Éloge de la lenteur
Vous l’aurez compris, selon les codes de la mode aérienne, notre nouveau souffle passera par le fait de réinvestir le corps pour mieux le libérer des contraintes physiques et idéologiques. À condition de trouver le bon rythme, ce qui ne semble pas si facile dans un monde effréné qui tourne à 2000 à l’heure. Alors pourquoi ne pas se mettre sur pause et flotter nonchalamment comme pour défier la pesanteur ? C’est ce qu’ont fait plusieurs marques lors des dernières fashion weeks SS24. Chez Y/Project, les mannequins à la démarche suave étaient guidé.e.s par une musique d’opéra et sur le show Peter Do, elle·il·s prenaient le temps de faire un tour sur elles·eux-mêmes et de prendre la pose avant de quitter le podium tranquillement. Bref, sans forcément quitter la terre ferme (on n’est pas dans The Avengers non plus), les tops adoptaient clairement une démarche au rythme plus lent et plus calme, évoquant une forme de flottaison dans un moment suspendu. C’est notamment le cas au défilé Givenchy, où les modèles ont pris leur temps pour fouler le catwalk immaculé, faisant ainsi planer une atmosphère plus douce, à l’image du set design du show : une énorme structure en toile blanche épurée surplombant le lieu du défilé tel un nuage.
D’autres comme Rick Owens ont préféré habiller l’air de façon poétique en le colorant, sur le parvis du Palais de Tokyo, de fumigènes roses et jaunes, histoire de dénoncer les problèmes qui polluent notre société, like litterally (on se souvient du nuage orange provenant de feux de forêts au Canada qui avait enveloppé New York et rendu son air irrespirable). Le message est clair : on veut nous faire prendre le temps de respirer et de ralentir ce rythme effréné qui nous tape sur le système. La mode, deuxième industrie la plus polluante au monde, nous inviterait donc à embrasser une certaine lenteur en marchant plus doucement et légèrement ? Tu gag. Cela dit, la mode, comme David Le Breton, en connaît un rayon sur la façon de marcher. Auteur de Marcher : éloge des chemins et de la lenteur, le sociologue y développe l’idée selon laquelle la marche peut être un vecteur d’affranchissement : “Marcher, écrit-il, c’est ralentir, c’est-à-dire résister aux injonctions d’une modernité de plus en plus speed”, avant d’ajouter : “C’est un long voyage à ciel ouvert et dans le plein vent du monde, dans la disponibilité à ce qui vient.” Plus qu’un acte militant, le laisser-aller peut même être une façon de se découvrir, de se révéler à soi et, avec un peu de chance, grâce à des vêtements qui nous accompagnent dans cette rêverie, à l’image de ceux de Loro Piana. Experte en mailles fines, la marque italienne propose son cardigan “Air The Gift of Kings”, fabriqué avec la laine la plus fine du monde, ou encore ses vêtements en soie estampillé d’un “silk air”. Le genre de nom qui ne trompe pas.