En réponse au contexte actuel délétère (les guerres, la crise sociale, le changement climatique, toussa toussa…), le “fashion meme accessory”, accessoire de mode volontairement absurde, est devenu le meilleur outil pour réinjecter de la joie et du fun dans un quotidien morose et une société au BDR.

Fin 2022, une photo volée du tournage de la saison 2 de And Just Like That… (le reboot dispensable de Sex And The City) fait le tour de la Toile. Mais pour une fois, l’attention n’est pas portée sur la tenue extravagante, à côté de la plaque et de mauvais goût (no shade) de Carrie Bradshaw, le personnage joué par Sarah-Jessica Parker. Le sujet de cette histoire, c’est bien le sac qu’elle porte : un faux-vrai pigeon en résine créé par JW Anderson. Un accessoire fun et absurde qui tranche avec les sacs classiques des marques de luxe qu’on voit habituellement au bras des consommateur·rice·s. Et à y regarder de plus près, tous les accessoires de mode ont décidé cette saison au pire de nous faire sourire, au mieux de réveiller notre goût pour l’absurde en nous permettant de nous taper une bonne barre de rire. La preuve avec les escarpins Loewe SS23 conçus avec des ballons de baudruche dégonflés, les bottes Off-white SS23 avec leurs talons en ressort métallique, les talons “dents de vampire” des escarpins GCDS SS23, les chapeaux en raphia XXL de Jacquemus SS23, le sac chien de Thom Browne SS23, les casquettes à sequins XXL de Germanier SS23, tout comme la totalité des accessoires de la collection Moschino SS23 conçus à l’image des jouets gonflables de piscine.

ESCARPINS “BALLONS” EN CAOUTCHOUC LOEWE.

BOUÉE EN PVC BOTTER.

SAC “GLOVE” EN CUIR BALENCIAGA.

Bref, qu’il vienne de chez un·e designer indépendant·e ou d’une grande maison, l’accessoire de mode a résolument arrêté de se prendre au sérieux. Et nous avec. Car son but est bien de nous donner la possibilité de lâcher prise et d’exprimer notre envie de s’enjailler. Alors okay, dans la mode, les accessoires fun et désirables n’ont rien de nouveau (remember le sac baguette de Fendi ou la tendance des “Grand-Pa shoes” lancée par Balenciaga avec ses fameuses Triple-S). Sauf qu’ici, l’influence réjouissante et potache des mèmes, des réseaux sociaux et de la culture internet en général, a pris le lead dans la façon de créer et de présenter des objets mode insolites, presque cartoonesques, pensés pour nous divertir et donc pour devenir viraux. Un peu comme s’ils étaient la suite logique des fashion mèmes qui ont nourri en ligne l’industrie de la mode depuis des années (coucou la robe omelette de Rihanna au Met Gala 2017 ou la robe Hulk de Kim Kardashian en 2020). D’ailleurs, cette même année, on estimait qu’au moins un million de mèmes étaient partagés sur Instagram chaque jour. Une façon pour tout le monde de s’apercevoir qu’on vit bien dans une vaste blague et, pour ne pas finir par se mettre la tête dans le four, de préférer en rire. Bienvenue dans l’ère du “meme accessory”.

MINI-SAC “HECTOR” À CHAÎNE THOM BROWNE.

BOTTINE “DEVOUR” À BOUT POINTU EN TISSU TECHNIQUE CÔTELÉ ET TALON EN OR FINITION MIROIR GCDS.

SAC MALLE “ASNIÈRES FAMILY HOUSE” LOUIS VUITTON.

FRÉNÉSIE ET FANTAISIE

 

Si vous allez faire un tour sur le site de la marque JW Anderson pour vous offrir son fameux sac pigeon, il vous faudra vous armer de patience. En quelques mois, il est devenu l’article le plus consulté du site, au point de ne plus être disponible que sur liste d’attente, et ce, depuis le mois d’août 2022. Attendez, on parle bien d’un oiseau de ville crade, chiant sur tout ce qui bouge, détesté de tou·te·s les citadin·e·s et devenu malgré lui l’une des nouvelles sensations mode du moment ? CQFD. Aujourd’hui les chaussures, les sacs, les masques et les couvre-chefs en tout genre ont clairement pris le dessus dans le fashion game. Dans son rapport pour le troisième trimestre 2022, le moteur de recherche de mode Lyst a noté que huit des dix articles les plus recherchés étaient des accessoires – allant des ballerines Miu Miu dont les recherches ont connu une augmentation de 1 100 % (des ballerines s’il vous plaît, helloooo !), jusqu’aux Boston Birkenstock, chaussures longtemps considérées comme cheums et ringardes avant de revenir dans le coup. De son côté, la plateforme Net-à-Porter a indiqué avoir augmenté ses stocks et réassorts d’accessoires de 65 % à cause d’une demande exponentielle. Et au vu des collections SS23, cet engouement et cette frénésie pour l’accessoire fun boosté à la dérision et à l’absurde vont continuer de s’amplifier, plusieurs articles de la saison étant déjà en train de breaker les internets, comme le sac peluche en cristal de Gucci ou le sac à main maison de poupée de Louis Vuitton (tu gagues). Une tendance WTF qui se poursuit même sur le menswear Fall-Winter 2023/2024 avec l’apparition sur le podium Fendi d’un sac Baguette littéralement en forme de baguette (t’as capté ?).

