Texte :  Antoine Leclerc-Mougne et Florence Vaudron

Après un an et demi de pause provoquée par les caprices de Miss Rona, la fashion week de Paris a fait son grand retour IRL. L’occasion pour elle de mettre une bonne fois pour toutes ses concurrentes New York, Londres et Milan à l’amende et de nous offrir une saison printemps-été 2022 qui s’annonce déjà comme l’un des meilleurs crus de l’histoire de la « fachon » post-pandémie. Récap en 10 points (+ 1 bonus).

1. Le retour des mastodontes
Chanel SS22, Saint Laurent SS22, Givenchy SS22, Dior SS22

Cela faisait un an et demi qu’on n’avait pas vu les darons de la mode défiler ensemble en présence d’un large public pendant le calendrier officiel de la fashion week. Miss Rona oblige, certains avaient choisi d’en sortir (comme Saint Laurent) quand d’autres avaient préféré des défilés digitaux ou des réunions clandestines en catimini au fin fond des clubs berlinois (coucou Bottega Veneta). Résultat, l’attente d’un retour à la normale était d’autant plus grande avec sans doute une pression respective pour chacune des grandes maisons françaises de s’affirmer tout en marquant le coup et les esprits. Spoiler : mission accomplie.

En choisissant le coup de la nostalgie avec un set design rappelant l’ère des grands défilés des années 90 (podium surélevé, horde de photographes, sourire et démarche chaloupée des mannequins), Chanel a su comment se renouveler et apporter un peu de légèreté tout en donnant vie aux vêtements, le tout en reinterprétant les silhouettes 90’s classiques de la maison comme le maillot de bain deux pièces brassière noir et blanc accompagné d’un sac à main mattelassé et sa chaîne bandoulière XXL.

Abonné au Trocadéro, Saint Laurent a fait défiler ses mannequins sous une énorme fontaine jaillissante. Soit autant de cascades pour autant de looks réussissant à mêler subtilement l’héritage historique de la bourgeoise germanopratine dévergondée à celle d’une parisienne désinvolte mais ultra-déter à la fois, avec des vestes à épaulettes qui crient le power dressing orgasmique jusqu’aux combinaisons/fuseaux moulantes, en passant par des tailles hautes affûtées et des épaules et dos dénudés qui gueulent l’empowerment féminin. 10, 10, 10 across the board !

Depuis l’arrivée de Matthew Williams chez Givenchy, on était autant dans le flou que dans un cliché de David Hamilton. Force est de constater que cette collection SS22 aura enfin permis au créateur britannique de remettre Givenchy sur les rails tout en y infusant son propre style. La direction prise semble être la bonne avec des silhouettes racées juste ce qu’il faut de complexe et de chargée, que ce soit en terme de coupes, matières ou couleurs. Une synergie palpable entre la vision ultra moderne de Williams et l’héritage de la maison française.

Ozana ! Dior s’amuse. Et a enfin mis au placard les jupons et les bérets (c’est vrai que depuis Emily in Paris, on avait clairement atteint le seuil de l’overdose). Résultat, Maria Grazia Chiuri se libère et donne une direction plus fraîche à la marque avec une collection qui joue avec les couleurs et propose des silhouettes plus affutées, notamment en mettant clairement le pied dans le moodboard sixtie’s, le tout dans un décor de jeu de société pop acidulé. Bref, c’est sympa et rafraîchissant.

2. Le coup de maître de Balenciaga

Cette FW, c’était aussi la confirmation que Demna Gvasalia est définitivement haut dessus en matière de cool. Le designer géorgien a présenté sa collection SS22 pour Balenciaga au Théâtre du Châtelet avec un drôle de show en deux actes. Le premier acte a débuté avec un mystérieux tapis rouge et son parterre de reustas habillées en Balenciaga (Cardi B, Amber Valetta, Eliott Page,…), pour donner place, en deuxième partie, à une projection spéciale d’un épisode des Simpsons. Dans cet épisode, Demna Gvasalia décide de rattraper l’anniversaire raté de Marge en embarquant la population de Springfield à défiler pour lui à Paris devant toute la fashion sphère réunie, dont Anna Wintour… qui tombe en amour devant le swag des personnages ! De Patty et Selma Bouvier habillées de pièces outerwear aux volumes architecturaux à Waylon Smithers portant les fameuses bottes Knife en satin extensible… les personnages du cartoon font la révolution sur le catwalk Balenciaga-ga (comme prononcé par Homer). Nos deux highlights du show : Bart qui montre ses fesses au front row, complètement conquis par ce geste, et Marge, sublime, qui clôture le défilé avec une crinoline sur La Vie en Rose arrachant au passage une larme à une Anna Wintour visiblement très émue. Carton plein pour ce coup de génie de Demna Gvasilia qui a su créer la surprise et fait rire toute la fashion sphère.

