Portrait de Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant, duo à la tête de Coperni, photographié par Gorka Postigo.

Fascinés par l’expérimentation et l’innovation technologique, Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant, le duo à la tête du célèbre label Coperni, semblent bien partis pour façonner avec poésie le futur de la mode et de la pop culture.

Devenir la nouvelle sensation du milieu de la mode n’est pas donné à tout le monde. Pourtant, c’est bien ce qui est arrivé à Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant, fondateurs du label Coperni, depuis qu’ils ont breaké les internets le 30 septembre 2022 après avoir aspergé une Bella Hadid nue d’un liquide blanc qui s’est instantanément solidifié en robe sous les yeux médusés des invité·e·s présent·e·s à leur défilé Printemps-Été 2023. Un happening mode dont les images ont fait le tour du monde et qui, par la même occasion, a fait entrer Coperni au panthéon de la sape. Bref, à l’époque, tout le monde gag, comme si les deux créateurs et leur mode technologique étaient sortis de nulle part. Mais c’était oublier que les deux hommes qui incarnent Coperni se sont fait une spécialité depuis plusieurs années de proposer une mode intelligente, portable, low-key et désirable upgradée à coups d’innovations techniques, voire scientifiques, dont eux seuls ont le secret. Pas étonnant, d’ailleurs, que ces ingénieux de la fringue se soient inspirés du célèbre astronome Copernic (vous savez, ce théoricien de l’héliocentrisme qui nous a fait comprendre qu’on n’était pas le centre de l’univers) pour baptiser leur marque. Leur but ? Nous montrer que, dans leur monde, mode, science et technologie sont intrinsèquement liées, comme le prouvent leur Mini Meteorite Swipe Bag, un sac à main créé à partir de fragments de météorite lunaire, ou encore leurs vêtements confectionnés avec des tissus antibactériens. À l’image d’un Paco Rabanne, d’un Pierre Cardin ou d’un André Courrèges, obsédés dans les années 1960 par l’innovation et la conquête spatiale, le couple formé par Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant est indéniablement animé par un esprit de découverte. Mais aussi par une volonté de redéfinir les silhouettes et les codes vestimentaires de notre époque, pour mieux anticiper ceux que nous adopterons demain. Une doctrine qu’ils suivent rigoureusement depuis qu’ils se sont rencontrés il y a quinze ans, à l’école de mode Mod’Art. C’est là, qu’à peine diplômés, ils décident de lancer en 2013 le label Coperni, qui sera récompensé un an plus tard du Prix Première Collection de l’Andam, avant d’être nommés finalistes du Prix LVMH 2015. Une exposition médiatique soudaine qui leur permet alors d’être sollicités pour reprendre la direction artistique de la maison Courrèges (tiens, tiens) jusqu’en 2017. Après un petit hiatus imposé de trois ans, durant lequel Coperni est mis sur pause, le duo relance pour de bon son label en 2018, lui permettant ainsi de prendre pleinement son envol et de s’imposer comme l’une des marques les plus audacieuses et innovantes de notre époque.

Coperni FW23

Coperni FW23

Mixte. Vous fêtez cette année, les 10 ans de Coperni que vous avez lancé en 2013 au sortir de vos études. C’est ça ?
Sébastien Meyer.
C’est marrant, je me suis fait cette réflexion l’autre jour. Mais en fait, il n’y a pas vraiment une décennie…
Arnaud Vaillant. Oui, c’est vrai. Si on compte les trois années où on a mis Coperni en pause pour s’occuper de la direction artistique de Courrèges, ça ne fait pas vraiment dix ans.

M. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la marque après cette quasi-décennie ?
A. V.
 C’est beaucoup de plaisir et de fierté… Ça fait quinze ans qu’on est ensemble, Sébastien et moi, et c’est génial de voir tout ce qu’il s’est passé et tout ce qu’on a pu réaliser pendant ces années ! Prix Première Collection de l’Andam en 2014 – qui a été un super tremplin –, finalistes du LVMH Prize en 2015, direction artistique de Courrèges pendant presque trois ans, pour finir par véritablement lancer Coperni il y a cinq ans : on est très heureux.
S. M. C’est génial de voir à quel point en étant jeunes créateurs en France, on a pu s’épanouir et créer un nouvel univers qui a trouvé écho auprès du public et du marché. C’est assez fou qu’on ait aujourd’hui une audience et une résonance pareilles.

