Simone Rocha X JPG Haute Couture printemps-été 2024.

De Simone Rocha à Beyoncé, en passant par Schiaparelli, Jil Sander et Doja Cat, le cheveu pare désormais tous les accessoires de la saison au point de devenir la nouvelle étoffe que tout le monde s’arrache. Décryptage d’une matière qui fait décidément tourner toutes les têtes.

Alors que Beyoncé cartonne avec la sortie de son dernier album Cowboy Carter, on en oublierait presque qu’elle a dévoilé il y a quelques semaines sa marque de soins capillaires Cécred. Un lancement marqué par une énorme promo avec notamment une cover pour le magazine Essence. Ici Queen Bey, toute de bleu vêtue, pose avec ses cheveux noués autour de sa tête et de son cou à la manière d’un foulard ou d’un voile. Et elle n’est pas la seule à avoir fait de ses cheveux un accessoire car ce précepte d’un nouveau genre a aussi été observé à profusion dans le monde de la mode et de l’entertainment, que ce soit chez une Doja Cat toute chevelue lors de son set phénoménale à la dernière édition du festival Coachella ou sur les catwalks des saisons printemps-été 2024 et automne-hiver 2024/25.

Beyoncé en couverture du magazine Essence.
Doja Cat au festival Coachella 2024.

Chez Schiaparelli, le cheveu est tressé en cravate alors que chez Alexander McQueen il orne les talons des chaussures tout comme chez Jil Sander où il devient également la matière principale d’une sorte de sac perruque porté à bout de bras. Idem chez Marni où il est décliné en version chaussures et sacs duveteux. Sans oublier l’invitation du dernier défilé Dries van Noten dont le carton en arborait une mèche. Bref, le cheveu est bel et bien devenu une matière textile comme une autre, voire un accessoire à part entière sur le point de redéfinir notre (dé)goût et nos standards esthétiques. Décryptage d’une matière qui fait décidément tourner toutes les têtes.

Schiaparelli FW24
Jil Sander FW24
LE TIF ULTIME

 

Chaque saison, la collaboration entre le studio de Jean-Paul Gaultier et son·sa designer invité·e est l’un des highlights de la semaine de la couture. Et cette année en janvier, la collection réalisée par Simone Rocha n’a pas failli à la règle. Elle a même marqué davantage les esprits avec ses ces fameuses « bow earrings » en cheveux pendouillant aux oreilles des mannequins. Un accessoire inédit qui est le fruit de la collaboration entre la designer d’accessoires Stephanie D’Heygere (qui crée pour Y/project, Courrèges, APC etc) et de l’artisan-desginer Antonin Mongin. Ensemble, ils ont imaginé un nœud trompe l’œil en cheveu synthétique ainsi que des chaussures, hommage délicat aux bijoux, faits de cheveux tressés, de l’époque Victorienne. Une palette d’accessoires uniques qui n’est pas sans faire écho à l’ADN de la Maison de couture puisqu’à l’époque déjà, Jean-Paul Gaultier avait utilisé le cheveu dans ses créations. La boucle est décidément bouclée par Antonin, lui qui, après avoir eu entre les mains plusieurs matières tissables, s’est intéressé plus particulièrement au caractère intime et individuel du cheveu et a découvert il y a quelque temps un artisanat d’art oublié : celui d’utiliser des mèches de cheveux de particulier pour créer des bijoux et autres tableaux sentimentaux.

Simone Rocha X JPG HC SS24
Simone Rocha X JPG HC SS24

“Je réfléchissais à une matière qui puisse exprimer l’unique et le beau et c’est dans le travail du cheveu que je l’ai trouvé. C’est une matière étonnante et émouvante dans tous les sens du terme”, nous raconte Antonin qui a réussi le pari de réveiller cette belle endormie avec une approche plus contemporaine. Il ajoute : “c’est un matériau noble, précieux et vivant qui permet de générer des objets qui sont le plus sur-mesure possible”. Soit un matériau idéal pour la création Haute-Couture comme le prouve ladite collection JPG par Simone Rocha. Pourtant, avant d’être anobli de la sorte, le cheveu, une fois coupé et dissocié de notre tête, a souvent eu pour habitude de dégager un aspect plus bizarre que sexy. Dans le livre de la récente exposition Des poils et des cheveux aux Musée des Arts Décoratifs de Paris qui revenait sur le lien étroit entre la mode, on peut d’ailleurs lire que les cheveux coupés sont considérés “comme des déchets et continuent de provoquer une sensation de dégoût peu compatible avec l’idée d’un objet esthétique, encore moins d’un vêtement porté à même le corps. Malgré ces appréhensions, quelques créateurs choisissent de transcender ce matériau si familier en objets de mode”. Bingo cowboy.

Exposition « Des cheveux et des poils » au Musée des Arts Décoratifs à Paris : perruque tressée Marisol Suarez, 2010 (Katrin Backes).
UN POIL CHELOU

 

C’est vrai que hors de notre tête le cheveu reste quand même un objet chelou capable de provoquer des renvois (le tif solitaire dans l’assiette ou l’amas qui bouche le siphon de la douche, ça vous parle ?). Pas étonnant donc qu’à l’origine il soit utilisé et décliné par des créateur·rice·s connu·e·s pour leur esthétique weirdo et provocatrice comme Martin Margiela, Jean-Charles de Castelbajac, Josephus Thimister ou encore Charlie Le Mindu. Dans le cercle très fermé de la fringue creepy, ce coiffeur de formation et créateur de Haute-Couture Capillaire s’est fait connaître depuis 2009 grâce à ses robes et perruques complètement dingues où le cheveu est utilisé comme matière première de confection. Lady Gaga a d’ailleurs été très tôt adepte de son travail au point de porter plusieurs de ses créations sur différents red carpets. Et si par le passé Esla Schiaparelli nous avait déjà fait le coup avec une cascade de cheveux en broderies surréalistes, c’est Lee Alexander Mcqueen qui a réhabilité le cheveu dès 1992 lors de son défilé de fin d’études à la Central Saint Martins en signant ses pièces brodées (en cachette) de mèches de ses propres cheveux dans les étiquettes. Un écho à l’époque Victorienne où les prostituées vendaient, sous le manteau, leurs propres cheveux à leurs amants et où les mèches étaient aussi gardées précieusement enfermées dans des bijoux.

