La collection “YESSIR” de Igor Dieryck, lauréat du Grand Prix du Jury Première Vision, du Prix le 19M des Métiers d’Art de Chanel ainsi que du Prix du public. 

Marquée par le centenaire de la Villa Noailles, la 38ème édition du Festival de Mode, de Photographie et d’Accessoires de Hyères a vu entre autres le sacre des designers Igor Dieryck et Petra Fagerstrom, ainsi que du photographe Thaddé Comar. Retour sur une édition empreinte d’histoire, de poésie mais aussi de social et de politique.

1. Les anniversaires et célébrations
(c) Chanel

Avant de revenir en détail sur le palmarès du Festival qui a déjà beaucoup tourné, ce serait bien de s’arrêter un moment sur l’institution elle-même. Car le festival célébrait cette année plusieurs anniversaires : les 100 ans de la Villa Noailles mais également les 50 ans de l’acquisition de ladite villa par la commune de Hyères et les 20 ans de la création du centre d’art. L’occasion pour la municipalité et le centre d’organiser jusqu’au 24 janvier 2024 plusieurs expositions inédites à l’image des installations de mode comme ”Garderobe(s)”, une réinterprétation contemporaine du vestiaire de Marie-Laure de Noailles par Chanel, Daniel Roseberry pour Schiaparelli, Julien Dossena pour Rabanne, Jean Colonna et Esther Manas, ou encore un focus sur l’histoire du festival au travers de l’expo “Hyères, 1986. Les origines du festival de mode”, qui présente à la Villa Romaine une sélection d’archives sur les débuts de l’événement. Sans oublier de mentionner la maison Chanel, grand mécène du Centenaire de la villa Noailles, qui a pu permettre la tenue d’une autre exposition accompagnée d’un documentaire sur la vicomtesse de Noailles, philanthrope pionnière qui, dans les années 1930, a offert un soutien sans faille aux jeunes artistes et intellectuels néophytes ayant forgé l’histoire culturelle européenne du XXe siècle (Picasso, Man Ray etc).

(c) Chanel

Un peu comme le fondateur et directeur du festival Jean Pierre Blanc et son équipe ultra-dédiée finalement. Puisque ces derniers s’efforcent depuis près de 40 ans, de mettre en avant et de soutenir la jeune création au point d’avoir fait du festival de Hyères une référence culturelle internationale en la matière. Et c’est sans doute pour cette raison que cette édition anniversaire a pris une tournure particulière et restera dans les mémoires pour avoir opéré un changement générationnel décisif en prenant le pari de nommer Charles de Vilmorin à la tête du jury mode de cette 38ème édition. Jeune créateur, de Vilmorin a lancé sa marque éponyme il y a seulement trois ans avant un passage rapide de quelques saisons à la tête de la maison Rochas. Mais de l’aveu même du jeune créateur, son nom est encore loin d’être bien établi. “Je considère mon rôle ici comme une affaire d’échange plutôt que de jugement. Il s’agit d’une discussion entre pairs”, a-t-il indiqué.

Jean-Pierre Blanc (c) Chanel

Selon Jean-Pierre Blanc (qui au passage a aussi fêté son anniversaire de façon informelle en plein milieu du festival au détour d’un déjeuner à la Villa Romaine) cela était intentionnel, comme une décision destinée à refléter les valeurs méditerranéennes séculaires de générosité et de partage. “Dès qu’ils ont choisi Hyères, Charles et Marie-Louis de Noailles ont défendu les jeunes talents. À l’époque, Salvador Dali et Alberto Giacometti n’étaient pas encore les artistes qu’on connaît aujourd’hui, ils n’avaient que 20 ans. Aujourd’hui, on a tendance à oublier à quel point, au cours des 20 à 50 dernières années, des gens comme Azzedine Alaïa, Claude Montana, Thierry Mugler et Jean Paul Gaultier ont profondément changé les règles du jeu et changé la mode. Je pense que nous suivons ce sillage. Beaucoup de choses sont possibles dans la mode aujourd’hui qui ne l’étaient pas il y a 20 ans”, a-t-il déclaré. Werk. Jean-Pierre for ever <3.

2. Le sacre d’Igor Dieryck

Actuellement en poste chez Hermès, Igor Dieryck a triomphé lors du Festival de Hyères. La collection unisexe de ce Belge de 24 ans a raflé trois prix de la catégorie mode : le Grand prix du jury Première Vision, le Prix le 19M des Métiers d’art de Chanel, ainsi que le Prix du public de la Ville de Hyères. Diplômé de l’Académie Royale des Beaux-Arts d’Anvers, le jeune créateur a travaillé un nombre incalculable de nuits et de week-ends entier pour réaliser “YESSIR”, une collection qui canalise le glamour de l’ère du Grand Hôtel tout en explorant les règles et le symbolisme des uniformes, et comment ceux-ci changent la relation de celui ou celle qui les porte avec le monde et son environnement. En gros, esthétiquement, c’est un peu comme si les personnages farfelus d’un film de Wes Anderson s’étaient mis dans l’idée de fouler le catwalk. C’est beau, poétique, fun et engagé.

