Affiche du film “Le mal n’existe pas”,
du réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi.

Dans la fiction, la nature n’est pas qu’un simple décor. Personnage à part entière, allégorie voire étendard idéologique, elle porte, dans certains récits, une forte charge symbolique, en mettant clairement l’humain et la société face à leurs contradictions. Et si la pop culture version nature pouvait remettre l’humain dans le droit chemin ?

C’est un fait, la pop culture est sans doute le meilleur baromètre pour mesurer la sensibilité d’une époque. Et dans les BD, livres, musiques, films et séries les plus impactant·e·s du moment, il semblerait que la nature tienne de plus en plus souvent le premier rôle. À travers de grands classiques animalistes comme “L’Appel de la forêt” ou des récits plus techno-futuristes comme “Dune”, la fiction semble désespérément tenter de nous faire passer un message en mettant en scène la nature de manière significative, afin de dénoncer les dysfonctionnements de notre société. Dans son ouvrage “Pop Culture. Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités” (2014, éditions Zones/La Découverte), Richard Mèmeteau définit la pop culture comme une source créatrice de nouvelles identités et de nouvelles communautés (et non comme un produit simpliste destiné à endormir la masse). Alors quoi de mieux que la nature en protagoniste de divertissement pour susciter une prise de conscience collective quant au dérèglement climatique ? Que ce soit avec une dystopie sociale comme “Le Transperceneige” (“Snowpiercer”), une saga fantastique comme “Avatar” où la nature est un personnage (Eywa), ou encore une fable animaliste comme “Le Règne animal”, qui pointe les failles dans notre manière d’être au monde, la nature cristallise toutes les problématiques sociales et environnementales actuelles. Et avec ses récits alternatifs, elle pourrait bien nous permettre de changer d’échelle et d’évoluer vers un monde idéal. Tour d’horizon.

“Avatar 2”
Des épices et des hommes

 

Si vous avez bien révisé vos classiques, vous savez que la pop culture regorge de grands récits sur l’écologie. Parmi ceux-là, on trouve des dystopies comme “Dune”, où l’humain, dans sa quête aveugle de toute-puissance et de richesse, a surconsommé et épuisé toutes les ressources naturelles. Considérée comme l’un des meilleurs romans de science-fiction, l’œuvre écrite par Frank Herbert en 1973 et adaptée au cinéma par David Lynch en 1984 puis par Denis Villeneuve en 2021, est un véritable porte-étendard de la nouvelle science de l’écologie dans les années 1970. Dans le récit, l’humanité est devenue un gigantesque empire au sein duquel la ressource la plus précieuse est “l’épice”, une substance qui permet de décupler les facultés psychiques et cognitives de l’être humain. Forcé·e·s de s’adapter au dérèglement climatique, les autochtones de la planète Arrakis, les Fremen, doivent pour survivre porter des “distilles”, des combinaisons qui recyclent l’eau de la transpiration et de l’urine (oui, on en est là). Dune raconte bien avant tout le monde la crise environnementale de notre propre planète, un monde poussé au bord de la catastrophe écologique. “Celui qui contrôle l’épice contrôle l’univers”, écrivait Frank Herbert en 1973, une triste prophétie si l’on en juge par les dynamiques politiques à l’œuvre pour le contrôle des sols miniers, des puits de pétrole et des réserves d’eau ces dernières décennies.

Un sujet que traite notamment “Le mal n’existe pas”, du réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi, sorti en avril dernier sur grand écran. Lion d’argent à la Mostra de Venise 2023, le film cristallise l’écoanxiété actuelle, liée en particulier à l’accès à l’eau. Ici, pas de vers géants sillonnant les dunes de sable, mais des cerfs et des villageois·es inoffensif·ve·s qui voient leurs vies paisibles menacées par la création d’un camping de luxe. Dans une longue séquence de négociation qui prend la forme d’un champ-contrechamp, les villageois·e·s s’opposent aux promoteur·rice·s immobilier·ère·s du camping en avançant des questions de bon sens : comment éviter la surconsommation d’eau ? Où seront déversées les eaux usées ? Ces deux œuvres diamétralement opposées dans le style démontrent pourtant une seule et même chose : l’aveuglement de l’humain, déconnecté du vivant, dans sa quête de toute-puissance et de richesse matérielle. “Ils n’ont pas compris que la richesse de cette planète ne se trouve pas dans le sol mais partout autour de nous”, résumait bien Grace Augustine, inoubliable ­Sigourney ­Weaver dans le premier volet de la saga “Avatar”.

