Jeanne Friot FW25

Réhabilité un temps dans son style le plus lol et absurde par les Y2K pour amuser la galerie sur les réseaux sociaux, le T-shirt à message s’impose à nouveau dans la rue et sur les podiums sous sa forme originale la plus radicale et politisée.

En 2025, on n’exprimera plus ses réflexions personnelles en ligne mais revendiquera le vêtement comme l’ultime support à notre liberté d’expression. Une leçon de style qui ne date pas d’hier (on se souvient du “We should all be feminists” chez Dior en 2015 et empruntée à l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie), mais qui a été ravivée lors des Fashion Weeks homme en début d’année. Pour son premier défilé à Paris en janvier, le créateur américain d’origines mexicaines Willy Chavarria clôturait son show flanqué d’un T-shirt sur lequel on pouvait lire “How we love is who we are”, un message clair d’affirmation de soi et de soutien à la communauté LGBTQ+ à destination du nouveau locataire de la Maison Blanche, occupé avec ses copains à effacer toute trace des minorités des documents et sites des institutions américaines.

Willy Chavarria FW25
Patricio Campillo FW25

C’est aussi en réponse aux mesures transphobes de Potus que le créateur Conner Ives est venu saluer à la fin de son show automne-hiver 2025 dans un T-shirt affichant “Protect the dolls” — le terme “dolls” est emprunté à la scène Ballroom et pour désigner les femmes transgenres ¬— faisant ainsi tristement écho à la récente affaire du passeport de l’actrice Hunter Schafer qui s’est vue “mégenrée” en homme par l’administration américaine. Également adressé à l’homme orange américain, le sans équivoque “El Golfo de Mexico” inscrit noir sur blanc un T-shirt de Patricio Campillo lors de la semaine de la mode new-yorkaise en février, histoire de dénoncer sa décision absurde et impérialiste de le renommer “Golfe de l’Amérique”… Chez le duo de créateurs EgonLab, on a vu l’un d’entre eux porter un T-shirt inscrit d’un “Witch Please”, le terme “sorcière” faisant écho à leur collection FW25 “S4LEM”, baptisée ainsi pour dénoncer la chasse aux sorcières actuelle (et les politiques conservatrices et rétrogrades qui vont avec) envers les personnes marginalisées. Plus sarcastiques, les “Slut for Socialism”, “Fashion not Fascism”, “Not in the Mood”, entre autres, affichées sur les hauts de l’Anglais Ashish et inspirées des artistes féministe et queer Linder Sterling et Sands Murray Wassink. Quant à la créatrice française Jeanne Friot, elle lançait sur le catwalk ses mannequins habillé-es de T-shirts affichant noir sur blanc (et vice versa) que “Love is like punk not dead” ou encore “A Woman is Somebody, not Some Body”.

Jeanne Friot FW25
EgonLab FW25

Dans ses notes d’intention accompagnant cette collection automne-hiver 2025, on pouvait lire “qu’être réduit au silence, c’est ce qui permet au système patriarcal de prospérer, de raconter tranquillement l’Histoire à sens unique et imposer sa vision.” Contrairement aux années précédentes où le T-shirt à message prêtait à sourire (pensez à Victoria Beckham et son “My Dad had a Rolls-Royce” issu du documentaire Netflix sur son mari David où il lui tire les vers du nez quant à ses origines bourgeoises, le “I Told Ya” imaginé par JW Anderson pour Loewe et porté par le casting du film Challengers, ou encore le “Nepo Baby” porté par Hailey Bieber en écho à l’article grinçant du New York magazine sur les fils et filles de), et dans un microcosme plus enclin à satisfaire les actionnaires et les clients fortunés, le T-shirt prend de plus en plus le risque de prendre position. Chaud pour intégrer le tee party ?

