Jusque fin septembre, l’école Scad Lacoste dans le Lubéron accueille l’exposition CinéMode de Jean-Paul Gaultier. Un événement inédit qui a permis au couturier de venir à la rencontre d’étudiant·e·s américain·e·s fraîchement débarqué·e·s d’Atlanta afin de leur délivrer une masterclass. Rencontre avec l’enfant terrible de la mode, et ses futur·e·s petit·e·s camarades.

“Je n’ai aucune leçon à vous donner, car je n’ai jamais fait d’école de mode. Vous pouvez demander des conseils autour de vous, mais à la fin, écoutez-vous et faites ce que vous voulez. Croyez-en vous et surtout : soyez passionné·e·s!”. Voilà ce qu’a déclaré Jean-Paul Gaultier à la centaine d’étudiant·e·s américain·e·s venu·e·s assister à sa masterclass lors de l’inauguration de Cinémode, l’exposition qui revient sur les créations du créateur français inspirées d’œuvres cinématographiques, tout en présentant au public des costumes originaux de films cultes sur lesquels il a travaillé comme “Le Cinquième Élément” de Luc Besson , “Kika” de Pedro Almodóvar ou encore “La Cité des enfants perdus” de Jean-Pierre Jeunet.

“Le Cinquième Élément” de Luc Besson
“Kika” de Pedro Almodóvar.

En déambulant au cœur de cette exposition, alors qu’on frôle du doigt un corset aux seins coniques, notre attention se porte sur la plastique parfaite de Bruce Willis en chauffeur de taxi intergalactique tout en se demandant si un costume hommage à “Orange Mécanique” a encore sa place dans un musée, à l’heure où l’on mesure les conséquences qu’a engendré cette culture du viol dans notre société. Mais Jean-Paul Gaultier n’est pas là pour polémiquer, lui qui avoue volontiers être complètement déconnecté des controverses émanant de nos réseaux virtuels : “Je ne vais pas sur les réseaux sociaux, je ne sais même pas m’en servir. Je ne regarde jamais Youtube, mais j’ai la chance d’être très bien entouré : on me montre ce qu’il faut voir. Je ne veux pas tomber dans ce vertige qu’est d’avoir la possibilité de voir tellement de choses que l’on peut s’y engouffrer totalement”.

Et lorsqu’on lui demande s’il trouve le temps, tout de même, d’aller voir quelques films au ciné, le créateur nous évoque ses derniers coups de cœur cinématographiques, dont “Rosalie” de Stéphanie Di Giusto. Plus surprenant, il avoue avoir jalousé le costumier d’Avatar : “J’ai trouvé hyper intéressant le travail sur les costumes, même si tout est entièrement créé en animation. Un film est une expérience visuelle et auditive. Il faut que tout s’accorde dans l’esprit de l’histoire que l’on souhaite raconter. Je suis d’ailleurs en train de travailler sur un dessin animé pour lequel j’assure la direction artistique”. Ne jamais être là où l’attend, serait-ce un des secrets de la réussite ? “Il faut avant tout qu’un projet m’amuse pour que je me lance dans l’aventure. Je me suis toujours amusé en travaillant”. Un conseil que l’on s’empresse de répéter aux jeunes talents américains présents lors de cette inauguration.

En effet, l’exposition, présentée au musée Scad Fash Museum & Film permet aussi de mettre en lumière un petit village du Lubéron métamorphosé en une école d’art 2.0, Scad Lacoste. On se croirait d’ailleurs dans un épisode de “Black Mirror” lorsqu’on déambule dans les rues de Lacoste : imaginez une cité médiévale abritant un campus américain high tech d’où sortent les futur·e·s jeunes pousses du monde des arts, de la mode et du design et vous obtiendrez ce mix improbable de patrimoine français à la sauce ricaine. Près de 130 étudian·e·s se succèdent, tous les deux mois, dans cette école à ciel ouvert d’un nouveau genre. Originaires, pour la plupart, de l’état de Géorgie (le Savannah College of Art and Design se trouvant à Savannah), il·elle·s troquent les traditionnelles beuveries du springbreak pour venir profiter de la douceur provençale, dans un hameau qui, jadis a vu se déculotter un personnage bien connu de notre patrimoine : le marquis de Sade.