D’ailleurs, la collection s’inspire d’une expérience bien réelle car Dierych a passé des années à travailler à la réception d’un hôtel tout en faisant ses études de mode à l’Académie Royale des Beaux-Arts d’Anvers, ce qui lui a donné suffisamment de temps pour observer les interactions entre les clients et le personnel et réfléchir au concept de distance interpersonnelle et de niveaux d’importance sociale. Résultats : une cloche d’une veste de chasseur rose corsetée s’est ouverte pour révéler un pantalon taille ultra haute, un sac « plateau » surréaliste a été associé à un long gant blanc et une parka chartreuse d’inspiration streetwear a été déconstruite avec des niveaux délicatement noués ensemble et recouverts de paillettes dégradées sur la capuche, les épaules et les manches. Pour sa silhouette associée au 19M des Métiers d’Arts de Chanel, un plumeau traditionnel est devenu le fourrage pour un sweat à capuche sans plumes et en trompe-l’œil produit en collaboration avec Lemarié (le “plumeau” en question était en fait conçu à partir de mousseline jaune canari teinte à la main, effilochée et gaufrée).

Outre la dotation de 20 000 euros offerte avec le Grand Prix Première Vision, Dieryck a signé non pas une mais deux collaborations avec la division Métiers d’Art de Chanel et présentera sa prochaine collection sur le catwalk du festival de Hyères l’année prochaine. Entre temps, il fera deux collections capsules, une inclusive avec les Galeries Lafayette et une autre avec le label haut de gamme et éco-responsable ICICLE, qui débarquera en magasin au printemps prochain. Enfin, sa collection “YESSIR” sera présentée en février 2024 lors de la prochaine édition de Première Vision Paris, partenaire du Grand Prix du Jury depuis 2011, qui aura lieu en février 2024 au Parc des Expositions de Paris Nord Villepinte.

3. La consécration de Petra Fagerstrom

L’autre grande gagnante mode de cette édition 2023, c’est Petra Fagerstrom, jeune suédoise qui a remporté le prix des Ateliers des Matières parrainé par Chanel et le Prix de la collection éco-responsable Mercedes-Benz, d’abord grâce à une robe délicatement plissée recyclée à partir de tissu de parachute militaire vintage puis à du cuir usé de l’Atelier des Matières qui a trouvé une seconde vie en tant que veste d’aviateur. Le reste de sa collection s’est également concentré sur le plissé, avec des looks basés sur des pyjamas et des nuisettes imprimés avec des images qui bougent en mouvement “pour exposer les rêves de celle·celui qui les porte”. La créatrice a qualifié cette technique de “premiers essais d’animation”, un hommage à sa mère et surtout à sa grand-mère russe, ancienne parachutiste qui, après avoir aperçu une carte postale de Californie, rêvait de s’y évader. À peine récompensée, Fagerstrom se lance déjà dans sa prochaine aventure : membre du studio Balenciaga jusqu’à il y a quelques semaines, elle partagera son temps entre Londres et Stockholm en lançant sa propre ligne au printemps prochain, dans le cadre d’un programme de cinq ans avec l’incubateur de talents du Swedish Fashion Council.

4. L’engagement politique de Thaddé Comar
Thaddé Comar (c) Chanel

Diplômé de l’ECAL en Suisse, le photographe Thadde Comar a reçu le Grand Prix du Jury 7L Photographie pour son projet “How was your dream?” qui a documenté les manifestations et les tensions dans les rues de Hong Kong en 2019, un moment charnière de l’histoire, lorsque les citoyens ont protesté contre une proposition du gouvernement visant à autoriser les extraditions vers la Chine continentale. Au-delà de l’aspect documentaire de sa série, Comar a choisi de se concentrer sur l’allure et l’aspect vestimentaire des manifestant·e·s qui, pour échapper au service de reconnaissance faciale basée sur l’intelligence , ont usé d’ingéniosité pour cacher ou transformer leur visage grâce à des objets du quotidien (carte de jeu, parapluie, lunettes plexi etc) les rendant ainsi inreconnaissable par les machines de surveillance.

Thaddé Comar remporte donc un dotation de 20000 euros décerné par Chanel qui s’est investi un peu plus cette année en sponsorisant le Grand Prix du Jury Photographie qui devient désormais le Grand Prix du Jury Photography 7L. Pour info, 7L est une librairie qui a été fondée en 1999 par Karl Lagerfeld à Paris. 7L, c’est le 7, rue de Lille, dans le 7e arrondissement de Paris, soit le numéro préféré de Karl Lagerfeld. Acquise par Chanel en 2021, la librairie célèbre l’amour inconditionnel de son fondateur pour les livres et la photographie. Avec ce prix, Thaddé aura donc droit à la production d’un livre publié par les Éditions 7L, la création d’un événement de lancement du livre avec la réalisation d’une exposition à la villa Noailles lors du Festival de l’année suivante.

5. Last but not least…
Souleymane Bachir Diaw
Kin Coedel

Côté photo, cette édition 2023 du Festival de Hyères a aussi récompensé e photographe sénégalais Souleymane Bachir Diaw qui a exploré les thèmes de la masculinité et de la force dans un travail fascinant qui lui a valu le Prix de la Photographie American Vintage. Le photographe chinois Kin Coedel a quant à lui reçu le Prix du Public. Sa série de photos Dyal Thak capture l’essence de la vie quotidienne avec une sensibilité remarquable dans les communautés tibétaines. Côté accessoires, c’est Gabrielle Huguenot, qui a obtenu le Grand Prix du jury accessoires. Christiane Schwambach, a elle obtenu la Mention spéciale du jury accessoires et Victor Salinier, assistant pour les collections bijoux et eyewear au sein de la maison Balenciaga, a été désigné lauréat du Prix du public ainsi que du Prix Hermès des accessoires de mode. Grâce à cette récompense, il repart avec une bourse de 20000 euros offerte par la maison française.

Gabrielle Huguenot
Victor Salinier