La librairie Saint Laurent Babylone.

Entre rendez-vous littéraires, bouquins dévorés en backstage et maisons de luxe éditrices, la lecture semble, plus que jamais, être la nouvelle obsession du fashion game. Décryptage d’une tendance en tête de gondole, qui se lit autant qu’elle se dévore.

Sous les pavés, la page. C’est en bord de Seine mais aussi à Milan, Londres ou encore Séoul que Miu Miu a ouvert, le temps d’un week-end, un pop-up littéraire. Au prix de quelques heures de queue (plus de deux selon nos indics), il était ainsi possible de repartir avec l’un de ces trois classiques : Le cahier interdit d’Alba de Céspedes, Une femme de Sibilla Aleramo ou encore Persuasion de Jane Austen. Une invitation à la flânerie et à l’érudition, qui n’est pas sans rappeler l’obsession éditoriale qui secoue ces derniers temps la capitale. En mars dernier, l’amour du livre avait inondé le Bon Marché à travers l’exposition Mise en Page. Imaginé par Sarah Andelman, fondatrice du regretté concept-store Colette et habillé par Jean Jullien, illustrateur multi-casquettes, l’exposition célébrait sur plus de trois étages, le livre dans tous ses états. En 2017 déjà, Loïc Prigent avait pris d’assaut le magasin avec son exposition Entendu au Bon Marché : une multitude de phrases plus savoureuses les unes que les autres faisant écho à son premier ouvrage J’adore la mode mais c’est tout ce que je déteste !. Résultat des courses, on s’interroge : la fashion sphère ne serait-elle pas en train de mettre le grappin sur le bouquin, faisant ainsi du livre, un objet de mode tangible ?

Miu Miu Summer Reads sur les quais parisiens.
LES QUAND LIRA-T-ON

 

Traîner au CDI semblait être un temps bien révolu. Pourtant, si l’on en croit le rapport d’activité de Tiktok érigeant le hashtag #Booktok comme le plus utilisé de 2023, la lecture n’a décidément plus rien d’un plaisir solitaire, ni silencieux, faisant ainsi du livre, un artefact propice à la discussion. Une tendance dont s’emparent également les Maisons de Luxe comme Chanel, où le livre fait partie, depuis toujours, de son ADN. En effet, la créatrice du parfum n°5 a grandi entourée d’ouvrages, les citant d’ailleurs comme ses “meilleurs amis”. Une addiction délicieusement contagieuse dont Karl Lagerfeld, son successeur, souffrait également. Passionné de bouquins, ce dernier, atteint de ce virus textuellement transmissible, racontait d’ailleurs qu’il lui était impossible d’accrocher un tableau chez lui tant ses murs étaient recouverts de livres. Plus de 300.000 au compteur pour le Kaiser, dont l’on retrouve une toute petite partie de sa collection dans le studio photo du 7L, la librairie qu’il a fondée en 1999 dans le VIIème arrondissement de Paris. L’atelier est depuis devenu le décor d’un nouveau chapitre de la Maison en accueillant Les Rendez-vous Littéraires Rue Cambon. Impulsé par Virginie Viard et Charlotte Casiraghi, ce format filmé invite des auteur·rice·s et des ami·e·s de la Maison, tel·le·s que Leïla Slimani, Alain Mabanckou ou encore Kristen Stewart (fan absolue de Jack Kerouac), à dialoguer autour d’un ouvrage en lien avec l’émancipation des femmes.

La librairie 7L.

Dans un tout autre registre, les Readings Parties de Brooklyn, initiées en 2023 par le New York Times, proposent une expérience plus socio-littéraire. Ici, la lecture est une fête et les chuchotements y sont interdits. L’exemple parfait est la soirée Literary Club, Writing Life, où Miu Miu, encore elle, s’est lovée dans le Circolo Filogico Milanese, un haut lieu de la culture et de la littérature étrangère. Au fil des pages et de la soirée, on découvre une expérience culturelle à public ouvert, qui réinterprète les salons littéraires pour mieux explorer le pouvoir créatif de l’écriture, en mêlant conversations, performances live et animations. Pour l’occasion, l’audience pouvait se laisser bercer par les voix de Tina Kunakey, Serena Braida, Bel Powley ou le synthé d’Arlo Parks et Mathilde Fernandez, la moitié du groupe Ascendant Vierge.

