Si les moins de vingt ans ne peuvent pas les connaître, les années 80 ont transformé le paysage culturel français comme aucune autre époque. Un héritage célébré avec l’exposition “Années 80, Mode, design et graphisme en France” à découvrir au Musée des Arts Décoratifs de Paris dès aujourd’hui et jusqu’au mois d’avril prochain.

Bouillon de culture
Le message et le saut dans le temps sont clairs. En accèdant à l’exposition Années 80. Mode, design, graphisme en France, on tombe nez à nez avec François Mitterrand (alias Tonton pour les intimes) et son affiche (publicitaire ?) de sa campagne de 1981, La force tranquille, réalisée par Jacques Séguéla (déjà là). Une façon de rappeler que ce premier mandat du président a été le synonyme d’années de faste économique et culturel. C’est d’ailleurs pendant cette décennie que La politique se lie notamment au design. Sous les conseils de Jack Lang, François Mitterrand redécore l’Elysée avec du mobilier contemporain et passe commande auprès de jeunes talents afin de soutenir la création. On apprend ainsi que Philippe Starck a signé la chambre de Danielle Mitterrand, Jean-Michel Wilmotte celle du Président, alors qu’Andrée Putman est quant à elle à l’origine du bureau de la Première dame quand Pierre Paulin conçoit celui de François Mitterrand.

En plaçant le contexte politique, l’exposition met aussi en lumière l’art du slogan avec les meilleures unes de Libération (fun fact : on s’alarme alors des 10% de Jean-Marie Le Pen aux Élections Européennes), les affiches du Parti SocialISTE, période de la rose et de l’engagement, ou encore le graphisme militant avec les campagnes des années Sida, du Secours Populaire, etc. C’est aussi le déploiement culturel du ministre Jack Lang à qui l’on doit la Fête de la Musique, la création de l’Institut Français de la Mode ou encore les Oscars de la mode. Au milieu, trône son costume à col mao signé Thierry Mugler qui lui a valu des sifflets à l’Assemblée car sa coupe ne permettait pas de voir le port de la cravate encore obligatoire à l’époque sur les bancs du parlement.

Ce début des années 80 marque aussi l’émancipation des médias et avec elle, la naissance d’une industrie alors aussi créative que problématique : la publicité. Étienne Chatiliez signe pour Kickers et Eram des spots dignes de courts métrages et les photos de Jean-Paul Goude sont en plein essor… Tout comme le sexisme et l’instrumentalisation du corps de la femme qui régissent la plupart des campagnes (qui se souvient du slogan “Le 2 septembre, j’enlève le haut” ?).

Le postmodernisme ou le champs des possibles
Outre l’essor de la société de consommation, les années 80 marquent aussi celui de la culture, du design, de la mode comme discipline artistique ou encore des nuits blanches et de la fête sans limites. La visite se poursuit sous la nef du Musée des Arts Décoratifs, sucrée par la scénographie signée Adrien Rovero. Une géométrie acidulée de jaune, de rose et de vert accueille les plus belles pièces de galeries cultes telles que Perkal, Néotù, ou encore Yves Gastou. Le mobilier et le vêtement forment un ensemble cohérent. Les créations de Christian Lacroix, Jean-Paul Gaultier et les collaborations colorées de Jean-Charles de Castelbajac font échos au design moderniste, tantôt high-tech, tantôt baroque ou encore primitif. Tout est permis, y compris les prémisses de l’upcycling qui prennent vie avec les décors emblématiques de Pucci de Rossi qui utilise des grille-pains et autres objets du quotidien.

Mais le domaine le plus excitant de l’époque reste celui de la fête, incarné par des clubs comme le Palace, Les Bains Douches ou encore la Java. La scène queer et fashion se partagent alors le game. C’est la décennie du fric, de la frime, de l’insouciance et de la légèreté. L’exposition raconte ce nouveau monde de la nuit, avec une collection d’affiches, de vinyles, d’images de l’époque, de clips d’Indochine et d’Elli Medeiros… Le monde ne manque pas de raison de faire la fête, les nuits parisiennes sont aussi le moyen de penser la mode comme un art de vivre, un art tout court qui gagne en légitimité underground.

La mode pour tou.te.s
À mesure qu’elle acquiert ses lettres de noblesse, la mode se démocratise. Les dernières étapes de l’exposition montrent ce paradoxe entre les silhouettes expérimentales de Martin Margiela, l’ultra couture de Karl Lagerfeld chez Chloé, le prêt-à-porter méga tendance de Claude Montana et le denim mainstream de Marithé et François Girbaud. C’est aussi l’heure de l’inversion des codes, où la lingerie surgit au premier plan comme chez Vivienne Westwood, Chantal Thomass ou Jean-Paul Gaultier. Bref, c’est l’époque de tout et son contraire.

La notion de “look” apparaît, la mode est à la mode. Les catalogues La Redoute et les 3 Suisses la rendent accessible à tou.te.s. Les marques du Sentier comme Naf Naf et Kookaï inventent le circuit court, grâce auquel atterrissent directement des ateliers aux boutiques. C’est aussi la naissance de la mode homme qui trouve désormais sa place dans les défilés. Dans la dernière salle du parcours, on peut admirer les créations pour l’homme éclectiques de Mugler, le sportswear selon Montana, le costume imprimé de Kenzo ou encore la fameuse marinière de Gaultier, inspirée par le film Querelle de Rainer Werner Fassbinder.

L’exposition s’achève sur le renouveau de la Haute Couture comme discipline artistique. Des robes Yves Saint-Laurent, Hubert de Givenchy ou Martin Margiela trônent en pièces maîtresses. Des clips témoignent qu’à l’époque Yves Saint-Laurent défile à La Fête de l’Huma et qu’à l’occasion du bi-centenaire de la Révolution Française, on organisait sur les Champs Elysées une énorme teuf chamarrée et bruyante, à l’image des années 80.

Exposition “Années 80, Mode, design et graphisme en France” au Musée des Arts Décoratifs de Paris, du 13 octobre au 16 avril 2022.

Exposition “Années 80, Mode, design et graphisme en France” au Musée des Arts Décoratifs de Paris, du 13 octobre au 16 avril 2022.