3. Le show Cardi B
Cardi B en Marc Piasecki, Schiaparelli, Mugler et Balenciaga

Parce que durant toute cette semaine de FW parisienne, elle a été un show à elle toute seule, Cardi B mérite haut la main sa place ici. Présente depuis le 28 septembre à Paris, la rappeuse new-yorkaise à fait des rues de la capitale son podium perso. 29 septembre, inauguration de l’expo Mugler aux Musée des Arts Déco, elle apparaît dans la soirée dans deux tenues différentes iconiques du créateur. La première, une robe rouge scintillante présentée au Cirque d’Hiver en 1995, la deuxième une robe noire à corset issue de la collection mythique de Mugler « Les Insectes ». Le show de Cardi B est lancé, tout au long de la semaine, que ce soit en Schiaparelli, en Richard Quinn ou en Balenciaga, l’icône badass a rivalisé d’audace à chacune de ses apparitions.

4. La percée de Courrèges

Avec son premier défilé public IRL depuis son arrivée à la direction artistique de Courrèges, Nicolas Di Felice a définitivement réussi à remettre sur les rails une belle endormie que personne n’avait vraiment jusqu’ici réussi à réveiller. Avec cette nouvelle collection SS22 qui continue de dessiner les contours de sa vision cohérente pour la marque, le jeune créateur belge a su une fois de plus subtilement faire référence aux classiques de la maison française tout en leur donnant un aspect ultra-moderne, frais, accessible et contemporain (les grandes capes retravaillées, l’imprimé en rayures obliques revisité, les bottes cuissardes rehaussées, le lamé space age habilement décliné, les pantalons taille basse bien ajustés, la présence du vinyle bien maîtrisée…). Résultat, les silhouettes sont racées sans être strictes, sexy sans être démesurément osées, volontaires sans être menaçantes, désirables sans être intimidantes. Comme l’incarnation artistique parfaite d’une recette vestimentaire où il ne manquerait rien et où rien ne serait de trop, Nicolas Di Felice a frappé juste. Et fort. Notamment avec un set design épuré paumé au beau milieu d’une prairie verdoyante du Bois de Vincennes où résonnait une B.O démente (co-composée avec son ami Erwan Sene) qui rappelait les meilleures rave party clandestines y ayant eu lieu pendant les étés de la pandémie. Un moment visuel et sonore suspendu que seuls les vrais poètes savent nous offrir. Car après tout qu’est-ce qu’un poète sinon celui qui rêve et qui fait rêver raver ?

5. La jeune garde pro-climat

Cette fashion week parisienne s’est terminée, comme il en était la tradition dans l’ère pré-covid, par le défilé Louis Vuitton. Un retour aux bonnes vieilles habitudes qui ne s’est pas tout à fait déroulé comme prévu puisque une militante d’Extinction Rebellion (mouvement social écologiste international qui invite à la désobéissance civile pour lutter contre la crise climatique et sociale) s’est introduit sur le catwalk LV brandissant une bannière avec inscrit « Overconsumption = extinction ». Depuis, la vidéo a amplement circulé sur les réseaux sociaux et a fait l’effet d’une bonne piqure de rappel pour se rendre compte qu’un retour au monde d’avant n’était pas envisageable. Si l’industrie de la mode dans sa globalité a encore un bout de chemin à faire pour sortir du cycle infernal de la surproduction, il n’en reste pas moins que cette saison SS22 a vu s’imposer des créateurs déterminés à ne plus ignorer la crise climatique et à y trouver des solutions concrètes.