M. Est-ce que cette fameuse pause “Courrèges” a permis à Coperni d’être ce qu’elle est aujourd’hui ?
A. V.
 Absolument. On a tellement appris… Et on ne regrette absolument rien. C’était génial comme expérience. Mais c’est vrai que la première version de Coperni était très freestyle. À l’inverse, chez Courrèges, on avait une centaine d’employés. C’était énorme. Aujourd’hui, Coperni est un peu entre les deux et on est très à l’aise avec ce qu’on vit parce que c’est quelque chose qui grandit et qui commence à représenter un beau chiffre d’affaires et de belles quantités, tout en restant très familial.
S. M. On a toujours été un peu passionnés de science, d’innovation et de technologie. Du coup, l’étape Courrèges, de par son histoire, son héritage et aussi son esthétique space age, nous a permis de renforcer cet aspect dans notre marque. C’est comme si on avait pioché des choses ici et là et qu’on s’était nourris de cette énergie développée par son fondateur André Courrèges, qui était ingénieur avant d’être couturier.
A. V. Au final, aujourd’hui tout fait sens. Coperni, c’est un mix d’innovations, de créations très féminines et parfois un peu plus masculines. C’est du tailleur, du flou, des accessoires expérimentaux… On fait vraiment ce qu’il nous plaît, avec une identité qui nous est propre et qui pourrait s’apparenter à une sorte de fashion tech racée ultra-contemporaine.

Coperni FW23

Coperni FW23

M. Vous avez parlé du Prix de l’Andam et du LVMH Prize qui vous ont aidés à développer votre marque. Que pensez-vous de l’industrie de la mode française qui, grâce à ces initiatives, permet de plus en plus à de jeunes créateur·rice·s de se lancer et de s’exprimer ?
A. V.
C’est une super opportunité, c’est évident. Mais ça reste quand même très compétitif. Quand tu regardes le calendrier de la fashion week parisienne, il y a au moins une dizaine de défilés par jour. Malgré tout, on est encore dans un contexte où il faut se battre pour faire sa place. Et je crois que ça passe notamment par le fait d’avoir des idées fortes et marquantes qui, amplifiées et relayées par les réseaux sociaux, permettent de créer du désir et une véritable communauté.
S. M. Je crois que le fait d’être de jeunes créateurs indépendants nous donne aussi une liberté folle et une agilité toute particulière. On peut se permettre plus de choses et oser davantage. Comme cette fois où on avait eu l’idée de faire un défilé drive-in pendant la pandémie de COVID-19. À l’époque, on était régis par les restrictions sanitaires et la distanciation sociale. Alors, on a eu l’idée de ramener tout un tas de bagnoles au milieu de la fosse de l’Accor Arena à Bercy. C’était une véritable prise de risque, et ça a payé.

M. Comme cette fois, en 2022, où vous avez breaké internet et le milieu de la mode avec votre Spray Dress, peinte en live sur Bella Hadid nue. C’était un véritable moment de pop culture, qui vous a fait connaître dans le monde entier. Une fois la frénésie retombée, comment on perçoit et analyse tout ça ?
S. M.
 Honnêtement, on n’avait pas imaginé que ça aurait ce succès. On pensait même que ça ferait un énorme flop. On avait trop peur. Même le lendemain, on s’est réveillés en ne captant pas trop ce qu’il se passait. Ça a fait le tour du monde, bien au-delà des médias mode. On parlait de nous sur CNN, Forbes…
A. V. C’était un moment juste magique. On est hyper reconnaissants et heureux d’avoir pu vivre ça. Et avec Bella en plus, c’est exceptionnel. Quand je revois les images, je me dis que c’est si poétique. Un moment hors du temps qui restera gravé dans les mémoires. La vérité, c’est qu’on ne vend pas des robes en spray, donc avec ce genre de performance et de happening, on a voulu montrer que Coperni était aussi une plateforme nous permettant de nous exprimer sans contrainte, de raconter notre passion de la mode et notre attrait pour l’innovation. Avoir pu faire tout ça en même temps, c’était magnifique.