Les “hair tags” d’Alexander McQueen, 1992.
Les “hair tags” d’Alexander McQueen, 1992.

Car au contact de la peau, le cheveu se transformait en gris-gris délicat, servant ainsi à confectionner des déclarations tangibles empreintes de sensualité, d’amour et de loyauté. Matière à souvenirs et à tendresse, le cheveu a donc toujours écopé d’une aura presque mystique qui nourrit encore superstition et tradition comme le démontre Karl Lagerfeld, Signé Chanel. Dans ce génial documentaire signé Loïc Prigent, on voit les couturières des ateliers glisser en secret un brin de leur chevelure dans les broderies de la robe de mariée pour peut-être avoir à leur tour la chance de se marier dans l’année… Mais aujourd’hui, le cheveu tombé de la tête n’a clairement plus à se cacher, ni dans la couture ni dans le prêt-à-porter. L’exemple ultime de ce revirement de situation est sans doute la toute récente collaboration entre Maison Margiela et la marque Supreme qui ressortent cette saison, entre un antivol de scooter et un portefeuille/addition (pourquoi pas), un autre drôle d’accessoire : un toupet tout en volume et blondeur qui donnerait presque envie d’annuler un go-fast capillaire pour la Turquie. Le postiche en question, qui s’inspire en réalité des archives du défilé de Haute Couture Margiela de 2009, vient bien confirmer que le cheveu coupé et tombé du crâne, autrefois considéré comme une lubie de créateur “tordu”, a désormais gagné en popularité et désirabilité au point de se retrouver comme l’élément star de tutos DIY sur TikTok.

Le toupet de la collab’ Maison Margiela X Supreme, 2024.
Martin Margiela HC 2009.
HAPPY NEW HAIR

 

5,9 Millions de vues. C’est le nombre affiché en dessous de la vidéo de la créatrice de contenus @matchalattefrio, qui propose une version home made des “hairings”, les boucles d’oreilles en cheveux aperçues lors du défilé couture JPG X Simone Rocha FHC24 et co-réalisées par Antonin Mongin. Pour se faire et “au nom de la mode”, elle n’hésite pas à couper ses propres mèches qu’elle assemble et revêt ensuite avec quelques points de colle et un rivet pour former un ruban, coquette era oblige. Une façon de donner son corps à l’expérience tout comme Axelle Gomila. Directrice artistique, photographe, set designer et styliste de SCH (aka le plus beau plaqué de tout le rap game), cette touche-à-tout a récemment partagé sur Instagram une série intitulée “Dolls can help build character” dans laquelle l’influence Maï Lee (@mlee_sts) se love au fil des photos dans ces fibres capillaires, drapée d’extensions infinies (4 mètres) et juchée sur des hauts talons chevelus. “Le cheveu est un moyen d’expression et de beauté, nous confie Axelle Gomila. Il révèle ce qui se trame à l’intérieur de nous, nos humeurs, nos envies. C’est une forme de communication non-verbale. Lors de ma première rencontre avec Maï Lee, elle m’a expliqué à quel point ces cheveux étaient une fierté pour elle et comment ils l’habillaient au quotidien. Cette série était une manière de mettre en valeur l’aspect protecteur et symbolique de ses cheveux via l’accumulation de matière capillaire”.

“Dolls can help build character”. D.A : Axelle Gomila. Photographe : Margot Berard.

Créateur d’émotions et de messages positifs, le cheveu peut aussi être utilisé comme support pédagogique. En témoigne le riche travail de la designer Alix Bizet qui transforme ce “déchet humain repoussant et inutile” en précieuse étoffe d’un nouveau genre. Infatigable concernant cette thématique, Alix imagine des créations et des expositions capillaires pour questionner notre rapport au cheveu et à la société. L’un de ses derniers projets, baptisé Hair Matter(s), est une garde-robe troublante confectionnée à 100% avec des cheveux récupérés chez des coiffeurs partenaires. “Le cheveu est une matière intriguante de par sa nature mais aussi à travers la symbolique très forte et très codifiée qu’il dégage. Travailler le cheveu dans sa technicité et comme matériau d’art, c’est questionner la nature de notre humanité”, explique-t-elle. Pour se faire, elle s’est donc attelée à développer du feutre de cheveu en s’inspirant de techniques ancestrales pratiquée dans la création en cheveux de filets de pêche et de sandales en Indonésie ou de cordes au Japon.

“Hair Matter(s)” d’Alix Bizet.
“Hair Matter(s)” d’Alix Bizet.

De toutes les textures, longueurs et couleurs, leurs assemblages nous questionnent sur la mixité de nos origines, le poids des standards sociétaux tout en interrogeant la potentielle utilisation du cheveu comme fibre naturelle textile. Et si finalement le tif devenait la nouvelle matière textile sustainable la plus désirable du moment ? C’est en tout cas une piste de réflexion abordée dans l’un des derniers cartels de l’exposition Des Poils et des cheveux : “À l’heure où se pose la question des matières premières, le caractère renouvelable et abondant de cette fibre humaine pourrait en faire une solution textile enviable”. Aff-hair à suivre donc.