L’artiste britannique passionné de culturisme, de philosophie et de mythologie grecque investi jusqu’au 16 janvier l’espace 3537 dans le Marais à Paris, avec une nouvelle exposition : The Phantom Empire.

C’est dans l’hôtel de Coulanges, sublime bâtisse à l’esthétique wabi-sabi que se déploie The Phantom Empire, dernière création de l’artiste britannique Graham Hudson, invité de 3537. Le titre est une référence directe à une série TV éponyme des années 30 racontant les aventures d’un cow-boy chantant incarné par Gene Autry qui découvre un monde secret sous sa ferme, mêlant western et science-fiction. « À cette époque, la science-fiction aux États-Unis était très influencée par la pseudo-science et l’occultisme, la télékinésie et les séances de spiritisme côtoyant les nouvelles technologies « réelles » comme les rayons X et la propulsion par jet. C’était une époque incertaine où il y avait plus de place pour le mystère. Cette série a eu beaucoup d’influence sur George Lucas et Star Wars, et pour moi, elle fait également écho au livre The Hero’s Journey de Joseph Campbell, un philosophe américain qui a mélangé la psychologie, la mythologie, la religion et les contes. Campbell a beaucoup réfléchi à la question de savoir quand l’humanité a été capable de concevoir la mort, la beauté, sa propre identité. Le titre de l’exposition évoque donc ces idées, également à l’aube de 2022, l’Empire (fantôme) est-il les États-Unis, l’Europe, la Chine, le COVID, la société ? Quels sont les fantômes d’aujourd’hui ? Pour moi, l’exposition est une passerelle vers ces questions existentielles qui nous relient à notre passé et à notre présent », explique Graham Hudson. Fasciné par les processus de construction et re-construction, bref, les chantiers, l’artiste a sans doute apprécié l’atmosphère des lieux qui semble en plein travaux d’aménagement, avec coulures de peintures et carrelages d’antan morcelés. Il a choisi d’investir cinq espaces de l’étage du bâtiment de style classique où vécu un temps Madame de Sévigné.

Portrait de Graham Hudson (DR, courtesy of the artist)

Ce véritable décor architectural dans son jus a quelque chose de théâtral, sorte d’alcôve qui renferme d’étranges voix émanant d’une imposante installation faite de tuyaux d’arrosage, de lampes de chantiers, de vinyles sur platines et de corps moulés, fragmentés, entre vestiges de la Grèce antique et bustes en plastiques tout juste extirpés de leur vitrine…ou d’un site archéologique. The Phantom Empire reprend les codes caractéristiques de Graham Hudson. Des objets de chantier sont agencés de façon à détourner leur utilisation par des associations à première vue hasardeuses. Pourtant bien au contraire, tout y est parfaitement calculé et maîtrisé, comme par exemple les variations de vitesses sur les platines où tournoient de vinyles des contes pour enfants « Once Upon a Time » et « The Wind in the Willows ». On ne sait alors plus s’il s’agit de voix de personnages de dessins animés ou de monstres tout droit sortis d’un film d’horreur. Ambiance. « J’aime amener les gens à se demander si la sculpture est finie ou cassée, en remettant en question sa valeur. Dans The Phantom Empire, il y a des objets de grande valeur et artisanaux, combinant le moulage et la technologie CNC, et d’autres qui sont en plastique bon marché, achetés directement sur Amazon et mal peints à la bombe. »

De cet apparent enchevêtrement d’éléments en cours de construction se détachent des fragments de corps athlétiques. Le culturisme est l’une des composantes majeures du travail de Graham Hudson, lui-même sportif assidu devenu récemment entraîneur. Le corps est mis en scène sous différentes formes, celles de sculptures antiques pastichées et de corps de plastique, symboles d’une société obsédée par l’apparence physique et sa métamorphose, tout autant que par une surconsommation attisée par un marketing hyper-individualiste. Pour Graham Hudson, cette transformation physique visant le bien-être renvoie à celle de la vie, qu’il s’agisse de la carrière professionnelle, de l’amour, tout est agi par la mythologie. Le mystère de la naissance, de la métamorphose physique de l’enfant à l’adulte, la mort, sont pour lui des manifestations puissantes à l’oeuvre. « L’industrie du fitness joue sur une idée spécifique de « transformation ». Pouvoir changer son corps, cela rejoint le mythe des Métamorphoses d’Ovide », explique Graham Hudson, un thème qu’il a développé sur son blog physical_culture_philosphy. « Même dans les films Marvel et les histoires pour enfants, il y a toujours ce récit mythologique d’une transformation physique qui change la vie. » Cette métamorphose du corps et de la vie s’incarne dans la réalité lors de la révolution industrielle à la fin du XIXème siècle, avec le premier culturiste Eugen Sandow, auquel Graham Hudson voue une grande admiration, allant même jusqu’à participer à la reconstruction de sa statue en collaboration avec le Musée d’histoire naturelle de Londres et le H.J. Lutcher Stark Center for Physical Culture and Sports à Austin, au Texas.

Avec l’arrivée des machines industrielles, le travail est moins physique et certains hommes craignent alors de perdre en virilité sans exercice physique. Eugen Sandow découvre les sculptures antiques lors d’un voyage à Rome. Captivé par la mythologie qui entoure ces corps aux formes canoniques, il décide de sculpter son propre corps par une musculation intensive, comme une réaction aux bouleversements de l’ère industrielle. Construire et métamorphoser sont au cœur de la démarche artistique de Graham Hudson qui appréhende ce processus de renaissance à travers le corps : « Depuis que je suis préparateur physique, je trouve très intéressant de passer à la construction de corps. L’entraînement est basé sur l’hypertrophie, l’entraînement d’un muscle jusqu’à l’échec. Le muscle meurt et est reconstruit (plus fort), il y a mort et renaissance. Cela peut être considéré comme une performance et une sculpture. C’est le Victorien Eugen Sandow qui, le premier, a commercialisé en masse l’idée que l’on pouvait changer sa vie, son corps, ses idées, c’est un concept moderniste de l’ère de la machine. J’aime à penser qu’en quittant l’exposition, les visiteurs réfléchiront à des questions fondamentales telles que « qu’est-ce qu’être humain ? Qu’est-ce que c’est que l’expérience de la réalité (en 2021) ? » Un clin d’oeil grinçant à notre rapport à l’apparence physique, à sa dimension aussi éphémère que la vie, se découvre dans un autre espace de The Phantom Empire avec l’installation intitulée « The discovery of beauty ». Sept crânes semblant abîmés par le temps nous font face, à hauteur du regard, et l’on repart avec cette question assurément existentielle en parfait écho à Joseph Campbell : lequel nous ressemble le plus ?

Graham Hudson, The Phantom Empire, jusqu’au 16 janvier à l’espace 3537, 35-37 rue des Francs Bourgeois, Paris 4.