Texte :  Nathalie Fraser

Festive et frénétique, cette semaine parisienne aura signifié le retour de la faune fashion dans les rues bondées de la capitale. Sur les podiums, surprises, émois et émotions qu’il s’agisse du dernier défilé réalisé par les équipes de Virgil Abloh chez Louis Vuitton ou de propositions créatives en lien avec leur époque, troublée et troublante.

1. La vie d’artiste

Comme à Milan, la frontière entre art et mode s’est brouillée un peu plus. Si Junya Watanabe s’est contenté de transposer des toiles de Warhol en pullover, ou Paul Smith de proposer des imprimés comme d’immenses traits au pinceau, d’autres ont poussé plus loin la collaboration. Chez KidSuper, la vente aux enchères s’est invitée au défilé, les spectateurs pouvant « miser » pour remporter les œuvres de l’artiste Colm Dilane utilisées sur chaque look. Sur les silhouettes à l’élégante nonchalance de Lemaire s’affichaient les créations de l’Indonésienne Noviadi Angkasapura. Le défilé Louis Vuitton, hommage final au travail de Virgil Abloh par son équipe, soulignait l’approche ultra-créative de celui qui savait si bien mixer mode, art et architecture. Les silhouettes d’une poésie sculpturale – vol d’avions de papier, cuir comme moulé à même le corps – rappelaient la joie presque enfantine que peut provoquer une mode visionnaire.

2. Garden Party
LV Men SS23, Loewe Men SS23, Marine Serre Men SS23, Dior Men SS23

Ce n’était pas une illusion d’optique : pour la collection masculine de Loewe, son directeur artistique Jonathan Anderson avait bien réussi à faire germer vêtements et accessoires, dans une collaboration fascinante avec la bio-créatrice espagnole Paula Ulargui Escalona. Ailleurs, si fleurs et gazon étaient factices ou simplement imprimés, l’illusion d’optique n’en était pas moins saisissante, comme chez Marine Serre ou chez Louis Vuitton où les jacquards fleuris XXL ont laissé place à des looks tels des prairies en fleur. Chez Dior, Kim Jones s’est inspiré à la fois de la passion jardinière de Monsieur Dior et du trope du jardinier anglais, personnifié ici par l’artiste Duncan Grant, dont les œuvres ornaient plusieurs pièces phares.

3. Objets Nomades
LV Men SS23, Craig Green Men SS23

Dans un monde incertain et hyper-connecté, l’homme est en mouvement perpétuel, balloté par les vents de l’actualité. Mieux vaut donc avoir sur soi en permanence les outils essentiels à la survie au quotidien. Craig Green, toujours adepte des constructions mobiles, proposait des hommes-tentes, selles portatives, looks en kit ou version duvet transportable. Chez Loewe, Jonathan Anderson retranscrivait l’indispensable écran en visière ou en armure. Chez Louis Vuitton, c’est une immense chaine hifi portative qui s’inventait en armure de ce 21ème siècle menaçant et complexe.

4. Soif de peau
Louis Gabriel Nouchi Men SS23, Givenchy Men SS23, Courrèges Men SS23

Vêtements ? Quels vêtements ? Si la mode homme flirte déjà avec l’effeuillage depuis plusieurs saisons, cet été 2023 sera celui de la révélation ultime. Si Rick Owens est coutumier du torse nu et de la sensation, d’autres se sont jetés dans le bain (de minuit). Louis Gabriel Nouchi s’inspirait du personnage de Valmont pour des silhouettes libertines, dont un manteau ample comme pour s’évader rapidement du lieu du crime… passionnel. Même soif de peau chez Courrèges ou chez Marine Serre. Pour le toujours conceptuel Thom Browne, c’est la superposition d’un tweed épais sur une peau à peine dévoilée qui jouait les contrastes. Chez Givenchy, Matthew Williams jouait aussi le jeu du montré/caché, avec des torses nus surmontés de visages masqués ou cagoulés. Plus cérébral, Dries Van Noten proposait une lingerie au masculin, gainée de corsets couleur chair.

5. Primary Colours

Retour aux bases de la colorimétrie sur ces podiums parisiens. Du noir, du blanc, mais surtout les trois couleurs primaires. Rouge vif chez Ami, total look cuir carmin chez Céline. Jaune lumineux chez Vuitton ou Loewe. Du bleu en déferlante un peu partout, et surtout de nombreuses associations réunissant ces trois tons essentiels dans des silhouettes à la fraîcheur sportive, notamment chez Kenzo, ou Nigo affirmait un style cool/college pour sa deuxième proposition en tant que directeur artistique.

6. Paris mon AMI

Après avoir teasé la capitale pendant des jours avec une campagne d’affichage indiquant simplement « Sacré Cœur », Alexandre Matthiussi s’est offert un défilé en forme d’apothéose, où tous les marqueurs étaient au rendez-vous. Cadre exceptionnel (la Sacré Cœur, tiens tiens), casting d’anthologie (Audrey Tautou en ouverture du show, Karen Elson, Anna Girardot…), public VIP (Naomi Campbell, Catherine Deneuve…) météo au beau fixe, le tout pour mettre en scène une collection qui marquait un tournant dans l’ambition de la maison parisienne. En plus du sportswear élégant, véritable marque de fabrique Ami, on découvrait du tailoring abouti (vestes amples, trenchs fluides) et surtout l’arrivée d’une proposition de sacs, maroquinerie et chaussures, dont de hautes cuissardes remarquées sur les silhouettes féminines. Le tout avec cet esprit 100% parisien qui séduit aussi bien autochtones que visiteurs.

7. Sunrise/Sunset
Bianca Saunders Men SS23, Dries Van Noten Men SS23, Hermès Men SS23, Rick Owens Men SS23

Verre à moitié plein ou à moitié vide ? Lever de soleil optimiste ou coucher apocalyptique ? Qu’ils soient de l’aurore ou du crépuscule, ces camaïeux poétiques ont été déclinés par de nombreux créateurs, parfois en version aquarelle ou purement chromatique (Paul Smith, Hermès, Bianca Saunders, Dries Van Noten…) ailleurs en version plus techno, comme chez Rick Owens, pour qui le soleil servait également d’installation phare, avec d’immenses globes de feu venant éclater dans la fontaine du Palais de Tokyo. Belle métaphore.