S’il fallait la ranger quelque part, derrière des noms bien connus de la pop culture, elle serait plus Greta Thunberg que Jordan Belfort, le Loup de Wall Street. La voix qui pétille, un débit de parole qui n’a rien à envier aux traders haute fréquence et une habilité à mixer les références philo et les punchlines dignes d’une conférence TED. A 30 ans et deux strartup à son actif, Eva Sadoun entend incarner un nouveau visage pour la finance. Un visage que l’on attendait pas vraiment, qui parle économie réelle, impact social, investissements raisonnés et transition écologique. Pas vraiment les sujets qu’on imagine débattus dans les salles des marchés des grandes places financières mondiales. Co-présidente du mouvement Impact France (ancien Mouves), qui se positionne comme une « alternative au Medef » pour mettre en avant une économie à véritable impact social et environnemental. Une obsession pour Eva Sadoun, qu’elle tente de rendre réelle depuis 2017 avec Lita.co, acronyme de Live, Impact, Trust, Act. Un slogan qui pourrait très bien être celui du Green Party américain. Mais qui décrit parfaitement les ambitions de cette plateforme de crowdequity : faciliter l’investissement dans les innovations à caractère social et environnemental. Face à un système économique et idéologique qui nous semble immuable, celui d’un capitalisme ultra-libéral, court-termiste, à peine ébréché par la crise financière de 2008, des mouvements comme l’impact investig (comprendre, finance durable) creusent peu à peu leur sillon. Pas de politique de la terre brulée, pas d’appel à faire cramer les banques, mais un réel désir de valoriser les acteurs tournés vers des problématiques sociales et environnementales en détournant les investissements vers ce type de structure. Plus loin que la RSE, au-delà du green-washing, Lita spot les acteurs qui peuvent changer notre monde, par le biais de l’économie.
Trois ans après Lita, vous venez de lancer Rift, une application qui permet de scanner via notre smartphone l’impact social et environnemental de notre épargne… Vous nous en dites plus ?
Vous, moi, nous sommes tous des épargnants, nous plaçons notre argent sur des livrets A, des assurances vie, des livrets de développement durable. Ce sont des placements qui sont proposés par nos banques, qui nous sont rentables dans une certaine mesure. Mais en réalité, on ne sait pas vraiment ce qu’il advient de cet argent, à quoi il sert, qu’est ce qu’il finance. La première étape avant de lancer Rift a été, pour nous, de décrypter tout cet écosystème banquier autour de l’épargne. Car avant même de parler des enjeux économiques et sociaux liés aux placements, le premier enjeu est la transparence. Le secret des données bancaires est un vrai obstacle pour savoir quels sont les crédits contractés par votre banque, quelles entreprises finance-t-elle, avec quelle pays contracte t’elle des obligations … En premier lieu, on a voulu faire du décryptage et de la pédagogie.
Concrètement, l’argent que je mets à gauche sur mon livret A peut financer quoi ? Monsanto ? La vente d’armes ? Le nucléaire ?
Dans le pire des cas oui, l’armement, la pâte à papier, l’huile de palme, les centrales nucléaires. Nos banques financent le marché, elle sont à son image et ne sont rien d’autre que le reflet de notre économie. On ne peut pas leur demander de faire autrement. En revanche, là où elles peuvent agir, c’est en permettant de tracer les projets et les investissements, de les rendre plus lisibles, de financer des projets verts. Ce faisant, les individus auront le pouvoir de choisir à quoi sert leur épargne, et éventuellement la réallouer.
Ce que vous proposez, ce n’est pas de sortir notre argent des banques, mais plutôt de comprendre où et comment il pourrait être utile ?
Oui, car cette épargne est nécessaire. D’un côté, les individus ont besoin d’investir dans les livrets et de l’autre, notre économie est tributaire de cet argent. Pour schématiser : une partie de l’argent que les banques collectent sur les livrets A – 65% pour être précise – sont reversés à la Caisse des Dépôts et Consignations. Cette caisse finance ainsi l’économie en plaçant cet argent sur les marchés boursiers ou dans des obligations d’état. Et elle assure également un bas de laine en cas de faillite des banques. Les fonds collectés permettent aussi de financer les logements sociaux, les collectivités, les PME. Ce que l’on souhaite, c’est pouvoir savoir quelles entreprises, quels états, quels titres boursiers sont financés par cet argent. Autre exemple. La part des sommes collectés par le Livret Développements durable et Solidaire (LDDS) (un livret choisi par près de 40% des français, qui y ont déposé 104 milliards d’euros, ndlr) sensée financer des projets durables et solidaires sont également centralisés n’est que de 10% en faveur de la transition écologique. On milite pour que cette part passe à 80% et que ce livret n’ait pas de durable et solidaire que le nom …
Si je suis épargnant et utilisateur de Rift, je peux savoir quoi aujourd’hui ?
L’appli scanne vos livrets et vous permet de savoir ce qui est investi par la banque, ce qui est placé à la Caisse des Dépôts et Consignation, son impact climatique, sur la biodiversité, ses émissions de CO2. Rift permet de vérifier si vos produits d’épargne sont en adéquation avec vos valeurs. A terme, nous fournirons d’autres indicateurs comme la parité, les questions sociales ou liées à l’emploi. L’appli a vraiment pour but de faire émerger une prise de conscience, une forme d’action collective. Si les gens sont formés là-dessus, collectivement ils peuvent faire changer les choses en devenant de vrais cailloux dans la chaussure des puissances publiques. Dans une période de crise comme celle que nous vivrons, où l’on réalise les limites du capitalisme, les individus doivent comprendre les rouages de notre économique et avoir des revendications concrètes et réelles.
Ca se matérialise comment, concrètement ?
En faisant évoluer le secteur. Comme avec l’écologie, l’idée n’est pas de culpabiliser les gens, seul on ne peut pas faire grand-chose. Avec Rift, on offre une base arrière pour agir collectivement. En proposant d’envoyer un mail à votre banque pour demander des informations sur ses valeurs, ses placements. 3000 utilisateurs l’ont déjà fait. Je vous donne un exemple. 15% de Total est détenu aujourd’hui par des gestionnaires d’actifs, des banquiers. Or l’argent que ces banques investissent dans Total, c’est l’argent des épargnants, de vous, de mois. Ces épargnants, vous, moi, nous pouvons exiger que notre banque prenne par exemple des décisions en faveur du climat. L’an dernier, lors du vote de la résolution climat à l’Assemblée Générale de total, BNP Paribas a voté neutre. Avec une mobilisation des clients de la BNP, on pourrait agir pour les forcer à voter pour. Tout cela est encore très désorganisé. Nous voulons l’organiser.