A commencer par Botter, fondé par Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh, lauréat du festival de Hyères 2018, qui a livré un défilé digne du Grand Bleu, aussi esthétique que poétique (dont le styling a été réalisé par le très talentueux Imruh Asha). Centrée sur le milieu aquatique, l’ADN de la marque, cette collection intitulée « Global Warning », mettait en scène un monde où la montée des eaux et les inondations à répétitions seraient devenues une réalité inéluctable avec laquelle les hommes s’accommoderaient. « It’s not enough to just make clothes anymore » a déclaré Rushemy Botter à propos de cette collection. Le designer a donc imaginé des blazers assortis avec des masques de plongée, des parapluies directement intégrés aux silhouettes pour mieux tirer la sonnette d’alarme et nous projeter dans un futur que beaucoup ne veulent pas regarder en face. 60% des tissus de la collection « Global Warning » proviennent par ailleurs de plastiques recyclés récupérés dans les océans par l’ONG Parley for the Oceans, ONG avec qui Botter a collaboré sur cette collection SS22.

A côté de Botter, on retiendra aussi le talent tant écoresponsable que créatif de Kevin Germanier et de Benjamin Benmoyal. L’un fait dans le glamour, les années folles et l’esthétique glamour poussée à l’extrême et l’autre explore l’atlas marocain et son propre héritage berbère dans leurs collections SS22 présentées toutes deux au Palais de Tokyo. Si leur style et leurs inspirations diffèrent, ils se rejoignent sur un point : une conscience écologique commune qui passent par l’utilisation de matériaux upcyclés, la défense d’une mode à taille humaine et le retour au savoir-faire humain.

6. La mode à 2000% de Miu Miu

Alors que l’icône incontestée des années 2000, aka Britney Spears, est sur le point de prendre sa grande revanche en mettant fin à des années de mise sous tutelle abusive de son propre père, la mode a décidé d’invoquer l’an 2000 sur les podiums de cette saison SS22. Coïncidence ? je ne crois pas. C’est d’abord pendant la FW de NYC qu’on avait observé ce revival des 00’s avec des robes, des jupes et des tuniques portées par dessus des pantalons chez Helmut Lang et Thom Browne. Puis, à Milan, chez Blumarine, on se voyait carrément s’enjailler sur « Baby One More Time » comme à la bonne époque devant le lâché de papillons sur les tops et les ceintures qui s’offrait à nous. A Paris, Miuccia Prada, herself, a confirmé que les années 2000 revenaient bel et bien en force cette saison avec son défilé Miu Miu et ses micro-jupes taille basse. Free Britney and bring the 00s back. Okay, le message est bien passé.

7. Une pointe d’années folles
Lanvin SS22, Giambattista Valli SS22, Koché SS22, Dior SS22

Comme dans les années 1920 qui ont laissé place à la débauche chic et festive (après le carnage de la WWI, normal), les années 2020 laisseront-elles la place à un clubbing chiadé et surlooké post-pandémique ? Sans doute à en croire le vestiaire de certaines marques comme Lanvin, Dior, Giambattista Valli et Koché qui ont joué sur les références excentriques et festives de cette période vestimentaire avec des plumes, des franges, des froufrous, du strass, du lamé, du satin etc. Cela dit, attention, le crash boursier de 29 n’est jamais très loin…

8. Retour vers le futur
Ottolinger SS22, Loewe SS22, Coperni SS22

A mesure que notre avenir tire de plus en plus la gueule (pandémie, crise climatique, apocalypse…) autant essayer d’imaginer un futur plus radieux et optimiste qu’il n’y paraît. Une sorte de néo-future des 70’s qui avait vu s’imposer en maître l’ère du space âge mais cette fois-ci revu à la sauce 2022, à l’heure où les milliardaires mégalomanes préfèrent s’envoyer dans en l’air dans leur fusée phallique plutôt que de sauver la planète. Cette saison, cette vision tech-futuriste s’illustre notamment par Loewe qui a proposé des silhouettes tout droit sorti d’un film de SF qui aurait fait se rencontrer Dune et Star Trek au détour d’une palette pantone de Bisounours, Coperni dont la collection toute entière portant le nom de « Summer 2033 » imaginait les looks de… – je vous le donne en mille – l’été 2033, ou encore Ottolinger dont les looks rappelaient pour beaucoup des vêtements du vestiaire du futur qu’on n’a pourtant pas encore vu…

