En quelques années, la photographe Carlijn Jacobs et le styliste Imruh Asha, jeune couple de créatifs ultra-déter et passionnés, ont su imposer avec talent et audace leur esthétique commune singulière et puissante sur la scène mode internationale.

Ces derniers mois, si comme moi vous avez eu la chance de vous balader dans un Paris vidé de ses touristes (merci Miss Rona), vous avez, sans le savoir, eu probablement la chance d’être confronté ici et là au travail respectif de Carlijn Jacobs et Imruh Asha. C’est simple, les images qu’ils ont récemment créées se sont retrouvées distillées un peu partout dans la capitale française. Que ce soit au printemps dernier sur la devanture de la nouvelle boutique Carven dont Carlijn a réalisé la campagne SS21 ou encore cet été sur les panneaux de l’Hôtel de ville rue de Rivoli qui affichaient les photos de sculptures vestimentaires réalisées par Imruh dans le cadre de l’exposition Future Shock en partenariat avec la Ere Foundation. A priori, rien d’étonnant à ce que ce jeune couple – ils viennent chacun de fêter leur 30 ans cette année, big up ! – nous en mette plein la vue dans ladite capitale de la mode ; surtout quand on voit que même une pandémie mondiale n’a pas réussi à stopper l’ambition ni le génie créatif de ce duo néerlandais connu pour être l’un des des plus gentils, curieux, bon-vivants, chaleureux et bienveillants de l’actuelle industrie de la mode (ce qui est suffisamment rare pour être mentionné, croyez-moi).

« Blow Up », photo Carlijn Jacobs, stylisme Imruh Asha (avril 2020)

En l’espace d’un an, Carlijn, récemment représentée par la très grande agence artistique Art & Commerce, a réalisé des campagnes pour des marques comme Mugler ainsi que des cover stories pour les magazines Pop ou Vogue Paris, tandis qu’Imruh, qui vient de signer chez l’agence Streeters, a collaboré avec des magazines de renom comme Ssaw ou Vogue Italie. Autant dire que, depuis que ces deux-là se sont rencontrés en 2014 dans un club d’Amsterdam où travaillait Imruh à mi-temps et où Carlijn était venue prendre des photos de la soirée pour le i-D Netherlands, chacun a géré ses bails comme il faut et a vu sa carrière décoller. Et c’est sûrement parce qu’ils ont compris très tôt qu’à deux ils se complétaient humainement, créativement et artistiquement, qu’ils ont décidé de travailler ensemble depuis cette fameuse nuit où ils sont rentrés en mobylette et ont refait le monde en traversant les canaux de la capitale hollandaise, imaginant déjà ce qu’ils pourraient accomplir à deux. “On s’est vite rendu compte qu’on avait la même vision et les mêmes envies, explique Carlijn. On se nourrit mutuellement et on s’épaule constamment. C’est simple, dans tous les projets qu’on entreprend ensemble, on se donne toujours à fond”. Et Imruh d’ajouter : “On parle clairement le même langage verbal et visuel. Venant du même pays et étant de la même génération, on a les mêmes références. Cette complicité artistique nous apporte une énergie incomparable. Et on essaye toujours d’en tirer des choses nouvelles et différentes. On s’échange nos idées, on se challenge mais on se laisse aussi notre espace quand c’est nécessaire. Et on se dit honnêtement les choses quand on sent que certains aspects ne fonctionnent pas”.

Photo Carlijn Jacobs, stylisme Imruh Asha. Outtakes, Vogue Italia (janvier 2021)
Photo Carlijn Jacobs, stylisme Imruh Asha. Outtakes, Vogue Italia (janvier 2021)

Cette confiance et ce soutien indéfectible teinté d’une franchise saine et directe semble être l’atout majeur qui jusqu’ici les a aidé à “surmonter les épreuves, les déceptions, la fatigue, l’énervement, parfois les pannes d’inspirations”. Mais qui leur a surtout donné la possibilité de produire des images intenses à l’esthétique singulière qui résonnent aujourd’hui comme autant de tickets leur ayant permis de faire leur entrée au panthéon de la pop culture et de l’iconographie de mode. En témoignent les récentes photos qu’ils ont réalisées ensemble ces six derniers mois comme la cover du numéro printemps 2021 de Dazed & Confused où l’on voit une jeune mariée au look rétro-futuriste courir en direction du “monde d’après” en robe couture et sneakers blanches ou plus récemment la toute dernière campagne printemps-été 2022 de Jacquemus où des chiens volent clairement la vedette à des mannequins dont on ne voit volontairement plus le visage. Du génie. Il semble loin le temps où leur toute première collaboration avait simplement consisté à créer des lookbooks pour le site du concept-store SPRMRKT (supermarket), sorte de Colette local situé sur l’artère Rozenracht d’Amsterdam où travaillait également Imruh. Aujourd’hui, le lieu a fermé ses portes mais il a sans aucun doute permis à Carlijn et Imruh d’en ouvrir beaucoup d’autres comme la fois où lors d’un voyage à Paris en 2015, ils découvrent émerveillés la boutique de Pierre Cardin sur le Faubourg Saint-Honoré. “Quand on a vu les vitrines et les vêtements on a été subjugués !, se rémémore Carlijn. On a vraiment eu la sensation que c’était la pièce manquante qui complétait notre puzzle créatif, que ce soit en termes de mode, de design, de meubles, de couleurs, de formes…”. “Carrément !, acquiesce Imruh. Avec ses références à la fois très abstraites, graphiques, géométriques et futuristes, Pierre Cardin est certainement la référence qui nous correspond le mieux à tous les deux. C’est même lui qui nous a poussés à déménager à Paris”.

« Xie Chaoyu », photo Carlijn Jacobs, stylisme Imruh Asha.
« Cyprien Bourrec », photo Carlijn Jacobs, stylisme Imruh Asha, coiffure Oliver Schawalder.

En effet, comme l’esthétique de Cardin, celle de Carlijn et Imruh est empreinte de couleurs vibrantes, de modèles à l’allure puissante, mais aussi marquée d’un soupçon de surréalisme et d’une pointe d’étrangeté, avec la plupart du temps un élément ou accessoire inattendu et surprenant dans la composition. L’un des meilleurs exemples de ce processus créatif reste sans doute les images que Carlijn et Imruh ont produites pendant le premier grand confinement mondial de l’ère Covid-19 au printemps 2020. Leur mantra à l’époque : s’efforcer de créer chez eux au moins une image par jour avec les moyens du bord alors que le monde entier était en pause et qu’ils pouvaient à peine mettre le nez dehors. Le résultat ? Des photos insolites comme celle d’une mannequin nue portant une paire de lunettes noires avec deux sacs poubelles violets remplis d’air en guise de vêtements, de masque et de couvre-chef. “Je crois que notre but ultime est de produire des images fortes, souligne Carlijn. Des images puissantes et impactantes qui vont faire se dire ‘oh waouh !’ à celui ou celle qui les regardent. “On veut que les gens soient surpris par l’image, confirme Imruh. Mais une fois cet état de surprise passée, on veut que ladite image finisse par devenir une évidence et une référence aux yeux de tous”. Qu’ils se rassurent, l’objectif est atteint haut la main.

A Magazine Curated by, photo Carlijn Jacobs, stylisme Imruh Asha (novembre 2020)
A Magazine Curated by, photo Carlijn Jacobs, stylisme Imruh Asha (novembre 2020