M. Vous avez ressenti une forme de pression à devoir réitérer un tel événement lors de vos défilés suivants ?
S. M.
Pour le défilé de la collection automne-hiver 2023, les gens nous attendaient au tournant. C’est sûrement pour ça que certains nous ont accusés de vouloir reproduire le buzz – au détriment du vêtement, selon eux –parce qu’on avait décidé de mettre en scène des robots chiens Spot de Boston Dynamics au côté des mannequins sur le catwalk. Mais les personnes qui nous font ce type de reproches sont souvent les premières à sortir leur téléphone pendant le show pour filmer. C’est peut-être à elles de commencer par poser leur téléphone pour apprécier le moment présent et l’expérience qu’on leur offre. Je trouve que c’est une forme d’hypocrisie.
A. V. Chez Coperni, on a la chance d’avoir Sébastien qui est un mec hyper créatif, avec plein d’idées et des rêves de science-fiction. Chaque saison a sa particularité. La prochaine sera sans doute moins show-off et conçue avec une approche plus intellectuelle. On veut surtout raconter des histoires et offrir une expérience en allant là où les gens ne nous attendent pas nécessairement. Alors, oui c’est un exercice assez difficile puisqu’on doit vachement se réinventer, que ce soit dans les formes, les matières, les silhouettes, les coupes, les présentations… Mais c’est ce qu’on veut pour notre communauté. Le principal pour nous, c’est d’apporter constamment de nouvelles idées. Peu importe si elles semblent moins spectaculaires. On ne veut pas perdre cette magie-là.

Coperni FW23

M. En parlant de magie, il y a eu un truc de fou cette année aussi, quand Beyoncé
a choisi de porter un look que vous lui avez créé sur mesure pour sa tournée Renaissance. Comment c’est arrivé ?
S. M.
Son équipe nous a contactés quelques semaines avant le début de la tournée. On était super excités par l’idée, mais on a hésité à cause des délais très courts. Ça signifiait faire travailler notre atelier uniquement pour elle, ce qui nous obligeait à mettre en pause la production de notre collection. C’était risqué, puisqu’on n’avait aucune garantie que la tenue soit finalement sélectionnée et portée par Beyoncé pendant sa tournée. Mais c’est une telle icône, qu’on a décidé de le faire sans savoir si ça aboutirait. On ne nous a tenu au courant de rien, et on a découvert comme tout le monde qu’elle portait dès sa première date la robe et le manteau argenté·e·s qu’on lui avait créé·e·s. Là, on s’est dit qu’on avait eu raison de le tenter.

M. Vous êtes aussi connus pour créer des pièces et accessoires uniques en leur genre : des vêtements confectionnés à partir de tissus hydratants qui protègent la peau des rayons UV, votre Swipe bag en verre soufflé ou en or, une robe fabriquée avec des morceaux de verre. D’où vous vient ce goût prononcé pour l’expérimentation et la technologie ?
S. M.
Ça vient plutôt de moi. Arnaud a un côté beaucoup plus pragmatique et traditionnel. À vrai dire, je ne sais pas pourquoi mais j’ai toujours eu cette obsession d’innover. En tout cas, je crois qu’en tant que créateurs notre rôle est de dépasser les limites.
A. V. En fait, on aime bien réagir à l’actualité en pensant à des idées qui résonnent avec notre époque et qui pourraient l’améliorer. C’est en grande partie ce qui nous inspire. Comme la fois où, pendant la pandémie de COVID-19 on a eu l’idée de créer des vêtements avec des tissus antibactériens, histoire de protéger nos corps du virus ambulant.

M. Vous semblez incarner une certaine audace créative, que ce soit dans vos créations, vos idées ou vos innovations.Quelle serait votre définition de l’audace ?
S. M.
En ce qui nous concerne, je dirais que l’audace est liée à une forme de générosité et d’honnêteté. Car être audacieux, c’est souvent l’expression première d’un élan spontané, sans retenue. C’est vouloir découvrir, explorer et donner aux gens quelque chose d’un peu nouveau, d’excitant. A contrario, quand on cherche volontairement à paraître audacieux, on perd justement cet aspect instinctif.
A. V. Je dirais aussi que l’audace est liée à une forme d’agilité, à cette faculté de s’adapter, de confronter ses peurs et de dépasser ses limites. C’est expérimenter et, à terme, casser les codes en proposant quelque chose qui n’a jamais été fait.

Cet article est originellement paru dans notre numéro fall-winter 2023 AUDACITY (sorti le 26 septembre 2023).