Vous pensiez que le fameux mouvement contestataire et anarchisant était mort ? C’est tout le contraire. Désobéissance civile, protestations queers, écologie… Cette figure de l’empowerment est entrée dans son nouvel âge d’ôr. Punk is not dead !

C’est peut-être un détail pour vous, mais pour nos voisin·e·s allemand·e·s ça veut dire beaucoup… Le jeudi 2 décembre 2021, après seize ans passés à la chancellerie allemande, Angela Merkel faisait ses adieux à la scène politique. En guise de BO de ses adieux, “Du hast den Farbfilm vergessen”, chanson interprétée en 1974 par l’immense icône punk est-allemande Nina Hagen, qui y fait en sous-texte la critique du bloc de l’Est coupé du reste du monde, de tout progrès et plongé dans la grisaille. Cette nostalgie punk n’a pas frappé que Mutti (“maman”, surnom d’Angela Merkel). Alors que le Royaume-Uni fêtait cette année les 70 ans de règne de la reine Elizabeth II (Rest in colonial power), le réalisateur Danny Boyle avait profité de cette occasion pour lancer cet été son adaptation en série de la vie tumultueuse des légendaires Sex Pistols (“Anarchy in the U.K.”, “God Save The Queen”). Bref, un peu partout et dans tous les domaines, on se pique pour la musique punk et son esthétisme. À commencer par celui de la mode. Car c’est bien par ce bout de fil que le punk est devenu identifiable par la masse, notamment avec Vivienne Westwood et son compagnon Malcolm McLaren, devenus les préposés au vestiaire de ce mouvement (qui connut son apogée en 1977) avec leur boutique de fringues SEX. Comme le rappelle l’ouvrage ‘Punkouture: Fashioning a Revolt de Matteo Torcinovich’ (éd. Gingko Press) : “On disait que pour être punk, il suffisait de porter tout ce qui était laid et de le combiner de la manière la plus absurde possible : (…) camisoles de force avec ceintures à chaînes et boucles à profusion, pantalons faits avec des sacs-poubelles, jupes en lambeaux maintenues ensemble par d’énormes épingles à nourrice et du ruban adhésif…” Nombreux.ses sont les marques et créateur.trice.s à s’y être engouffré.e.s : Boy, Stephen Sprouse ou Fiorucci, mais également Chanel (Cruise 2021) et Jean Paul Gaultier (Les Punks 2021).

La série de Danny Boyle.

Plus récemment, Marine Serre, la maison Givenchy, Burberry ou Versace ont plongé tête la première dans cette contre-culture, tout comme le créateur et ami de Mixte, Vincent Frederic Colombo, qui présentait en avril dernier la nouvelle collection de sa marque C.R.E.O.L.E, baptisée Queer Rasta Punk. On remarque également que les buzzcuts et crêtes teintées reviennent en force sur les crânes, pour finalement se rendre compte que c’est toute la pop culture qui s’y met : de la pop-punk servie par Avril Lavigne (le come-back qu’on n’attendait pas), Olivia Rodrigo ou Machine Gun Kelly aux nombreuses déclinaisons artistiques et esthétiques web comme le cyberpunk, seapunk, steampunk, rap-punk (Slowthai, vous voyez)… Galvaudé le punk ? Toujours est-il que même s’il s’agit de tentatives de récupérations embourbées dans les stéréotypes les plus élimés, elles ont au moins le mérite de nous rappeler que ce mouvement est aussi culturel, social et politique, où il est question de féminisme, d’anticlassisme, d’égalité de genres et de sexes, d’écologie, d’autonomie et de modes de vie alternatifs. En d’autres termes, le punk c’est ce doigt d’honneur tendu constamment à l’ordre social établi. Quant au slogan “No Future”, qui résiste à l’érosion du temps, au-delà de son pessimisme affiché, ne serait-il pas en réalité un formidable appel à l’empowerment, à l’autodétermination et au non-conformisme ? Hey oh, let’s go !

À la marge

 

