Ring my belle
Bien loin de l’imagerie carte postale Corona-Tulum-Sombrero que nous offre habituellement le pays, le Mexique dresse en réalité un triste constat : chaque année, près de 3000 femmes décèdent de violences conjugales dans cet État comptant plus de 125 millions d’habitants. Les lutteuses rappellent alors au public que les femmes doivent être respectées et peuvent aussi bien mener la danse que ces messieurs : « Les lutteuses incarnent un personnage de fiction, tel un excédent de leur personnalité” rappelle Théo Saffroy, “elles ne sont plus la femme de, ou la couturière…Elles échappent à leur identité de leur vie civile et deviennent ce qu’elles ont envie d’être : un personnage sexy ou dur au combat. Leur identité est extrêmement protégée, le costume leur permet d’être une star le vendredi soir et de pouvoir anonymement aller faire leur marché le lendemain. Personne ne sait qui se cache derrière le masque. » C’est ce qu’a bien compris Reina Dorada à en croire son profil Instagram. Celle qui avoue exercer le métier de nutritionniste ne poste aucune photo d’elle sans son masque fétiche, afin de préserver son anonymat. Exhibant fièrement ses formes avantageuses, elle dépasse en quelques mois les 100 000 followers et devient ainsi la porte-parole d’une féminité décomplexée, qui n’a pas peur de se comparer aux hommes. Passionnée depuis l’enfance par la lucha libre, cette ex championne de taekwondo gravit peu à peu les marches de la gloire, passant de la ligue indépendante à la triple A (AAA), une des ligues professionnelles de lucha libre les plus connues au Mexique.
Un exemple d’empowerment dont la pionnière se nomme Irma González, qui a fêté ses 87 ans printemps en juin dernier. Quarante années de carrière et un nombre incalculable de combats durant lesquels la lutteuse a incarné plusieurs personnages, de Flor Negra à Rosa Blanca en passant par La Tirana. En mars 2023, Théo Saffroy assiste à une cérémonie célébrant les 70 ans d’un lieu culte où se pratique la lucha libre, l’Arena Mexico, et réalise alors l’impact d’Irma Gonzalez sur la nouvelle génération : « Elle se trouvait devant la scène, dans son fauteuil roulant, et toutes les lutteuses se sont arrêtées pour la saluer. Elle est restée des années dans l’ombre, et fait désormais figure d’autorité. C’est elle qui a ouvert les portes à toute cette nouvelle génération. » Devenu patrimoine immatériel de la ville de Mexico depuis 2018, la lucha libre est longtemps restée à l’image du pays, machiste, et n’a autorisé les luchadoras à se présenter sur le ring qu’en 1986. Sauts, rotations, pieds en avant, les lutteuses n’ont dorénavant plus peur de mouiller le maillot : « Ce sont des athlètes de haut niveau, c’est une pratique qui demande énormément de préparation physique » nous rappelle le photographe. « Elles vont à la salle de gym pratiquement tous les jours. Le côté théâtral ne doit pas faire oublier l’envers du décor. Il faut au moins 10 ans de préparation avant de pouvoir monter sur le ring et se produire devant une foule. »