Voix profonde. Charme dingue. Masculinité douce. Sa présence dans “Le Lycéen” de Christophe Honoré, où il jouait l’objet de désir et de réconfort d’un ado meurtri par la mort du père, nous avait fasciné. En quelques scènes, Erwan Kepoa Falé a imprimé notre rétine et nous a rendu fou-curieux. Le revoilà dans “Passages”, le nouveau film d’Ira Sachs. Cette fois l’acteur français gravite autour d’un triangle amoureux vénéneux formé par Franz Rogowski, Adèle Exarchopoulos et Ben Whishaw (dont il joue l’amant déçu). Ici encore, le comédien imprime la toile d’une tendresse enveloppante, d’une pureté de jeu rare et, pour tout dire, vivifiante.
Et puis il y a ce constat : le jeune homme originaire de Cergy est l’un des très rares acteurs noirs et ouvertement queers du cinéma hexagonal. Une facette qu’il étreint au lieu de la fuir (comme tant d’autres). Assez de raisons pour l’inviter à prendre un verre sous un soleil de plomb.
M. Comment es-tu devenu acteur ?
EKF. Par hasard. Ça m’est tombé dessus à 25 ans. La réalisatrice Manon Vila est venue faire un film sur mon groupe de potes à Cergy. Ça s’appelait “Akaboum”, c’était une sorte de documentaire légèrement fictionnel. Elle suivait surtout un ami producteur de musique, le meilleur pote de mon premier mec, mais toute notre petite bande l’intriguait. Au départ, je n’étais pas censé être dans le projet mais elle a tenu à ce que je tourne dans quelques scènes. Ça a commencé comme ça, très librement. Je n’ai pas fait d’études de comédie. Ou d’études tout cours, d’ailleurs. J’ai arrêté l’école trois mois avant le bac. Pour certains cinéastes, ça peut-être rédhibitoire de ne pas avoir de formation d’acteur. Mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui on essaie de se détacher d’un jeu trop formaté. Avant d’être comédien, j’ai fait un peu de tout : barman, décorateur, j’ai fait des castings dans la mode, créé des fringues… Mais j’ai toujours eu une attirance pour le cinéma malgré une certaine pudeur.
M. C’est pas antinomique, “acteur ” et “pudique” ?
EKF. Je suis assez fier d’être un garçon pudique. Ce que j’aime au cinéma, c’est justement qu’il existe des moments actés pour m’exprimer, me montrer. Pour moi il n’y a personne de plus pudique qu’un réalisateur. C’est même difficile parfois de comprendre ce que veut un cinéaste… Jusqu’ici, j’ai eu de la chance. Je n’ai travaillé qu’avec des gens bienveillants avec qui j’avais une bonne connexion artistique, des goûts ou un parcours similaires.
M. Dans “Le Lycéen” de Christophe Honoré, tu joues le coloc gay de Vincent Lacoste dont le jeune frère (Paul Kircher) tombe amoureux. Dans “Passages” d’Ira Sachs, tu joues l’amant de Ben Whishaw. C’est un pur hasard si dans tous tes projets tu joues des rôles queers ?
EKF. C’est une constante, c’est vrai. Souvent, je joue aussi l’objet d’une projection amoureuse. C’est encore le cas dans “Eat The Night”, le film des réalisateur·rice·s Caroline Poggi et Jonathan Vinel, que j’ai tourné en février. C’est mon rôle le plus conséquent au cinéma. Encore une fois, j’incarne quelqu’un d’un peu protecteur, de rassurant. C’est ainsi que les réals me perçoivent. Je dois être un peu comme ça dans la vie…
M. Ben Whishaw est un acteur anglais forgé à la Royal Academy of Dramatic Art. Il passe d’un James Bond à des films d’auteurs comme “Passages”. Il t’a donné des conseils sur le tournage ?
EKF. Pas de conseils, non. Mais le voir travailler, c’était impressionnant. Il est ultra pro. Très technique. En une seconde, il peut te livrer une émotion très forte. En dehors du film, on a bu des coups et grave parlé. Il m’a beaucoup apaisé sur le tournage.
M. Est-ce que tu découvres des choses sur toi en jouant ?
EKF. Jouer ça peut être une forme de thérapie. Il y a plein de choses que j’ai faites devant une camera qui m’ont libéré personnellement. Des trucs de cul, par exemple (rires). Même si dans les films de Honoré ou de Sachs, ces choses-là sont plutôt suggérées. Le cinéma est arrivé dans ma vie à un moment où j’étais plus à l’aise. Pas seulement physiquement ou sexuellement car je suis très serein vis-vis de mon homosexualité. Je l’ai conscientisée très tôt. Même si parfois, dans mon parcours de vie, il a fallu que je la cache, j’ai toujours su qui j’étais.