Mais que désigne le punk ? Marginal.e, crasseux.se, voyou.e… D’un point de vue étymologique, c’est un véritable fourre-tout dépréciatif dérivé du latin punctum, “piqûre”. Il puise cependant sa substance chez Shakespeare qui l’utilisait dans ses pièces comme insulte misogyne : “La plus ancienne mention figure dans ‘Les Joyeuses Commères de Windsor’, sa pièce écrite aux alentours de 1597 et dont la réplique est : ‘This punk is one of Cupid’s carriers’ (‘Cette catin est envoyée par Cupidon’)”, découvre-t-on dans ‘No Future : une histoire du punk’, de feue l’autrice Caroline de Kergariou (éd. Perrin, 2017). Depuis, le punk s’est accordé un glissement de terrain plus large pour désigner finalement tous.tes ceux·elles qui se trouvent “à la marge”. Mais, contrairement aux idées reçues, “le punk ne peut pas simplement être réduit à l’image du mâle blanc avec les cheveux dressés qui porte un blouson de cuir clouté, et qui écoute de la musique à un volume excessif, écrit Craig O’Hara dans La Philosophie du punk, publiée en 1992 et réédité en 2004 aux éditions françaises Rytrut, spécialisées dans le punk. C’est une tendance de jeunesse, c’est la rébellion instinctive et le changement, c’est une redoutable expression de l’opposition”. Et peuvent se considérer fièrement punks, “les Noir·e·s, les homosexuel·le·s, les séropositif·ive·s, les classes dites inférieures, etc. tous·tes celles et ceux qui ont été amené·e·s à prendre conscience des hiérarchies ou contraint·e·s collectivement par un pouvoir autoritaire rétrograde et sérieusement destructeur.” En gros, il ne suffit pas de porter la crête et l’anneau dans le nez pour en être, mais d’avoir eu une prise de conscience (sans tomber dans les travers complotistes, cela s’entend). L’appel à déserter des étudiant.es d’AgroParisTech lors de la cérémonie de remise des diplômes en mai dernier pour rejoindre les luttes écologiques et paysannes ? Punk.

Ouvrage illustré sur les colleuses d’affiche.

Le mouvement Les Colleuses, qui s’est emparé de l’espace public pour médiatiser les féminicides ? Punk. Les zadistes de Notre-Dame-des-Landes et de Bure, mais aussi les jadistes (jardins à défendre) d’Aubervilliers contre la bétonisation enclenchée par les futurs J.O. ? Punk. Les Américain.es qui lâchent leur boulot, engendrant ce que les médias nomment la “grande démission” ? Punk. Pour le sociologue et musicien Pierig Humeau, à l’initiative de l’étude À corps et à cris : sociologie des punks français (publiée aux éd. du CNRS, 2021), “historiciser le mouvement punk, cela revient à mieux comprendre les diverses formes d’activisme des jeunes générations”. En réaction aux “désillusions de l’école, à la transformation des instances de socialisation politique, à la dégradation des conditions d’existence, à la soumission à l’ordre, à l’ouvriérisation et, plus trivialement, à la précarité et à la peur du lendemain”. La Blank Generation (génération du vide), du titre de l’album de Richard Hell & The Voidoids (1977) a fait place aux Enfants du vide, du nom de l’essai de Raphaël Glucksmann (éd. Allary, 2018). Time flies but same old shit… Mais pour autant, pas question de se vautrer dans la passivité et l’oisiveté de leurs aîné.es hippies. Le punk prône l’action et la débrouille, le fameux DIY, bien avant qu’Etsy en fasse son fonds de commerce.

L’ouvrage du collectif PIND.
Do it yourself

 

Certain·e·s seront surpris·e·s de l’apprendre, mais “Do It Yourself!” (DIY) est l’autre slogan qui colle à la peau du punk. “Jusqu’à présent, aucune autre scène musicale ne s’est faite aussi directement incitative. Aucune autre scène musicale ne semble avoir valorisé la liberté de faire avec autant de ferveur”, souligne Fabien Hein dans Do It Yourself ! ‘Autodétermination et culture punk’ (éd. Le passager clandestin, 2012). Comprenez : on n’a pas de pétrole, mais qu’est-ce qu’on a comme idées ! Ce mouvement a déployé une créativité monstre, et c’est bien celle-ci que PIND (punk is not dead), composé d’une trentaine de chercheur·se·s et artistes biberonné·e·s au punk, archive méthodiquement : “On fait de la science participative, annoncent Solveig Serre et Luc Robène, à l’initiative de ce projet lancé en 2013 sur le territoire français. C’est un mouvement qui a eu un impact extrêmement large et foisonnant. La musique, la mode, mais aussi les radios libres et les fanzines, tout ça est entré en résonance avec le punk.” Affiches de concerts, flyers de l’ancien squat La Miroiterie à Ménilmontant, enregistrements numérisés… Cette constitution d’archives œuvre à une “patrimonialisation du punk”, selon l’expression employée par leur collègue Pierre Raboud, docteur ès sciences politiques. Cette année, le groupe emblématique français Bérurier Noir a fait don à la BNF de ses manuscrits musicaux, carnets de notes et enregistrements sonores. Des expositions sont même consacrées à la production punk : Europunk à la Philharmonie de Paris en 2014 ou encore Mauvaise impression : héritage et continuité du punk qui s’est tenue entre avril et juin cette année à Rennes. Tout ça participe à la valorisation de l’héritage de ce mouvement. Et permet de se rendre compte que, parallèlement à la musique, le punk s’est énormément illustré par l’écrit, le dessin, les arts : toute cette production était fabriquée à la main, à base de collages et à l’encre parfois illisible, distribuée en indé, dans les squats ou les disquaires, gratuitement ou à un prix dérisoire. Une démarche sincère nullement motivée par l’appât du gain, qui a précédé ce que l’on appelle aujourd’hui l’“économie de la création et de la passion” répandue via les réseaux sociaux et autres plateformes de partage et de productions de contenus personnels rémunérés.