Bande-dessinée “Le transperceneige”
Nature et lutte des classes

 

Qui dit manque de ressources dit renforcement des inégalités sociales. La bande dessinée “Le Transperceneige”, créée par Jacques Lob et Jean-Marc Rochette et adaptée au cinéma dans le film “Snowpiercer” de Bong Joon-ho sorti en 2013, en est un parfait exemple. Dans un futur apocalyptique où la Terre s’est brutalement retrouvée plongée dans un éternel hiver glacial hostile à toute forme de vie, une petite portion d’humanité a trouvé refuge dans un train révolutionnaire, le Transperce­neige, qui parcourt le globe en une année. La machine infernale est contrainte de ne jamais s’arrêter, son mouvement maintenant l’énergie et l’eau nécessaires à l’écosystème de ses passager·ère·s. Ici, le train est le lieu de reproduction de la stratification sociale et de l’oppression politique : à l’avant, les riches vivent dans l’abondance, observant les paysages enneigés en mangeant du homard, alors qu’en queue de convoi, les marginaux·ales vivent en surnombre dans l’obscurité et se tuent à la tâche pour maintenir la marche de la machine. Animé par la soif de justice, un groupe de rebelles tente à plusieurs reprises d’atteindre la tête du train pour renverser le système totalitaire. Ici, la nature a laissé place au culte d’une machine infernale qui reproduit et amplifie le système d’oppression capitaliste et néolibéral. Tout se justifie lorsqu’il s’agit de préserver la machine et a fortiori l’humanité : une politique de natalité aberrante, la guerre, la famine, l’exploitation, le favoritisme.

“Don’t look up”

Ça vous rappelle quelque chose ? Au rayon des dystopies sociales, où le dérèglement climatique fait effet de loupe sur les inégalités sociales, on trouve aussi le film 2012 ou encore le succès Netflix “Don’t Look U”p avec Leonardo DiCaprio, une fois de plus sur le coup quand il s’agit de parler écologie. Mais la dystopie sociale n’est pas le seul registre où la nature cristallise les inégalités sociales dans la pop culture. Les films de Terrence Malick, en particulier “Les Moissons du ciel” (1978), avec un Richard Gere fringant comme jamais, mettait déjà l’humain et la nature dans un rapport duel, médiatisé par les différences de classes sociales. Dans ce film, le vent agitant les champs constitue une image d’évasion et de désir pour le grand propriétaire terrien, qui reluque l’une de ses employées et en tombe amoureux. Pour la classe ouvrière, le champ est au contraire associé à l’automatisation des gestes, comparable au travail à l’usine, donc à une forme de déshumanisation.

“Les moissons du ciel”
Qui est la bête ?

 

Dans les grands classiques de la pop culture, la nature se trouve aussi conviée pour explorer et révéler une autre nature, celle des humains. Dans certains récits, les animaux agissent en protagonistes pour remettre en question la primauté de l’humain sur le vivant. Rappelons que “L’Homme est un loup pour l’Homme”, comme l’affirmait Thomas Hobbes, philosophe anglais du XVIIe siècle, selon qui l’état de nature de l’Homme est un état de guerre permanente pour asseoir sa domination sur les autres. Classique de la SF pour tout·e fan de pop culture qui se respecte, le livre La Planète des singes, de l’écrivain français Pierre Boulle, questionne l’humanité des singes et des humains pour nous suggérer que le singe est peut-être bien l’humain idéal. Adapté de nombreuses fois au cinéma, en 1968 par Franklin Schaffner, puis en trilogie en 2011, 2014 et 2017 par Rupert Wyatt et Matt Reeves, et enfin en mai 2024 par Wes Ball, le scénario dépeint un monde où, à la suite d’une erreur scientifique, un virus s’est répandu, entraînant le dépassement de l’humanité par les singes, devenus plus intelligents et prônant des valeurs de justice, de pacifisme et d’altruisme.