Kaia Gerber sur Instagram.
BON CHIC BON GENRE

 

Outre son caractère fédérateur, le bouquin semble se revêtir comme une aura. Pendant que certaines le portent en pare-soleil comme Kendall Jenner ou façon bouclier anti-paparazzi comme Gigi Hadid, Kaïa Gerber, elle, le porte à la manière d’un accessoire. À la Fashion Week de Milan, dans les backstages du show ou chez elle, à New York, la fille du mannequin Cindy Crawford est “booked and busy” et lit partout, tout le temps. Quatre ans après avoir créé un Book Club sur Instagram pour rompre la monotonie du confinement, elle revient avec sa propre librairie, Library Science. Un projet dont l’intention est de mettre en lumière les jeunes auteur·rice·s avec une sélection “comme nulle part ailleurs”. Car question de (bon) goût, la jeune mannequin n’en démord pas : “lire, c’est tellement sexy” confie-t-elle au Guardian UK. Une idée plus qu’approuvée par le compte instagram @hotdudesreading dont le feed est une succession de photos volées d’hommes qui lisent. Un green flag absolu donc qui fait écho à la phrase de l’acteur John Water : “Si vous rentrez avec quelqu’un et qu’il n’a pas de livres, ne couchez surtout pas avec”. C’est bien noté.

La boutique Ephemera de Pascal Monfort.
JETER L’ENCRE

 

Créateur de conversations et objet d’apparat, le livre est aussi un produit ultra désirable à la force inspirationnelle redoutable. Oubliez donc les unboxings interminables de Sonny Angels, désormais on dézingue des cartons remplis d’ouvrages d’archives et autres magazines de mode collectors. L’expert en la matière se prénomme Pascal Monfort. Sur son compte Tiktok @professeur.monfort, il présente et raconte ses dernières trouvailles à ses quelques 14.000 abonnés : magazines, lookbooks, invitation de défilés ou encore VHS, tout y passe. Un condensé de sa collection personnelle est d’ailleurs à retrouver dans sa boutique Ephemera, au 29 rue de Trévise dans le Xème arrondissement. Une librairie hybride, pensée pour favoriser l’échange et l’accessibilité des archives de la mode contemporaine. “D’une manière générale, il y a une vraie appétence pour ces vieux documents bourrés de shootings et d’inspirations », raconte ce fou d’images au magazine Fashion Network.

La librairie Saint Laurent Babylone.

Marque page d’une époque, chaque publication est aussi une pièce de collection qui se chine et s’accumule. Bien empilés, les tomes se font miroir et font état d’une période bien définie. À l’image de Jacquemus qui propose une succession de volumes auto-éditée et qui mêle archives personnelles et clichés inédits capturés notamment par le grand Martin Parr pour le dernier tome, Le Chouchou. Publier ses propres livres pour donner une vision à 360 de l’étendue inspirationnelle, c’est également ce que propose Saint Laurent. À deux pas de l’ancien hôtel particulier du créateur éponyme, la nouvelle boutique est un écrin aux ouvrages d’exceptions. Se côtoient les œuvres de Gil Rigoulet, une édition à 10 exemplaires en céramique de Daido Moriyama, un vinyle de Molly Nilson, le tout sélectionné par Anthony Vaccarello en personne, évidemment. Bref on feuillette pour plonger dans l’inédit, pour s’inspirer. Et mieux respirer l’air du temps

La campagne Montblanc par Wes Anderson.
NOUVEAU CHAPITRE

 

Tantôt objet conversationnel, accessoire ultra hot ou symbole d’une époque et d’une façon de penser, la lecture est pour la mode une source d’inspiration infinie. Elle s’immisce dans chaque recoin de la création, allant même jusqu’à en faire partie intégrante. On l’aperçoit par exemple à travers la bande sonore du défilé Balenciaga P-E 2024, où Isabelle Huppert, lit, à un rythme de plus en plus effréné, le livre La Veste Tailleur mais aussi plus présente, avec l’imprimé journal Dior par John Galliano qui reprend les gros titres de l’international Herald Tribune ou carrément déstructurée à travers les créations sculpturales de la mannequin-designer Inès Milla. La lecture se fait également bibliothèque et devient décor comme chez Hedi Slimane avec la BNF Richelieu, son lieu de défilé chouchou, mais aussi fabriquée de toute pièce et tapissant le Grand Palais à l’occasion de la collection Chanel 2019/2020, ou en toile de fond pour la dernière campagne Montblanc shootée par Wes Anderson, le roi de la symétrie.