Le designer Conner Ives et son t-shirt “Protect the dolls”
T-shirt Loewe “I told ya” pour le film “Challengers”
Une histoire coton

 

C’est à une époque chamboulée et où les conventions sont remises en question (poke les années 1960) et où l’on a beaucoup de choses à dire et à revendiquer (sur la guerre au Vietnam, le nucléaire, l’amour, les droits civiques, etc.), que le T-shirt à message se fraye un chemin dans les garde-robes de militant·e·s pacifistes américain·e·s mais aussi de hippies pour qui “Peace & Love” devient un mantra universel. Dix ans plus tard, le voilà qui roule sa bosse à Londres, plus précisément dans la boutique de fringues SEX de Vivienne Westwood et Malcolm McLaren, affichant fièrement un “Destroy” tel un doigt d’honneur adressé au fascisme. Fonctionnant par décennies, c’est en 80 qu’il trouve sa plus fervente défenseure en la personne de l’artiste activiste Katharine Hamnett, connue des Britanniques pour être celle qui a osé arborer un T-shirt sur lequel on pouvait lire “58 % ne veulent pas de Pershing” (en référence à l’opposition à la présence de missiles américains en Grande-Bretagne) lors de sa rencontre avec la Première Ministre d’alors, Margaret Thatcher, en 1984. Dès lors, le T-shirt se taille une place dans la culture populaire.

Vivienne Westwood et son t-shirt “Destroy”
George Michael avec le t-shirt “Choose life”.

Pour filer la métaphore, le voilà qui a voix au chapitre, comme le soulignait l’exposition en 2018 du Fashion & Textile Museum de Londres intitulée “T-Shirt: Cult, Culture, Subversion” avec 200 pièces d’archives exhumées, parmi lesquelles le “Use a Condom” créé par Katharine Hamnett et porté par Michael Stipes, chanteur du groupe REM, sur la scène des VMAs en 1991 et qui sera repris en 2003 par Naomi Campbell lors du AIDS Awareness fashion show, puis enfin par Rihanna en 2023 pour sa marque Savage x Fenty. On doit aussi à Katharine Hamnett le “Choose life” porté la même année 1984 par George Michael et Freddie Mercury dans leurs clips respectifs “Don’t wake me up before you go-go” et “Hammer to Fall”. S’il fait initialement référence à la pensée bouddhiste, celui-ci prend rapidement une autre tournure au prisme de la pandémie du Sida. Pas à un scandale près, Katharine Hamnett imaginera également le “Frankie Say Relax” pour accompagner la sulfureuse chanson “Relax” du groupe Frankie Goes to Hollywood dans cette Grande Bretagne thatchérienne conservatrice et ouvertement homophobe. Pas rangée des bagnoles, la pionnière du T-shirt à message, aujourd’hui âgée de 76 ans, affirmait en juin dernier au journal The Guardian que “nous ne pouvons pas nous apitoyer sur notre sort. Canalisons-la en énergie créatrice. Restons en colère comme des fous et faisons quelque chose.”

Naomi Campbell lors du AIDS Awareness Fashion Show en 2003.
Collection Fenty X Rihanna 2023.
Extension du domaine de la lutte

 

À chaque époque ses dérives et ses scandales cristallisés par des T-shirts qui se passent le mot. “Time’s Up”, “#MeToo”, “Black Lives Matter”, “Vote or Die”, etc. dessinent les contours de ce que l’on appelle communément le “statement dressing” avec, comme bien souvent, son pendant rétrograde à en juger les slogans nationalistes et impérialistes “Make America Great Again” et “America First” de Donald Trump mais aussi le dégueulasse “Your body my choice” popularisé par l’influenceur américain mascu, complotiste et raciste Nicholas J. Fuentes. Sans parler du patron de Meta, en proie à une big dick energy que franchement personne ne réclamait, aperçu l’année dernière portant un T-shirt customisé de la marque Amiri estampillé d’un “Aut Zuck Aut Nihil”, soit un détournement peu subtil de la devise en latin “Aut Caesar, Aut Nihil” signifiant “soit César, soit rien”.

Le slogan du masculiniste américain Nicholas J. Fuentes
Mark Zuckerberg et son t-shirt Amiri customisé.

