Anrealage FW24

Le marathon de la mode n’en finit pas. Mixte s’est rendu à Tokyo pour suivre la Fashion Week de la capitale nippone qui s’est déroulée du 10 au 16 mars. Un calendrier certes plus léger que ceux des villes européennes mais non sans surprises ni statements. 

1. LES QUATRE TEMPS FORTS DU CALENDRIER
Masu FW24

Masu
Cette saison, la Fashion Week a été marquée par plusieurs événements singuliers, à commencer par la soirée d’ouverture de la saison Automne-Hiver 2024. Shinpei Goto, le créateur de la marque Masu, a inauguré les festivités lors d’une présentation qui a rassemblé pas moins de 500 fans. Depuis 2016, la marque ne cesse de voir sa communauté croître, et son créateur a souhaité rassembler ses “Masu-boys” ainsi que les professionnels de la mode pour célébrer tous ensemble, autour d’une projection, son premier défilé à Paris, qui s’est tenu en janvier dernier dans le cadre du calendrier de la mode masculine. Un coup d’envoi réussi !

Mikio Sakabe FW24

Mikio Sakabe
Mikio Sakabe remporte haut la main la palme de la folie des grandeurs en invitant pas moins de 4000 personnes à se réunir autour de sa nouvelle collection dans le mythique gymnase olympique de Yoyogi. Cela fait 18 ans que le créateur s’amuse à bousculer l’industrie de la mode japonaise, sa dernière facétie étant la création du label de sneakers futuristes, Grounds, portées ce soir-là par tous les cool kids Tokyoites. Si sa communauté lui est dévouée, c’est aussi parce qu’il soutient activement la jeune garde de créateurs japonais, partageant son temps avec la direction de l’école de mode ME, fondée en 2019. Intitulée “The day today”, sa collection de 35 looks s’est révélée comme une leçon d’histoire du costume, mêlant anachronismes et innovations, annonçant la mode future comme une dissonance temporelle savamment orchestrée.

Marimekko FW24

Marimekko
La surprise du calendrier cette année, c’est la présence de la marque finlandaise Marimekko qui, soutenue par “by R“, s’est installée à Tokyo pour y célébrer les 60ans du motif emblématique ”Unikko“. Dans le batîment historique Hyokeikan, au Musée National de Tokyo, la marque nous a invités à célébrer ce motif symbole de joie et de créativité : l’ADN de Marimekko. Pour l’occasion, Tomoyuki Tanaka, alias FPM, qui a été directeur musical des Jeux Olympiques de Tokyo était invité comme DJ au défilé. Lourd.

Anrealage Homme FW24

Anrealage Homme
Anrealage a clôturé le calendrier officiel de la Fashion Week en lançant son nouveau label masculin : Anrealage Homme. Habitué de la Fashion Week parisienne depuis plusieurs années, Kunihiko Morinaga n’a cessé de nous captiver avec ses collections hors du temps et des tendances, souvent synonymes de prouesses techniques et technologiques. Pour l’homme, on pourrait penser qu’à première vue le designer a fait un pas de côté, puisqu’il s’est concentré sur l’artisanat avec un grand A : vestes entièrement brodées de boutons, des tweeds impeccables et des mailles intarsia imitant des duffles coats ou des bombers. On se rend compte finalement que la notion de performance qui caractérise Anrealage est toujours là : une belle promesse pour la suite de la marque.

2. IT IS A WOMAN’S WORLD

Alors que le MET Museum vient de clore l’exposition “Women Dressing Women” et que les articles se succèdent en réaction à la domination masculine à la tête des grandes maisons, trois designers japonaises subversives font bouger les lignes et explorent les codes de la féminité sans vague ni drame, mais le dos droit et les poings sur la table.

Akikio Aoki FW24

Akiko Aoki
La doyenne, Akiko Aoki, fondatrice de la marque éponyme en 2014, explore les différentes facettes de la féminité au sein de la société japonaise contemporaine. À travers ses créations, elle crée des espaces de friction entre les attentes sociales et la sensibilité propre à chaque femme. Cette saison était comme une ode consacrée à la “working girl” japonaise, souvent tirée à quatre épingles. Il semble que la designer l’ait saisie au moment où le masque se fissure et la respiration se relâche. Les tailleurs sont montés à l’envers, les jupes se dézippent sur les hanches pour révéler la doublure, les boutons sont prêts à craquer et la dentelle d’une camisole est révélée. Une tension habilement coordonnée qui démantèle l’uniforme de bureau jusqu’à son abolition complète.

Fetico FW24

Fetico
Emi Funayama, créatrice du label Fetico depuis 2020, propose une figure féminine affranchie du regard masculin jusqu’alors intrinsèque la construction de sa sensualité, souvent en revisitant les codes du fétichisme. Cette saison, sa collection intitulée “Eternal Favorites” est née de son désir de retrouver sa liberté qu’elle sent menacée en vieillissant par les normes imposées par la société. La designer a convoqué des sources d’inspiration ou des objets qui lui sont chers. Un savant mélange de robes en velours qu’elle adorait dans son adolescence, des vêtements d’enfants rehaussés de dentelle, l’esthétique de Mercredi Addams, les poupées érotiques et inquiétantes créées par l’artiste allemand Hans Bellmer… Frisson de plaisir garanti pour les fans de contre-culture gothique.

