“Ice Cold. A Hip-Hop Jewelry History”, éditions Taschen.

À l’heure où résonnent les appels à la sobriété et à la fin de l’abondance, silhouettes flamboyantes et attitudes show off décomplexées sont en train de dessiner les contours d’un nouveau bling. Un m’as-tu-vu forcément mal vu ? Ce serait se mettre le doigt bagousé dans l’œil.

Qu’ont en commun la compil’ vidéo des vacances à Miami de Karim Benzema l’été dernier, les paroles de “Bejeweled” de Taylor Swift appelant à “rayonner” et la soirée très privée Club Renaissance organisée par le joaillier Tiffany&Co et Beyoncé (toute de lamé vêtue) organisée à Paris durant la Fashion Week en octobre dernier ? Bien vu : un penchant non dissimulé pour tout ce qui est bling-bling. Dépoussiérer ce terme, c’est un peu comme assister au come-back cathodique de la Star Ac’. Personne ne s’y attendait, ça a de quoi surprendre. Et en même temps, ça ne vient pas de nulle part. On a eu le nez creux, et visiblement Mathilde Berthier aussi. Coautrice avec Céline Cabourg du livre Claquette-chaussette et corset : 60 objets qui font la mode (éd. de La Martinière), elle nous confirme que “ce nouveau bling-bling apparaît comme un antidote au contexte anxiogène et à l’austérité ambiante, comme une invitation à l’hédonisme”.

Le top papillon d’Area.

Au lieu de se la jouer low key, la mise en scène de soi pour briller de mille feux carbure donc à pleine balle. Et visiblement, il n’y a pas que Kévin pour mettre des paillettes dans nos vies. La garde-robe se fait partywear, comme le prouve le sac baguette Fendi dans une version sequins pour fêter ses 25 ans, le top papillon strassé à la Mariah Carey période Glitter de la marque Area, l’expo Gold au musée Yves Saint Laurent jusqu’au 14 mai, ou encore la robe-couette de lit brodée de paillettes roses de Marc Jacobs FW22. Tout ça nous fait plonger tête la première dans une ultra-opulence à faire grincer des dents en période d’inflation où résonne le slogan #eattherich. Mais les apparences sont parfois trompeuses. Car derrière cet intérêt pour tout ce qui brille, il ne faut pas forcément y voir une célébration du capitalisme outrancier. Alors, de quoi ce nouveau bling-bling est-il réellement le nom ? État des lieux de cette tendance en or qui déchaîne les passions.

PLUS C’EST GROS, MIEUX C’EST

 

Devinez quoi ? Le bling, c’est de droite. C’est en tout cas ce qu’indique le site degaucheoudedroite.delemazure.fr – le quinquennat présidentiel de Sarkozy, aka le “président bling-bling” étant là pour nous le rappeler. Tout comme Netflix, qui s’est fait spécialiste des programmes de téléréalité ostentatoire prônant le luxe outrancier : L’Empire du bling, Dubaï Bling, Young Famous & African, etc. C’est d’ailleurs Christine Chiu de L’Empire du bling qui affirme dans ledit show que “plus ça brille, mieux c’est” et que “sortir ses plus beaux diamants du coffre pour un événement, est une marque de respect”. Une devise qu’on pourrait appliquer à nos aïeuls de l’Égypte ancienne, lorsque les pharaon·nes ne sortaient jamais sans faire péter la quincaillerie en or serti de turquoises et de lapis-lazulis… ou durant la dynastie Qing en Chine, lorsque les femmes arboraient de somptueux protège-ongles en métal serti de pierres précieuses. De cet héritage très lointain, avec quelque lignée royale que ce soit, la culture hip-hop a fait le storytelling de son attirance pour ce qu’on appelait dans les rues de Brooklyn dans les 70’s le “bling”, mot dérivé de l’argot jamaïcain se référant à l’onomatopée des bandes dessinées. C’est ce qu’explique le colossal ouvrage Ice Cold. A Hip-Hop History de Vikki Tobak, paru en septembre 2022 aux éditions Taschen, qui retrace 40 ans de passion pour les grosses chaînes en or, les grillz ou les dookie ropes (ces grosses chaînes de collier ondulées et torsadées).

“Ice Cold. A Hip-Hop Jewelry History”, éditions Taschen.

Soit autant de bijoux spécifiques qui s’exhibent en majesté : “Il suffit de regarder les boucles d’oreilles de la tribu Fulani, les bagues des Touaregs ou les décorations de bague des Ashantis pour constater leur influence sur le design des bijoux hip-hop”, souligne la journaliste dans son livre. Un transfuge des classes à la Annie Ernaux pour les artistes afro-américain·e·s, matérialisé par ces bijoux comme faire-valoir et gages de réussite sociale… au point de se faire dévaloriser au fil des années et rebaptiser de “ghetto gold” (le dernier épisode de la saison 4 de Sex & The City fait la démo de cette stigmatisation). Constamment renvoyée à ses stéréotypes, cette esthétique bling façonnée par la culture hip-hop, et de laquelle découlent les influences actuelles, n’a pourtant jamais manqué d’ouverture d’esprit, mêlant divers univers et références populaires (jeux vidéo, car culture, mangas, idoles du passé), comme l’illustrent les propos du rappeur A$AP Ferg dans la préface, qui explique s’être inspiré du pianiste queer Liberace. Dans cette droite lignée, Lil Nas X et ses parures flamboyantes, ses tenues de cow-boy et de quarterback rose strassé et son grillz diamanté se chargent de sortir royalement la culture bling des clous virilistes.

