COLLECTION “IT WAS BETTER TOMORROW” AUTOMNE-HIVER 2020/2021

En l’espace d’une collection conçue avec un tissu fabriqué à partir de bandes magnétiques VHS, Benjamin Benmoyal s’est imposé comme la tête de file d’une jeune garde française de mode éthique et responsable.

On est en 2020, et vous pensez (à juste titre) que les VHS sont aussi périmées et désuètes que les prédictions d’Élizabeth Teissier. Jusque-là, vous avez raison. Mais vous aurez complètement tort une fois que vous aurez découvert le travail de Benjamin Benmoyal. Ce jeune créateur franco-israélien, passé par la fameuse Central Saint Martins (le Polytechnique de la mode), a développé en une technique de tissu inédite recyclant les bandes magnétiques de cassettes vidéo. Un travail qu’il a eu l’occasion de présenter en février 2020 lors d’un défilé à la Fashion Week de Paris (avant que Miss Rona ne vienne jouer les trouble-fête) et qui avait déjà tapé dans l’œil d’Alexandre Capelli, le responsable de la branche Sustainability de LVMH, alors que Benjamin n’était encore qu’un simple étudiant de deuxième année. À son sujet, le créateur déclare : “C’est vraiment lui qui m’a encouragé et soutenu sur ce projet. Je n’aurais pas continué sans son soutien. Il fait partie de mes meilleurs amis maintenant”.

Cela dit, avant de taper dans la main de Capelli, rien a priori ne destinait ce jeune créateur à devenir l’un des profils les plus prometteurs de l’innovation textile. Après un Bac scientifique passé en France, il rejoint sa famille partie vivre en Israël et démarre une école d’ingénieur en aéronautique. C’est ce que ses parents veulent pour lui, mais au bout de trois mois, c’est le pétage de plombs. Il arrête. Sans études à mener de front, Benjamin est appelé à en rejoindre un autre : le service militaire, obligatoire dans ce pays du Proche-Orient. Soit trois longues années de formation assidue et rigoureuse dans un commando parachutiste. Pourtant, c’est dans ce contexte guerrier et délétère, non loin des bombes et des attaques à la frontière syrienne, que le déclic mode se déclenche chez Benjamin. “Pendant ma dernière année d’armée, j’ai commencé à me constituer un portfolio. Je prenais deux heures sur les cinq heures de sommeil réglementaires pour dessiner et préparer ce qui allait être mon futur dossier”, explique le designer. Ce book, complété et fignolé entre chaque opération commando, il se décide enfin à l’envoyer à la Central Saint Martins. Séduit par son concept de tenues néo-militaires, l’école de mode britannique lui offre une place et Benjamin s’envole pour Londres à l’arrachée. “La rentrée était en septembre 2013 et mon service militaire ne prenait fin qu’en novembre 2013. J’ai négocié avec mes officiers pour qu’ils m’autorisent à l’abréger, explique-t-il. Ils ont finalement accepté et j’ai quitté l’armée le 28 août, pour faire ma rentrée le 2 septembre. Le crâne rasé !”

Benjamin Benmoyal

COLLECTION “IT WAS BETTER TOMORROW” AUTOMNE-HIVER 2020/2021

Sur les bancs de l’école, Benjamin découvre un univers évidemment à l’opposé des camps militaires où il avait l’habitude de se réveiller chaque matin. “Il n’y a vraiment aucun endroit qui ressemble à Central Saint Martins, c’est la liberté totale là-bas”, reconnaît-il. C’est donc dans cet environnement libre et boosteur de créativité, mais aussi en prenant la mesure de son parcours contrastant avec celui des autres élèves, que lui vient l’idée de son grand projet mode réalisé à partir de bandes magnétiques VHS – objet qu’il a manipulé toute son enfance comme bon nombre de personnes de sa génération accro au combo télé/magnéto. “Pour mes études, je devais trouver un projet à développer et sur lequel travailler. J’ai choisi les bandes magnétiques de cassettes VHS car mon idée était de prendre quelque chose de nostalgique pour le mettre au goût du jour, explique-t-il. Pour moi, c’était comme retrouver mon innocence d’enfant. Je voyais tous ces gens, tous ces élèves autour de moi, candides, ignorant tout de la guerre. Et j’en étais jaloux.” Ainsi naît “It Was Better Tomorrow”, son projet d’études développé tout au long de sa scolarité, qui finalement a pris la tournure d’un concept philosophique et sociologique qu’il mènera à bien coûte que coûte.