L’orgie du jour a donc été intellectuelle, en compagnie d’un de nos plus grands couturiers français, dont la marinière a depuis longtemps traversé l’Atlantique : “J’ai découvert son travail lorsque j’ai regardé “Le Cinquième Élément”, et ma mère était dingue de son parfum. Je ne connaissais pas forcément son visage, mais son nom était loin de m’être inconnu”, nous confie Roy Carey-ware, créateur de la marque JEOFROI avec son acolyte Jeffrey Taylor. Le duo, tout comme quatre autres anciens étudiants du SCAD, est venu proposer dans un pop-up store leurs créations vestimentaires qui sont loin de passer inaperçues : “Notre style ? Opulent ! More is more. La femme qui porte nos créations n’a pas peur d’être au centre de toute l’attention. Du glamour à l’état pur !”. Des femmes puissantes à l’allure extravagante, cela vous rappelle quelqu’un ? Un lien évident pour le duo qui n’a pas perdu une miette de l’intervention de JPG : “Sa masterclass m’a permis de mettre des mots sur ce que je ressens depuis longtemps, nous avoue Roy. La mode est trop souvent associée aux tendances que l’on doit suivre. Le fait qu’un designer comme lui nous incite à croire en ce que nous faisons, qu’importe notre style, m’inspire beaucoup”.

Une fois la masterclass terminée, nous retrouvons en tête à tête le maestro Gaultier afin de le questionner sur cette filiation, lui qui, après avoir quitté les podiums en 2020, invite chaque année un couturier qu’il sélectionne personnellement afin de créer une collection Gaultier haute couture. Simone Rocha, Olivier Rousteing ou Glenn Martens se sont déjà prêté·e·s à l’exercice, tandis que la prochaine cuvée sera confiée à Nicolas Di Felice : “Je n’interviens jamais lors de leur processus créatif. J’aurais adoré travailler pour Saint Laurent, mais si j’avais eu M. Saint Laurent derrière moi en train de me donner ne serait-ce qu’un conseil, je l’aurais suivi sans hésiter, au détriment de mon propre processus créatif. Je préfère tout miser sur l’émotion naturelle”. Et aussi un peu sur la provocation ? “Je vais vous dire franchement, lorsque j’ai fait des choses qui étaient provocantes, je ne les ai pas faites pour être provoquant, j’exprimais juste une autre vision des choses, nous précise le couturier. Ce n’est pas un truc abstrait, une invention, ou choquer pour vouloir choquer. La provocation, lorsqu’elle est gratuite, ne prend pas. Elle doit toujours correspondre à un mouvement de pensée”.

Lui qui a fait les 400 coups avec toute la clique du Palace se serait-il assagi ? “Comme vous pouvez le voir : j’ai quand même vieilli, donc il est évident qu’on voit les choses peut-être un peu différemment en prenant de l’âge. On devient un peu moins rebelle à vouloir dépoussiérer tel et tel sujet. Peut-être que l’on s’habitue, ou que l’on s’est adouci…”. En revanche, la chose pour laquelle il ne s’adoucira jamais, c’est son engagement pour défendre une cause qui lui tient à cœur, en l’occurrence celle de la recherche contre le Sida, notamment au travers de sa participation accrue à l’événement Fashion for Sidaction. Alors lorsqu’on lui fait remarquer qu’il est une des dernières personnalités publiques à constamment arborer, comme aujourd’hui, un pin’s en forme de ruban rouge, le regard du couturier devient plus franc, comme si la pseudo frivolité de nos questions précédentes restait suspendue le temps d’un instant : “C’est une cause qui est très importante et qui continue de l’être. C’est plus que nécessaire”.

Exposition Cinémode par Jean Paul Gaultier, jusqu’au 30 Septembre 2024 au Scad Fash Lacoste, Rue Basse, 84480 Lacoste