GEMMES TOUT CHEZ TOI

 

Autre reine du bling tombée un temps dans les abysses de l’oubli et de la gênance : Paris Hilton, qui peut balancer un gros “love” du bout de ses petits doigts manucurés en direction des années 2000. En septembre dernier, lors de la clôture du show Versace SS23, elle nous a donné à voir la quintessence du bling-bling de ses années pas si éloignées. La bimbo de L.A. résumait à elle seule toutes les obsessions du moment – ces fameuses Y2K, le barbiecore et le bling-bling –, sapée d’une robe de mariée rose et entièrement à sequins. Selon Mathilde Berthier, “cette nouvelle interprétation du bling s’inscrit définitivement dans une démarche d’exploration esthétique”. Ainsi, le bling, tel qu’on le perçoit aujourd’hui, trempe beaucoup dans les “Internet aesthetics”, tous ces termes nouveaux se finissant généralement en “-core” et qui captent les tendances du moment nées sur la Toile. Comme le fairycore, le royalcore, le boujee… Tout ça matérialisé par des beauty trends qui consistent à arborer des strass, gemmes et cristaux des pieds à la tête : sur les dents de Shygirl, les sourcils de Doja Cat ou encore le bas du dos d’Hailey Bieber… Des ornementations scintillantes qui se sont frayé un chemin depuis la pandémie de Covid-19 en puisant leur inspiration du côté de Christina Aguilera période “Lady Marmelade” et Gwen Stefani période “No Doubt”.

Paris Hilton pour le défilé Versace SS23.

Pour la nail artist parisienne Lili Creuk, dont les inspirations vont des candidats des Marseillais à Hello Kitty en passant par le tunning automobile ou une coque de smartphone, “cette ultra-accessoirisation se substitue aux filtres des réseaux sociaux pour se pimper IRL selon son humeur et son style du moment. À voir certaines créations, on en est presque à se demander si elles sont réelles ou virtuelles”. À noter que le digital wear de marques comme DressX, The Fabricant et Auroboros est essentiellement composé de pièces extravagantes et iridescentes. Mais pas question d’aller s’enfermer dans le Metaverse et de se contenter de pimper son avatar. Pour Saveria Mendella, journaliste et doctorante en anthropologie de la mode à l’EHESS, ces nouvelles parures bling tendent vers “des imaginaires plus populaires et moins ancrés dans le luxe et sont les affirmations et prolongations de soi, de son identité. Tous ces détails s’inscrivent plus globalement dans un trend maximaliste bienvenu, en opposition à un minimalisme dans la mode surtout basé sur l’unisexe des années 90, soit un minimalisme emprunté au vestiaire masculin effaçant la personnalité”. Et profondément chiant, en vrai.

Lili Creuk
MAXIMALISME ET PRINCE ALBERT

 

Si le luxe s’estompe sous le poids des strass et paillettes, c’est parce qu’“on assiste à un lâcher-prise qui cristallise un nouveau rapport à soi, où le corps est un terrain d’expression personnel, un support pour la fantaisie”, ajoute Mathilde Berthier. Une façon de se démarquer, mais aussi de s’accepter : “Beaucoup de gens qui viennent me voir sont complexés par leur dentition. Grâce aux bijoux dentaires, il·elle·s acceptent mieux leurs petits défauts”, explique Hélène, fondatrice de l’Atelier Lazarovska à Paris. Pour autant, ces coups d’éclat sont loin d’être anodins. Le média beauté Byrdie publiait, en février 2021, un article intitulé “Inside The Fascinating History of Glitter & Gay Culture” appuyant sur l’importance de “l’utilisation de maquillage scintillant qui est, pour de nombreuses personnes queer, une façon de célébrer le fait d’être ‘out’ de manière publique, surtout après des années de restriction de l’expression de son identité de genre et/ou sexuelle”. On y apprend aussi que “pendant des décennies, les paillettes ont été utilisées par des activistes queers qui luttent pour les droits LGBTQ+.

Atelier Lazarovska.

Dans le mouvement Glitter + Ash, par exemple, qui a été popularisé à New York et à Chicago au cours des dernières années, les églises montrent leur soutien et leur solidarité envers les paroissien·ne·s homosexuel·le·s en mélangeant les cendres du Mercredi des Cendres avec des paillettes violettes”. Amen. Autre adepte du bling joyeux, qui prêche pour la paroisse de l’inclusivité, Yacine Challal, fondateur de la marque de bijoux fantaisie Carré Y, dont le slogan est “Proud Jewelry for Proud People”, explique : “Faire des bijoux non genrés, c’est laisser aux personnes la liberté de porter ce qu’il·elle·s veulent. Le bijou genderless, c’est donner la possibilité à tout le monde de le porter, et donc de proposer des boucles d’oreilles vendues à l’unité, des pièces réglables, comme des bagues, qui aillent à tout type de morphologie.” Parmi ses récents faits d’armes : la création du sceptre et de la couronne de la reine de Drag Race France et une collection de bijoux célébrant le bondage. C’est d’ailleurs ça la force de frappe du nouveau bling, ne pas lésiner sur le second degré, avec extravagance et panache, comme le montrent les boucles d’oreilles représentant un doigt d’honneur massif chez Y/Project SS23, les bijoux de nez en forme de pansement d’Alan Crocetti, sans oublier la récente collab’ entre La Manso et Jean Paul Gaultier comprenant notamment des bagues démesurées ressemblant à des planètes… On en dit quoi ? Let’s have fun, mon bijou.

Les boucles d’oreilles doigt d’honneur de Y/Project.

Cet article est originellement paru dans notre numéro spring-summer 2023 EUPHORIA (sorti le 27 février 2023).