Même après avoir pris une année de césure pour travailler chez Hermès et Alexander McQueen, alors qu’il doit retourner en cours, Benjamin décide de s’octroyer une nouvelle année sabbatique pour développer concrètement son projet. “Je voulais lancer mon produit et éventuellement ma marque, mais je savais que mon tissu n’était pas viable commercialement car je faisais tout à la main, indique-t-il. Il fallait que je trouve une solution pour l’industrialiser tout en gardant cette notion de recyclage avec la récupération de bandes magnétiques.” Résultat, Benjamin se met en quête d’une usine capable de produire sa technique de tissu. Enfin le bon partenaire trouvé, il reste trois mois à ses côtés pour mettre au point la meilleure façon de tisser et coudre ses bandes afin d’en faire un tissu respirant et fluide qui soit agréable à porter. “J’étais ravi. J’avais fini par développer ma technique et je pouvais enfin retourner à la Central Saint Martins pour achever ma dernière année. Le problème, c’est que je n’avais plus d’argent pour payer l’école.” Qu’à cela ne tienne ! Pour continuer à payer ses études – qu’il avait initialement financées en grande partie grâce à une prime de l’armée versée en dédommagement de la perte auditive à une oreille après une explosion –, Benjamin participe au concours des bourses LVMH Grand Prix à l’école Central Saint Martins et, spoiler alert, le remporte haut la main. Un contexte idéal pour finir tranquillement son cursus avant de se lancer en solo.

COLLECTION “IT WAS BETTER TOMORROW” AUTOMNE-HIVER 2020/2021

“Je ne crois pas à une mode entièrement écoresponsable. Il y aura toujours des transports et des intermédiaires… Mais on peut au moins s’assurer que les vêtements sont faits dans des conditions éthiques et transparentes.”

Histoire de mener à bien sa production, d’anticiper les commandes et de pouvoir répondre à la demande, Benjamin est allé chercher les bandes magnétiques là où elles se trouvaient, c’est-à-dire partout dans le monde. “Au début, je récupérais les cassettes VHS dans ma famille, principalement chez mes grands-parents. Mais il m’en fallait toujours plus. J’ai donc tout simplement cherché où elles étaient fabriquées. J’ai trouvé plusieurs usines qui avaient des stocks dormant depuis dix, quinze ans. Mais la plupart de leurs VHS étaient stockées dans de mauvaises conditions. Je les ai quand même rapatriées de plusieurs pays comme les États-Unis, la République tchèque ou l’Angleterre – je suis même allé toquer en personne à la porte d’une usine chinoise qui ne me répondait pas ! Pour que les bandes soient réutilisables, je les ai fait déshydrater avec un déshydrateur (machine qui sert à la base à déshydrater les fruits, ndlr). Avec le stock qu’il me reste actuellement, je peux encore faire 10 000 kilomètres de tissu !”

De quoi montrer l’exemple et mettre à l’amende une bonne partie de l’industrie de la mode qui a encore du mal à intégrer des concepts d’écoresponsabilité dans ses processus de fabrication et de production. “Je ne crois pas à une mode entièrement écoresponsable. Il ne faut pas se voiler la face, même si on fait du tissu recyclé et fabriqué en France, il y aura toujours des transports et des intermédiaires, reconnaît le créateur. Mais on peut au moins s’assurer que les vêtements sont faits dans des conditions éthiques et transparentes. Et je ne pense pas que cela soit utopiste.” Pour Benjamin, une mode éthique, qui prend en compte le recyclage et l’upcycling, c’est la vraie révolution que l’industrie attendait. “C’est là que se trouve le futur et l’innovation. Il y a même des gens qui expérimentent des nouvelles manières de teindre les vêtements grâce à des bactéries. C’est génial, s’exclame-t-il. Aussi, d’un point de vue marketing, je crois que les marques sont maintenant obligées de prendre le coche car nous, les jeunes créateurs nous avons l’opinion publique de notre côté. Celles qui avaient suivi tout notre travail au niveau de la représentation et de la diversité, notamment. Elles se mettront à tout ce qui est écoresponsable, j’en suis convaincu. Je suis optimiste à ce sujet”. L’optimisme, c’est bien ce qui caractérise Benjamin. Surtout quand, comme lui, on essaie aujourd’hui en tant que jeune créateur de lancer sa marque. “Par principe, tu sais que si tu crées ton propre label, rien ne va être facile. Il va falloir te battre et compter dix échecs pour une réussite”, assène-t-il. Pas faux, surtout lorsque la pandémie de Covid-19 pointe le bout de son nez et que les projets s’annulent les uns après les autres, fragilisant une structure encore naissante.

“Plusieurs boutiques ont annulé leurs commandes. J’avais aussi fait la robe de Juliette Binoche pour le Festival du Film de Tribeca à New York, qui a été déprogrammé. Un autre gros projet que j’avais, c’était avec Warner Bros. Je devais habiller les actrices du film Wonder Woman 2 pour une avant-première au mois de juin dernier, mais rien ne s’est passé comme prévu. Démarrer sa première collection là-dessus, c’est pas l’idéal ! Mais j’essaie de positiver : je n’ai pas d’employés, donc je n’ai pas de charges à payer. Je ne m’en sors pas trop mal au final.” Optimiste, on vous dit. Avant la reprise d’un semblant de vie normale post-corona, Benjamin peut se rassurer en se disant qu’il a intégré La Caserne, un projet financé par la Mairie de Paris, soit le premier incubateur de mode responsable dans la capitale conçu pour aider les créateurs à développer leur business. “C’est une super nouvelle. Je vais pouvoir être aidé financièrement. Et rien qu’au niveau des machines, pour tisser et concevoir mes tissus, on pourra me fournir les derniers modèles à la pointe. Ça soulagera mes stagiaires qui se paient des tendinites !”

COLLECTION “IT WAS BETTER TOMORROW” AUTOMNE-HIVER 2020/2021