Sac à mains en glace et chaussures BOTTER.

CHAPEAU, GANTS ET BOTTES ORNÉS DE FRANGES, PERLES ET PASTILLES GERMANIER.

BASKETS “UNICORN PLATEFORM” EN CUIR ET PLASTIQUE BALMAIN.

QUESTIONS DE BUDGET

 

Cela dit, si le “meme accessory” est devenu aussi viral, populaire et finalement banal qu’une Léna Situations en front row de défilé, c’est aussi parce qu’il est la réponse à un contexte économique défavorable. Spoiler alert : c’est la crise, et on est tou·te·s à la dèche. Et depuis que vous avez cassé votre PEL pour acheter un paquet de pâtes et payer votre facture d’électricité, vous ruiner dans une pièce de créateur·rice n’est pas votre priorité (duh…). Pourtant, les accessoires restent un choix avisé : ils sont moins chers et constituent une porte d’entrée plus abordable au sein d’un catalogue de marque de luxe. C’est aussi un moyen pour vous d’afficher vos prouesses stylistiques en matière de mode, et ce même si la tenue avec laquelle vous portez ledit accessoire est aussi ordinaire et insipide que la whiteness d’Hailey Bieber. Enfin, ça reste une pièce sûre qui, contrairement à un basique bout de tissu, peut prendre de la valeur et se revendre à prix d’or. Le genre d’investissement à considérer, surtout quand on sait que la crise de l’immobilier va bientôt pointer son fiak dans l’équation fin du monde. Histoire de finir de vous convaincre, il suffit de lire le rapport de l’application de revente Depop qui explique que 80 % de ses acheteur·se·s disent que les médias sociaux sont la source de leur inspiration, en grande partie parce que les articles d’occasion sont plus abordables. Mais au-delà de l’aspect financier, l’atout ultime de l’accessoire, c’est son pouvoir de personnalisation. Car peu importe sa coupe, sa taille et sa saison, le climat et la météo, la morphologie de cellui qui le porte, il convient à tout le monde en toute situation. Et c’est exactement ce dont on a besoin, dans un monde où chacun cherche à affirmer son identité et son unicité.

BONNET ORNÉ DE FLEURS EN TISSU OFF-WHITE.

BOTTES EN TISSU STRETCH VERNI À EFFET GONFLABLE ET DÉTAILS VALVES MOSCHINO.

SAC À FRANGES VICTORIA BECKHAM.

LE SOI EN PLEINE OPULENCE

 

En gros, le “meme accessory” est devenu une extension de soi pour signifier avec style sa résilience par le fun et par l’absurde. Et c’est bien connu, plus les ressources manquent et plus on nous annonce la fin de l’abondance (what’s up, Manu ?), plus on puise là où la richesse est éternelle : à savoir l’expression personnelle. Soit aujourd’hui une ultra-accessoirisation qui puise dans des imaginaires plus populaires comme la culture web (et donc par définition moins ancrés dans le luxe) et qui finit par s’affirmer comme une prolongation de soi où le corps devient un terrain d’expression personnel, un support pour la fantaisie. Résultat, les accessoires apparaissent alors comme un substitut aux fashion memes et aux filtres des réseaux sociaux, permettant de se pimper IRL selon son humeur et son style du moment. Sans oublier le fait que cette tendance s’inscrive plus globalement dans une mouvance maximaliste générée en opposition à celle du minimalisme observée dans la mode depuis les années 1990. Choisir le fun, l’absurde et l’opulence, c’est aussi faire un gros pied de nez aux politiques de rigueur et d’austérité imposées un peu partout dans le monde par nos dirigeant·e·s. Et à l’image des années folles marquées par le mouvement artistique surréaliste et stoppées de plein fouet par la crise de 1929, c’est aussi choisir d’entretenir la joie et de s’amuser coûte que coûte. Un peu comme une dernière danse avant la fin du monde ? Pour ne pas trop plonger dans le désarroi (tout n’est pas foutu, on vous rassure), pensez à cette citation prémonitoire de Cathy Guetta, la reine d’Ibiza, qui, lorsqu’elle fut interrogée sur les tendances de l’été par Daphné Bürki dans feue l’émission 26 minutes de célébrité diffusée en 2008 sur Canal +, répondit : “Je dirais que le vêtement est peut-être plus accessoire que les accessoires.” Merci Cathy, c’est elle qui a raison.

SAC FOURRE-TOUT OREILLER “LE CUSCINU” ET SANDALES MULTI-BRIDES “LES SANDALES CAMARGUE” EN POLYESTER JACQUEMUS.

SAC SHOPPING TRANSPARENT EN POLYURÉTHANE À OEILLETS MÉTALLIQUES ET SAC “1969” À DISQUES MÉTALLIQUES ARGENTÉS PACO RABANNE.

LUNETTES PAPILLON EN LAITON DORÉ TEXTURÉ À SOURCILS TRO MPE-L’OEIL ET À STÉNOPÉ, BOUCLES D’OREILLES DORÉES MARTELÉES, TOUR DE COU FILAIRE À BOUCHE PERCÉE ET SAC VISAGE “STUNNING LIPSTICK” EN CUIR SCHIAPARELLI.

Cet article est originellement paru dans notre numéro spring-summer 2023 EUPHORIA (sorti le 27 février 2023).