Chez Lynch, tout est lié, il n’y a pas de séparation entre les différents médiums, entre les diverses façons de s’exprimer. “J’ai commencé par la peinture, par l’art, quand j’étais étudiant à Philadelphie. Je dessinais, j’expérimentais beaucoup de choses, parfois même avec des animaux morts. J’ai toujours été fasciné par la dégradation des corps, la manière dont ils se délitent, organiquement. Une fois, j’ai trouvé une petite souris morte, et j’ai eu envie de la plonger dans un pot de résine. Les jours passaient, et j’observais ce corps se transformer dans la résine, c’était tellement beau… Le beau est souvent là où l’on ne l’attend pas. Les gens sont en fait éduqués pour aimer un certain type de beauté, et rejeter d’autres choses considérées comme moches, comme laides. C’est totalement idiot. La beauté n’est pas forcément là où on l’attend. Il faut juste avoir les yeux ouverts, regarder autour de soi avec attention. Sur le bitume, dans un coin d’herbe, il se passe tellement de choses. C’est incroyable. Je peux rester des heures à regarder un bout de trottoir, et voir les choses changer avec la lumière… Mon inspiration se balade alors. Je ne trouve pas vraiment d’idées lorsque je rêvasse, c’est plutôt en observant la vie autour de moi, en écoutant un morceau que j’aime et mes ressentis qu’elles me viennent…” Toute sa vie, David Lynch a suivi cet instinct, cette voix mystérieuse qui est à la base, au fondement de sa vision du monde. Il n’est jamais allé contre ce qu’il pouvait ressentir. C’est ce mode de travail qui l’a poussé à créer de petites animations lorsqu’il était étudiant. Alors, il a découvert que filmer des œuvres pouvait produire des effets nouveaux, inédits et forts. C’est en suivant cette voie qu’il est ensuite passé au cinéma, en écrivant, produisant et réalisant Eraserhead. Il travaillait alors la journée pour économiser et investir tout son argent dans la création de ce film majeur, fondateur de son univers. Plus de six années à filmer, à s’arrêter, et à reprendre le tournage. Ces images devenues cultes continuent à hanter l’ensemble de son univers. Au regard de ses lithographies et gravures, cela apparaît comme une évidence. “Ce film, cette œuvre, est ma création la plus philosophique. Les gens sourient souvent lorsque je dis ça, mais c’est vrai. C’est Eraserhead qui m’a ouvert les portes.” David Lynch se lève, il est l’heure de déjeuner, il sort dans la rue, marche quelques mètres et s’assied à la terrasse de la crêperie qu’il affectionne. Il a ses habitudes, qui font partie d’une discipline toute personnelle. À une époque, à Los Angeles, il allait déjeuner tous les midis chez Bob’s Big Boy, commandant chaque jour un sandwich au thon. À Paris, il aime manger sa crêpe jambon fromage. Les passants le reconnaissent parfois, alors il se plie à leurs désirs, se laisse prendre en photo, signe chaque autographe avec un sourire lumineux : “C’est grâce à tous ces gens que je suis là aujourd’hui, que je suis devenu ce que je voulais être. Je ne l’oublierai jamais. Gratitude envers ces gens qui aiment mon travail, et qui m’accordent leur attention, leurs sentiments.”