9. Les célébrations

C’est rare qu’une FW condense autant d’anniversaires/d’hommages majeurs. Olivier Rousteing a fêté sa dixième bougie à la tête de la direction artistique de Balmain avec la seconde édition du « Balmain Festival » qui s’est tenue sur deux jours à la Seine Musicale, sur l’île Seguin. Pour célébrer ses 10 ans de création pour la marque, Olivier Rousteing est retourné à l’essentiel de ce qui a fait son succès au sein de la maison. A commencer par son vestiaire signature, fait de robes de perles et de broderies florales, mais aussi une série de pièces effet bondage et autres détails incontournables de la maison à l’instar des boutons et médaillons. Le designer n’a pas manqué pour cet évènement si spécial de faire appel à sa Balmain army, partie intégrante de l’essence de la maison depuis son arrivée dans la maison. Le podium rassemblait ainsi Adut Akech, Nora Attal, Imaan Hammam, Cindy Bruna,… aux côtés des iconiques Naomi Campbell, Carla Bruni, Milla Jovovich et Natalia Vodianova.

Autre anniversaire majeur, celui des 100 ans de la maison Louis Vuitton. Pour célébrer ce centenaire, Nicolas Ghesquière a lui aussi présenté un défilé revenant à ses essentiels pour LV : les anachronismes stylistiques. Robes paniers, jupes en crinoline à paillettes, pantalon kaki utilitaire accompagné d’une chemise à col victorien, … le designer a joué la carte du choc des cultures et des époques.

La célébration LV a ensuite laissé place à un défilé exclusif organisé par AZ Factory, qui réunissait 45 créateurs de mode sur le parvis du Carreau du temple, en hommage à Alber Elbaz, décédé en avril dernier. Demna Gvasilia, Maria Grazia Chiuri, Pieter Mulier, Jean Paul Gaultier, Pierpaolo Piccioli, Stella McCartney, Rick Owens,… tous les plus grands noms de la mode ont répondu présents pour présenter une pièce réalisée en hommage à l’un des créateurs de mode les plus aimés. L’équipe du studio AZ Factory, le label de couture technologique qu’Alber Elbaz avait fondé en 2020, a ensuite présenté 25 modèles inspirés du sportswear couture que le couturier avait amorcé l’an dernier, dans la première collection du label.  C’est donc de la meilleure manière qu’il soit que s’est achevée cette FW parisienne, sur un hommage vibrant, émouvant et rempli d’amour à un créateur à la bienveillance et la générosité incomparables.

10. Trou Story
Loewe SS22, Stella McCartney SS22, Giambattista Valli SS22, Courrèges SS22

Parfois il y a des trous qu’il ne faut pas mieux remplir. Au contraire, c’est bien d’en faire apparaître là où on s’y attend le moins, surtout quand ces derniers dévoilent de la peau. L’été 2022 sera chaud et aéré. En témoignent les tenues… à trous observées sur différents catwalks comme chez Giambattista Valli (à la taille), Stella McCartney (sur le flanc), Loewe (sur les rotules), Courrèges (sur les hanches et le nombril…) etc. Liste non exhaustive. Trou story, on vous jure.

Bonus. Les passages iconiques d’Yseult, Nicolas Huchard et Nix Lecourt Mansion au défilé L’Oréal
PARIS, FRANCE - OCTOBER 03: Yseult walks the runway during "Le Defile L'Oreal Paris 2021" as part of Paris Fashion Week on October 03, 2021 in Paris, France. (Photo by Kristy Sparow/Getty Images for L'Oreal)

Pour la quatrième fois à la fashion week de Paris, l’Oréal a organisé son défilé événement célébrant la féminité et le féminisme comme un cri de ralliement pour toutes les femmes mais aussi pour les hommes, qui partagent nos convictions. Shout out spécial à Nicolas Huchard et son allure aussi hot que désinvolte (21m20s), Nix Lecourt Mansion et sa démarche encore plus fierce après avoir tèj ses talons défectueux (29m04s), et enfin Yseult qui a tué le catwalk game avec une horde de performeuses aussi déter qu’elle (32m11s).