Kanako Sakai FW24

Kanako Sakai
La benjamine, Kanako Sakai, à trouvé l’inspiration pour sa nouvelle collection en lisant le livre de Marilyn Yalom, “A History of the Breast”, paru en 1997. “Bien qu’il soit la propriété d’une femme, le sein semble toujours appartenir à quelqu’un d’autre.“ De cette constatation, elle questionne et confronte son propre évitement de la “féminité”, concept avec lequel elle n’est pas à l’aise, peut-être justement parce que ses règles sont celles d’une construction sociale plutôt que personnelle. À la manière de l’artiste Yayoi Kusama qui, pour vaincre sa peur des phallus, l’a carrément surreprésenté dans son œuvre au point d’en recouvrir compulsivement des objets ou des environnements entiers, Kanako Sakai a décidé de prendre le taureau par les cornes en surjouant la “féminité”. Elle annonce la couleur dès le premier look, avec un bustier aux bonnets coniques excessivement saillants, rappelant l’insolence iconique de la maison Gaultier.

3. À VOS MARQUES : TRENDS !
Haengnae, Mikio Sakabe, Yohei Ohno, Chika Kisada, Viviano

Monter le volume
Il n’est pas surprenant qu’Holly Waddington ait remporté l’Oscar des meilleurs costumes avec ses créations pour le film “Poor Things” à en juger l’engouement pour le spectaculaire sur les podiums (surtout si l’on se souvient du succès du dernier défilé Gallia… pardon Margiela). Attention à la poussière, car un vent victorien souffle sur les garde-robes et Tokyo est sur son passage. Au programme : volume, frivolité et théâtralité ! Interprétation plutôt littérale chez Mikio Sakabe et ses figures fantomatiques directement sorties des contes romantiques du 19ème siècle. Yohei Ohno s’en sort bien avec des manches ballons venues du futur (mais attention : madame ne sort jamais sans sa voilette). Viviano, roi du romantisme flamboyant et décomplexé, est suivi de près par Chika Kisada et Haengnae.

Irenisa, 08sircus, Support Suface, Harunobu Murata, Murral

Less is best
Certaines marques se sont démarquées par un style résolument plus sobre. Que l’on appelle cela “quiet luxury” ou “Phoebe wannabe”, dans cette catégorie, c’est Harunobu Murata qui s’est distingué. Ayant travaillé plusieurs années en Europe , le créateur s’est donné pour mission d’établir une marque de luxe japonaise en utilisant les meilleurs matériaux et techniques de son pays natal ainsi que d’Italie. Cette saison, il a proposé une collection dépouillée inspirée par la photo “les trois fermiers” d’August Sander prise en 1914. C’est le contraste entre ces trois hommes endimanchés et le décors boueux qui à invité le créateur à épurer son style. Sobriété partagé par Support Surface, Murral, Irenisa et 08sircus.

Mikage Shin, Heos, Kamiya, Harunobumurata, MASU

Avoir les poils

Dans notre dernier report de la Fashion Week de Paris, notre rédacteur pointait du doigt l’omniprésence du poil de Milan à New York, et il semble bien que la tendance soit aussi passée par Tokyo. Classique aviateur chez Kamiya, plutôt “Mobwife” chez Heos, ours polaire chez Harunobu Murata, grunge boy chez Masu ou famille Pierrafeu chez Mikage Shin : rangez vos rasoirs, la moumoutte semble avoir encore quelques beaux jours devant elle.

Mister It x2, Viniano x2, Kanako Sakai x2

Une affaire de cœur
Loin d’être une tendance majoritaire sur les podiums, le cœur, ce coquin, n’est pourtant pas passé inaperçu. S’il est un incontournable chez Viviano, utilisé ici comme polka dots, il était plus inattendu chez Kanako Sakai qui en a retiré toute mièvrerie pour le proposer en version chaps. Il était plus comique chez Mister It qui a présenté la traditionnelle robe de mariée en gros cœurs matelassés. Feeling sentimental ?

Mister It, Yohei Ohno, Mikage Shin, Viviano, Kota Gushiken

Red flag
Les total looks rouges n’ont pas fini de faire grimper la température de la capitale nippone. Les plus iconiques dans la catégorie de l’étrange sont peut-être le zentai-covid en ouverture du défilé de Mikage Shin et la maille XXL portée par l’acteur et écrivain Naoki Matayoshi lors d’une performance pour la marque Kota Gushiken. Mention spéciale pour Mister It et son total look intelligent, réalisé dans le même tissu des chaussures au chapeau en passant par le sac à main. Mais c’est Viviano et Haengnae qui ont été les plus hot.

Mikage Shin, Tanaka , Chika Kisada, Houga, Soshiotsuki

Franges rebelles
Beaucoup vues chez Mikage Shin avec des jupes réalisées par des artisans locaux, les franges ont instantanément donné de l’ampleur à la démarche rapide des mannequins hommes et femmes qui les portaient. Ce look de néo-flappers, version bling-bling à été aperçus chez Tanaka, porté comme une ceinture avec (ou sans) son jean. La traditionnelle robe filet à été vue chez Chika Kisada et sa version revisité chez Houga. Enfin, une version masculine emprunte de spirituel chez Soshiotsuki, qui propose une version chapelet inspirée par les moines Yamabushi. La messe est dite.