Gaze magazine.
The Future is female and queer

 

Loin de n’être qu’un boy’s club tra-shouille, l’histoire du punk a constitué dès les années 1970 une scène ouverte à l’inclusivité. Avec sa logique du “tout le monde peut tenter sa chance”, qui ne requiert pas de compétences spécifiques, hormis la volonté de hurler dans un micro sa colère et ses revendications, le punk est devenu un champ d’expression non négligeable pour les femmes et la communauté LGBTQIA+. Inspirés par des groupes comme The Electric Chairs, mené par la lead singer transgenre Jayne County, le queerpunk (aussi appelé queercore) et le mouvement féministe riot grrrl ont chanté l’identité de genre, l’homophobie, les violences sexuelles et tout ce qui est fucked up dans le système patriarcal. “Lorsque le groupe Bikini Kill mené par Kathleen Hanna s’est formé en 1990, les filles dans les concerts punk se faisaient souvent agresser et molester : dans les pogos et mosh pits, il n’était pas rare qu’elles subissent des attouchements sexuels, note la journaliste Mathilde Carton, autrice de Riot Grrrl: Revolution Girl Style Now (éd. Le mot et le reste, 2021). Leurs concerts sont devenus des safe spaces : la séquence filmée d’un de leur live où Kathleen crie à la foule : ‘Girls to the front!’ (les filles devant) est mythique.” Pour faire davantage entendre leurs voix, les punks ont recours massivement à la production de fanzines. Fin 1980-début 90, Kathleen Hannah et la batteuse Tobi Vail ont ainsi lancé les punkzines Bikini Kill, Riot Grrrl et Jigsaw, tandis que le cinéaste Bruce LaBruce a cocréé celui intitulé J.D.s consacré à la “queer punk culture”. Les premières ont pavé la voie à la tendance “grrrl zine” qui fait encore des émules aujourd’hui : par exemple, il existe un Grrrl Zine Fair anglais qui défriche les nouvelles productions papier féministes inclusives et on en décèle également l’influence auprès de jeunes publications indépendantes pilotées par des femmes et personnes non-binaires comme les revues Censored, La Déferlante ou Gaze Magazine.

Cet esprit punk, on le ressent dans l’écriture des autrices Virginie Despentes (Vernon Subutex) et Sabrina Calvo (Melmoth furieux, l’histoire d’une marginale qui, avec sa horde d’enfants vivant dans des squats de Belleville, veut foutre le feu à Disneyland Paris). Sans oublier, côté BD, Ulli Lust, qui narre ses errances de jeunesse punk dans Trop n’est pas assez, et Julie Doucet, dont les planches tirées de son fanzine punk Dirty Plotte (“chatte sale” en québécois) ont été regroupées dans l’ouvrage Maxiplotte édité par l’Association, auquel le Festival d’Angoulême a décerné le Grand Prix cette année. Malheureuse concordance des temps : avec la guerre en Ukraine et la révocation du droit à l’avortement au niveau fédéral aux USA, les Pussy Riot et les Bikini Kill reviennent sur le devant de la scène, et des jeunes pousses comme les Linda Lindas leur emboîtent le pas avec leur punk rock engagé (cf. leur titre “Racist, Sexist Boy”). Le punk, ça conscientise : “Les jeunes d’aujourd’hui s’inscrivent dans des réflexions sociales et engagements politiques et militants radicaux, souligne Solveig du PIND. Iels sont plus “straight edge” (ni alcool, ni drogues) anticapitalistes, végan.es, antispécistes et écolos (cf. le livre Le grand traité du jardin punk d’Éric Lenoir, ndlr). En cela, iels se rapprochent des principes anarchopunks.” Et de décliner leur propre constellation de nouvelles subcultures punk engagées, comme l’afropunk (cf. le documentaire éponyme de James Spooner) pour une meilleure visibilité des personnes racisées, le solarpunk pour s’offrir un rayon d’espoir anti-apocalyptique (cf. les romans SF d’Alain Damasio) ou encore le cripple punk pour une meilleure représentation des personnes handicapées. Y a pas à dire, c’est dans les vieux pots punks qu’on fait les meilleures valeurs actuelles.

Cet article est extrait de notre numéro Mixte : Empowerment, fall-winter 2022/23, paru en septembre 2022.