Défilé Marine Serre Aw20/21

Annulation des défilés, ralentissement de la production, décalage des événements : touchée de plein fouet par les conséquences de l’épidémie de coronavirus, l’industrie de la mode doit se préparer à un avenir incertain et repenser les bases de son fonctionnement.

C’est officiel : la première “fashion victim” du coronavirus s’appelle Nga Nguyen. Cette riche héritière vietnamienne habituée aux mondanités du monde de la mode (défilés, Met Gala…) est rentrée au Vietnam contaminée par le Covid-19 après avoir assisté aux derniers défilé Gucci à Milan et Saint-Laurent à Paris. Cette dernière a même raconté sa mésaventure cette semaine au New York Times qui en a profité pour la qualifier de “patiente zéro du coronavirus de la mode” (sic).

Si Nga Nguyen avait été plus prudente, elle aurait peut-être eu l’idée de se protéger le visage à l’image  de beaucoup d’invités présents au défilé, tout comme les mannequins du dernier défilé de Marine Serre qui ont déambulé sur le catwalk avec des masques de protection. Une sorte de prédiction et d’avertissement involontaires de la part de la jeune marque française qui, à travers ses collections, a toujours voulu illustrer le spectre d’un monde futur post-apocalyptique faisant face à une guerre mondiale, une crise climatique ou une épidémie (rayez les mentions inutiles).

Si la mode est évidemment plus touchée que les autres industries, c’est parce que les deux plus gros foyers du virus touchent actuellement deux parties du monde essentielles au bon déroulement de la chaîne de production mode : la Chine, où le groupe LVMH réalise pas moins de 30% de son chiffre d’affaires, et l’Italie du Nord, moteur de l’industrie textile en Europe. Avec les moyens mis en oeuvre par les différents gouvernements (confinements, télétravail, quarantaine, fermeture des usines et des administrations), la mode et le luxe se retrouvent dans une situation inédite depuis la crise financière de 2008. Selon une étude du cabinet de conseil BCG en collaboration avec la banque Bernstein et l’association Altagamma, le coronavirus pourrait faire chuter les ventes mondiales de luxe de 30 à 40 milliards d’euros cette année.

Fashion week de Paris, Février 2020. Photo : Nathan Merchadier

 

Même ambiance à Milan marquée par l’absence des journalistes, acheteurs et influenceurs chinois lors de sa fashion week mais aussi par la baisse de fréquentation des boutiques de luxe (manque de touristes oblige), avant que ne soit imposé un mois entier de confinement, bloquant ainsi les usines et la production des secteurs textile et maroquinerie du pays. Des mesures qui ont forcé beaucoup de marques à repenser leur budget, leur chaîne de production et leurs priorités dans les mois à venir : Gucci a par exemple décidé de fermer temporairement ses sites de productions en Italie.

Un effet domino qui, au-delà de la production, affecte aussi les évènements et les rendez-vous majeurs de l’industrie. La majorité des défilés croisières – normalement prévus en avril et en mai – ont été annulés ou décalés à une date incertaine (Gucci, Hermès, Prada, Chanel, Versace…), faisant suite aux premières annulations des défilés Armani à Milan puis A.P.C. et Agnès B à Paris. Dans le monde, plusieurs fashion weeks comme celle de Shanghai ou de Tokyo ont été annulées ou reportées alors qu’à New York le Fashion Institute of Technology et la Parsons School (les Havard de la mode) ont décidé d’annuler leurs cours. Tout ça pendant que Naomi Campbell prend l’avion en totale combinaison de protection et que le groupe Kering tente de sauver ce qu’il peut en ayant annoncé avoir fait don de 2 millions d’euros à des organisations de santé italiennes qui luttent contre le coronavirus.

Fashion week de Paris, Février 2020. Photo : Nathan Merchadier

Hormis l’aspect purement sanitaire et économique, l’épidémie de coronavirus est peut-être pour certains le moment de repenser notre mode de fonctionnement, de production et de consommation. Selon Anne Sophie Alsif, chef économiste du Bureau d’Informations et des Prévisions Économiques récemment invitée à s’exprimer au micro de RTL, l’épidémie de coronavirus va engendrer “une nouvelle manière de voir la mondialisation” et va amener sans doute à “repenser une relocalisation du processus de production au plus près des consommateurs”.

Et si le coronavirus était aussi là pour nous nous dire de réduire notre surproduction et notre consommation à outrance, d’arrêter notre course constante au profit et d’enfin commencer à ralentir la cadence ? “Ces dernières années, l’idée du temps a dominé les discussions au sein de la communauté mode. Tous ces échanges ont été centrés sur l’accélération de la production, la circulation et la consommation de la mode au 21e siècle” a reconnu Andrew Bolton, curateur du Metropolitan Museum of Art’s Costume Institute dont la prochaine exposition nommée “About Time: Fashion and Duration” va justement se concentrer sur la notion de temps dans le domaine de la mode. Coïncidence ? Je ne crois pas. Après tout, c’est bien la très sage Sonia Rykiel qui disait : “Dans les moments les plus sombres, nous avons besoin d’une pause”.