limitrophe du Bénin, le Togo. Un parcours qui lui permet avant tout d’affuter son œil d’expert de la mode, et qui le pousse en 2023 à dessiner ses premières créations puis à développer sa marque Vognon, qui en langue fon signifie « doucement mais surement » : “Un ami qui apprécie mon style vestimentaire m’a demandé si je pouvais lui créer une veste. Je lui ai dessiné un modèle qu’un tailleur a ensuite fabriqué. Tout le monde a adoré le résultat et cela m’a donné envie de me lancer. Je n’ai pas pris les choses à la légère et j’ai commencé à me documenter sur la mode africaine, les techniques de fabrication, les différents tissus… L’Afrique possède une forte culture du Wax, mais j’ai préféré créer des vêtements qui mettent en avant ma culture.” Une culture qui puise en partie son inspiration dans le vaudou.

Vognon
Vognon

Bien loin des clichés véhiculés par Hollywood, le vaudou béninois est avant tout une religion dans laquelle les esprits des défunts se mêlent aux vivants à grand renfort de chants, de musiques et de tenues spectaculaires. Parmi ces figures mystérieuses figurent celle des Egungun, qui apparaissent, lors de cérémonies, masqués et drapés de costumes flamboyants : “c’est très important pour moi d’inclure les Egungun dans mon travail car j’ai un rapport très particulier et personnel avec la religion vaudou, c’est pour cette raison que j’utilise le sequin sur le dos de mes vestes, des motifs très lumineux et voyants qui rappellent ces personnages.” Ce culte, on le retrouve aussi dans les créations d’un autre jeune designer béninois, Abdoul Manane Bakary, à la tête de sa propre maison baptisée Bakus Oraya : “Chacun interprète les Egungun à sa manière. On ne voit jamais leur visage lors des cérémonies, c’est pourquoi certains de mes mannequins hommes ont le visage caché par un rideau de perles. Je trouve cela très élégant et cela me permet de rendre hommage à mes racines. »

Bakus Oraya
Bakus Oraya
C’est coton

 

Intégrer l’incubateur Fly permet aujourd’hui à Abdoul Manane Bakary de se former à diverses techniques, dont celle du modélisme : “le métier de tailleur a une grande place dans la culture Béninoise. Chaque famille fait fabriquer ses propres vêtements, mais leurs créations restent très classiques. À travers ma marque, je veux rendre hommage à cette discipline et préserver l’artisanat africain tout en le portant à un niveau d’excellence. Nous avons la chance d’être le premier producteur de coton d’Afrique de l’Ouest et de compter parmi nous d’excellent·e·s teinturier·ère·s. Cela me permet de travailler en circuit court et de créer des pièces uniques.” Celui qui admire Simon Porte Jacquemus pour ses coups marketing et Olivier Rousteing pour ses tenues avant-gardistes ne se lance que tardivement dans la confection de vêtement, voulant avant tout écouter sa famille qui lui présage une carrière dans un milieu très éloigné de la mode : “Nous avons le respect de nos parents en Afrique, ma famille me voyait dans un domaine plus conventionnel, alors j’ai suivi un master en audit et contrôle de gestion. Mais depuis tout petit, je dessinais des croquis en secret. Il a fallu du temps avant qu’ils n’acceptent mon choix de carrière.”

We Are Everyone
We Are Everyone

Une incompréhension familiale partagée aussi par Prissile Olivia Kuessi, Bénoise de 25 ans et créatrice de son label de mode unisexe We Are Everyone : “je devais me lever discrètement la nuit pour coudre mes robes en faisant le moindre bruit possible. Un jour ma mère a trouvé mes créations et les a cachés pour me dissuader de continuer dans cette voie ! Mes parents voulaient que je sois journaliste, ou derrière un bureau, alors que je suis fascinée par le monde de la mode depuis que je suis enfant.” Celle qui avoue avoir toujours assumé un style qu’elle définit comme “garçon manqué” crée aujourd’hui des tenues oversize, offrant une autre vision de la féminité africaine que celle véhiculée par les traditions : “J’ai souvent été harcelée dans la rue car les gens ne comprenaient pas pourquoi j’aimais porter des vêtements amples. Il ne devrait pas y avoir de normalité : chacun est libre de porter ce qu’il veut.” Un leitmotiv devenu aujourd’hui l’ADN de sa marque : “We Are Everyone prône la liberté vestimentaire, sans distinction de genre. C’est une marque éco-responsable qui célèbre l’inclusion et la diversité.” Une identité dont l’incubateur FLY l’a aidé à parfaire les contours : “Rejoindre ce programme m’a permis de reprendre à zéro et de construire un narratif autour de mon label, d’imaginer son univers visuel ainsi que d’être plus attentive quant à la qualité des matériaux choisis pour mes créations.”

We Are Everyone
Tapis rouge

 

Un enseignement qui, bientôt, va emmener ces 3 jeunes créateur·rice·s ainsi que tous leurs autres camarades à découvrir les coulisses de la mode lors d’une escale parisienne prévue en avril prochain. Un voyage dont s’impatiente déjà Eustache Ahomagnon : “Venir à Paris et à l’IFM va me permettre de pouvoir consulter des livres sur l’histoire de la mode, des cahiers de tendances ainsi que de me renseigner sur une partie un peu plus business. L’idée est aussi d’agrandir mon réseau, de trouver des concept stores pour distribuer mes créations. Et pourquoi pas rencontrer Pharrell Williams ! C’est l’artiste que j’admire le plus, il a su insuffler son style à Louis Vuitton tout en gardant sa personnalité.” Prissile Olivia Kuessi, quant à elle, profitera de cette excursion pour apprendre de nouvelles techniques de créations : “j’espère y rencontrer un maximum de designers, et surtout tenter de comprendre pourquoi Paris est la capitale de la mode. Je veux le voir de mes propres yeux !” Autant dire que ce voyage fait déjà la fierté de ses parents qui l’encouragent à poursuivre dans sa trajectoire depuis qu’il·elle·s ont assisté au premier défilé de leur fille en juillet dernier. Ne reste plus qu’à flyer de ses propres ailes.