“La planète des singes”

L’environnement qui reprend ses droits, c’est aussi le point de vue adopté par James Cameron dans la majorité de ses films et plus particulièrement dans ­Avatar, qui confronte l’humanité à la puissance supérieure qu’est la nature. Saga unique en son genre dont la sortie du dernier opus est prévue pour 2031, l’œuvre met en scène une planète fantasmée, Pandora, où le peuple autochtone, les Na’vis, sortes d’huma­noïdes extraterrestres à la peau bleue et zébrée, vivent en harmonie avec la nature, protagoniste à part entière du récit dénommé Eywa. Malgré un deuxième volet un peu décevant, la saga Avatar porte un message puissant sur les autres manières pour l’humain d’être lié au vivant, puisque – spoiler alert – le personnage principal, Jake Sully, qui est de race humaine, arrive à se connecter aux êtres vivants de ­Pandora, comme les Na’vis, et finit par intégrer définitivement le peuple autochtone. Comme quoi, la rédemption n’est jamais loin.

“Le Règne Animal”
Force de la nature

 

En offrant ainsi une sorte de nouveau récit alternatif où la nature se montre triomphante et fédératrice, Avatar s’apparente davantage au registre de ­l’utopie. Un traitement assez rare aujourd’hui dans la pop culture, et que l’on pourrait rapprocher du mouvement solarpunk. À l’opposé du cyberpunk et du genre apocalyptique, qui squattaient beaucoup trop nos imaginaires ces dernières décennies, le solarpunk encourage une vision optimiste de l’avenir, à la lumière des préoccupations environnementales actuelles (changement climatique, pollution) et des inégalités sociales. Celui qui incarne le mieux ce mouvement ? Hayao Miyazaki. Dans ses films animés, la nature est préservée, les femmes occupent une place forte et les méchants ne sont jamais complètement méchants. Pensez au récit antiguerre dans Le Château ambulant, à la vie d’un petit poisson dans Ponyo sur la falaise, ou à la façon dont les créatures mythiques de Mère Nature protègent les humains contre les forces industrielles imminentes dans Princesse Mononoké. Pour Yasmina Auburtin, consultante éditoriale spécialisée dans les récits autour de l’écologie positive, il est impératif que nos leaders culturel·le·s – cinéastes, écrivain·e·s, auteur·rice·s et autres publicitaires – sortent de l’imaginaire dystopique afin que nous puissions nous projeter dans une réalité belle et tangible.

“Les récits fictionnels de la pop culture nous permettent de visualiser et de rendre quelque chose réel. L’histoire de l’humanité a prouvé que quand un certain nombre d’humains rêvent de la même chose, cela se produit. L’humain n’aurait jamais marché sur la Lune s’il ne s’était pas permis de le rêver avant”, explique Yasmina. L’objectif, pour les industries créatives dans les années à venir, serait donc de faire émerger de nouveaux récits qui soient autant d’alternatives positives et remédiables à cette fin du monde annoncée. Pour y parvenir, elles devraient peut-être consulter les travaux du scientifique britannique et enseignant spécialisé en permaculture Rob Hopkins, qui a publié au printemps dernier, dans le manifeste “Ministry of Imagination”, un inventaire recensant les initiatives de sociétés idéales aux quatre coins du globe, répertoriées par secteur : économie, éducation, frontières… “Je pense qu’il faut raconter des histoires écologiques dans d’autres contextes, explique Yasmina Aubertin. Le récit qui arrivera à nous toucher, c’est celui qui n’aura pas fait de l’écologie son sujet principal mais qui aura créé un univers assez fort pour nous immerger dans une réalité alternative que nous aurons envie de reproduire.”

Cet article est originellement paru dans notre numéro Fall-Winter 2024 STATE OF NATURE (sorti le 16 septembre 2024).