Facile à produire et échappant au droit à l’image et au copywriting, le T-shirt à slogan matérialise des courants de pensée des deux bords et offre du merchandising hautement identitaire. Il est comme une extension du hashtag sur les RS qui permet de filtrer tel un entonnoir les contenus afin de se rapprocher au mieux de nos centres d’intérêt et communautés cibles. Ainsi, le champ d’expression du T-shirt s’élargit à mesure que les préoccupations, ou trending topics, des digital natives évoluent – ceux·celles-là mêmes qu’il·elle·s partagent au préalable sur Internet. Sur Etsy, temple du Do It Yourself, les T-shirts à message personnalisé sont aussi nombreux que les communautés auxquelles ils s’adressent — “The Scary Trans Person The Media Warned You About”, “Mental Health Matter”, “For The Animals”… Face à cette déferlante de parole imprimée, on ne saurait dire si c’est par pure opportunisme ou réelle implication bienveillante.

Britney Spears
Paris Hilton
DIY et Y2K

 

Mais parmi les initiatives qui sortent du lot, on peut en situer quelques-unes en France. D’abord celle de Marine alias Roukeys qui a lancé sa marque de T-shirts à message à 19 ans, durant ses études à Sciences Po. La trentenaire parisienne évoque de nombreuses influences visuelles issues de la pop culture, parmi lesquelles, le merch de fans, le T-shirt de concert et la tendance du tee graphique ironique popularisé par les it-girls des années 2000, en tête de proue Britney Spears et son “Dump Him” en écho à sa séparation d’alors avec Justin Timberlake, le “Too Pretty For a Job” de Paris Hilton, le “Skinny Bitch” de Lindsay Lohan… Autant de références qui doivent leur omniprésence dans notre imaginaire collectif grâce aux réseaux sociaux qui les réactivent régulièrement sous forme de détournements ironiques et de mèmes.

Tantine de Paris
Tantine de Paris

Pour Marine, férue de ces années-là et de leur esthétique, le T-shirt mobilisant du texte “était à l’époque une façon pour les célébrités de s’adresser à leurs fans, aux paparazzis et médias mais aussi de se donner le change, à une époque où les réseaux sociaux n’étaient pas encore inscrits dans nos usages quotidiens.” Si au début de sa marque elle se contentait de reproduire des portraits de ses idoles comme Seth Cohen, Britney ou Joey & Pacey dans un médaillon doré en forme de cœur, elle avoue que depuis 2-3 ans, elle a musclé son propos, convaincue que la sape doit être un vecteur identitaire, utilitaire et contestataire, dans un contexte où il y a urgence à faire entendre sa voix face aux rétropédalages en matière de droits fondamentaux.

C’est le cas par exemple de la danseuse et designer queer féministe Mariana Benenge. Créatrice de la marque Tantine de Paris, cette figure emblématique des scènes Ballroom et wacking françaises a récemment marqué les esprits en sortant ses désormais célèbres T-shirts à message sur lesquels on peut lire “Colorism kills” (le colorisme tue) ou “African lesbians exist” (les lesbiennes africaines existent). Une façon comme une autre de répondre à la montée des discours toxiques et haineux auxquels se plient dorénavant les réseaux sociaux aux mains des Gafa-Maga-Doge.

Roukeys
Roukeys

“Je pense qu’on va de plus en plus rebasculer sur la parole imprimée et matérialisée sur divers supports, et en premier lieu le T-shirt. C’est un formidable espace de liberté d’expression personnel pour diffuser nos paroles militantes et qui permet d’envahir l’espace public pour mieux échapper à la censure en ligne”, ajoute Marine, dont les dernières créations créations “World Wide Woke”, “Yes All Men” ou encore “All my Homies Hate Fascism” lui ont valu d’être violement cyberharcelée par des masculinistes… Pas de quoi la décourager, bien au contraire : “Le T-shirt n’est pas qu’un accessoire d’embellissement. Il faut porter nos convictions et valeurs haut et fort, et continuer à diffuser le message.“ À bon entendeur.