Qui aurait pu imaginer que les admirateurs de Britney Spears deviendraient un jour un symbole mondial de l’activisme ? En quelques années, leur engagement sans faille a permis à la star de se libérer de sa tutelle abusive et de mettre en lumière tout un système judiciaire corrompu. Le tourbillon médiatique autour du mouvement #FreeBritney est tel, qu’il pousse aujourd’hui l’Amérique à réécrire ses lois, notamment grâce à des militant.e.s plus mobilisé.e.s que jamais. Fan de la première heure, Lorin Sisco vit sur les côtes nord de l’île hawaïenne d’Oahu. Traverser l’océan Pacifique une fois par mois afin de soutenir Britney Spears a été tout de suite pour elle une évidence : “Britney m’a toujours accompagnée. Ma grand-mère me confectionnait les costumes de ses clips chaque année pour Halloween et le CD de “Baby One More Time” tournait en boucle dans la voiture de ma mère, à qui je demandais sans cesse de m’emmener aux concerts. Quand elle est décédée, en 2020, j’ai eu le besoin de m’engager dans une cause qui me tenait à cœur en rejoignant le mouvement #FreeBritney.” Le monde entier se moquait alors gentiment de ces manifestants aux pancartes acidulées, luttant pour une cause jugée frivole comparée aux réels enjeux sociétaux : “On a tellement été critiqués, on nous traitait de complotistes, de pseudo-avocats qui ne maîtrisaient pas leur sujet, alors que nous avons passé des heures à étudier les textes de lois. J’ai pris le temps d’examiner le fonctionnement des tutelles et il était clair que Britney était une victime de ce système. Lutter pour sa libération a été mon premier engagement en tant qu’activiste.”
Quand Le fan activism lève des armées
Comme Lorin, des centaines d’Américains ont milité pour libérer l’idole de leur adolescence, prisonnière depuis treize ans de la tutelle de son père. Junior Olivas, business manager vivant à Los Angeles, est l’un des pionniers de l’autoproclamée Britney Army qu’il a rejointe dès avril 2019 : “Je me devais de l’aider, car ses chansons m’ont énormément soutenu tout au long de ma vie. J’ai organisé la toute première marche, et il en aura fallu des dizaines d’autres pour clamer notre victoire presque deux ans plus tard. Honnêtement, je pensais qu’on allait régler les choses en un ou deux mois, mais j’ai vite compris que le problème était bien plus vaste que Britney lorsque j’ai eu connaissance des dizaines d’autres témoignages. Cet activisme est désormais ancré en moi et le combat continuera tant que les lois ne seront pas modifiées.” Un activisme 2.0 qu’étudie Jennifer Earl, professeure en sociologie à l’Université de l’Arizona et spécialiste de l’étude des fans. “Le mouvement #FreeBritney est un pur exemple de fan activism, qui se produit lorsque des personnes transforment leur intérêt pour une célébrité en acte politique et culturel. Ces mouvements sociaux ont d’ailleurs déjà fait leurs preuves par le passé.” En effet, les sociologues se sont penché.e.s sur le comportement des fans dès le début des années 90 avec, à l’instar des gender studies, l’apparition des fan studies. Les faits et gestes des admirateur.rice.s de sagas comme Star Wars ont été scrutés à la loupe, de même que ceux de séries TV ou de boys bands. À cette époque, le fan activism consistait le plus souvent à mobiliser sa communauté en signant des pétitions pour qu’une chaîne de télévision n’annule pas une saison en cours de diffusion, ou pour qu’une tournée musicale réclamée par les fans ait lieu dans leur ville. Un tournant politique a été pris en 2005 avec la création de la HPA : la Harry Potter Alliance. Les fans de la saga littéraire avaient alors élaboré une véritable organisation caritative, utilisant leur passion commune pour développer une nouvelle forme d’activisme ludique. Les thèmes miroitant autour de l’univers du célèbre sorcier tels que l’acceptation de la différence et l’entraide, ont servi à développer des campagnes de sensibilisation en faveur de la neutralité du Net ou à récolter des dons après le tremblement de terre en Haïti. Fervent.e.s allié.e.s de la lutte des droits LGBTQIA+, les fans s’étaient mobilisé.e.s dans plusieurs États d’Amérique, n’hésitant pas à passer plus de 6 000 coups de téléphone en une seule journée pour convaincre les habitant.e.s du Rhode Island de laisser les sénateur.rice.s légaliser le mariage gay. L’été dernier, la HPA a été rebaptisée Fandom Forward, afin de toucher de nouvelles communautés comme celles admirant l’univers de Marvel ou de Hunger Games : “Notre mission est de transformer les fans en héros, et nous savons que notre monde regorge de potentielles personnes héroïques.” ll est loin le temps où les groupies se contentaient d’enrichir le PEL de leur star en dévalisant le merchandising du site officiel. Désormais, un.e vrai.e admirateur.rice est quelqu’un qui s’engage. “C’est l’une des forces du fan activism, analyse Jennifer Earl. Il connecte les célébrités ou les œuvres adulées avec les enjeux politiques et culturels qui tourbillonnent autour d’elles. Le mouvement #FreeBritney a réussi à instaurer le problème des tutelles abusives dans le débat national. Cela aurait été beaucoup plus difficile de le faire sans l’aide d’une figure emblématique, comme c’est le cas ici de Britney, qui, du fait de sa célébrité, nous fait prêter attention à la cause.”