Texte :  Antoine Leclerc-Mougne 

Dernière fashion week à clôturer le fashion month, Paris a été marquée et chamboulée de plein fouet par la guerre en Ukraine. Sommée de s’adapter à cette tragédie et de montrer son soutien au peuple ukrainien, la semaine de la mode parisienne n’en a pas pour autant oublier de célébrer la créativité et le savoir-faire de son industrie. The show must go on, comme on dit. Retour en 12 points sur une semaine riche en surprises et en émotions.

1. Le statement de Balenciaga

Une fois de plus, Balenciaga restera sans doute la marque qui aura le plus marqué la fashion week avec un show emblématique mettant l’accent sur le changement climatique, la crise des réfugiés et la guerre en Ukraine. Plusieurs déclarations importantes ont été faites de la part de Demna à travers sa collection fall-winter 2022. D’abord par l’envoi d’iPhone 6 usagés comme invitations, afin de rappeler aux invités et aux clients de la marque le gaspillage et la négligence. Le jour du show, la maison avait disposé des t-shirts bleu et jaune sur chaque siège pour montrer son soutien à l’Ukraine alors que la Russie continuait son invasion du pays européen. « La guerre en Ukraine a déclenché la douleur d’un traumatisme passé que je porte en moi depuis 1993, lorsque la même chose s’est produite dans mon pays d’origine et que je suis devenu un réfugié pour toujours », a écrit le créateur dans les notes de la collection. Le défilé lui-même a commencé par une voix lisant un poème ukrainien sur la paix, suivi de mannequins marchant dans une scène circulaire prise en pleine tempête de neige et bravant le froid et les éléments au son d’une musique hard tech anxiogène. Et sur les épaules des mannequins de Balenciaga, on pouvait observer comme à son habitude, des silhouettes assez so(m)bres et austères aux coupes surdimensionnées, avec quelques touches de couleurs de-ci de-là, comme les deux derniers looks monochromes jaune et bleu rendant un dernier hommage aux couleurs du drapeu Ukrainien. Une des seules véritables prises de positions sur la guerre en Ukraine par une marque de mode alors que le reste de l’industrie se demandait encore quoi dire et quoi faire…

2. Grandes maisons et affirmations

Après une deuxième saison de retour à la normale en cette période post-pandémie où les défilés ont pu reprendre de manière physique et en public (on croise les doigts pour que ça continue), les grandes maisons parisiennes en ont profité pour prendre le parti sûr d’affirmer chacune leur identité.

CHANEL
Chez Chanel Virginie Viard a décidé de dédier sa collection au tweed, autant dire la matière ADN de la maison. Du Grand Palais Éphémère tapissé aux couleurs de la rivière Tweed écossaise à un défilé dédié aux Highlands écossais, cette ode au tissu iconique était partout. Les mannequins étaient enveloppés dans des tricots chinés confortables, les costumes étaient amples et surmontés de vestes en molleton, et les vestes de bar étaient stylisées avec des bottes en caoutchouc au-dessus du genou. Une certaine approche décontractée de la silhouette Chanel qui mérite d’être soulignée.

DIOR
Chez Dior, Maria Grazia Chiuri a repris les classiques de la maison (tailleur bar, jupon, robe antique) en leur apportant une touche de modernité grâce à des éléments issus de la culture motorsport. Mariant le passé, le présent et le futur, Chuiri a proposé des costumes parfaitement taillés, des combinaisons fluorescentes prêtes pour un Speed ​​Racer de l’enfer et, plus surprenant encore , des robes en tulle emblématiques du créateur compensées par des épaulettes de quaterback/motobiker. Dans la salle, des peintures grand format accrochées en mode grande galerie du Louvre, représentaient des portraits de femmes du XVIe au XIXe siècle, avec chacune une double paire d’yeux, histoire d’offrir deux visions contradictoires : celle du female gaze (sujet) qui reprend le dessus sur le male gaze (objet). Un penchant féministe auquel Chiuri nous a habitué depuis le début de sa carrière chez Dior.

LOUIS VUITTON
Louis Vuitton a toujours fait de la jeunesse créative une référence. Mais pour ce nouveau défilé, il s’agissait vraiment de la source de toute la collection. Selon le communiqué de presse de la maison, Nicolas Ghesquière a souhaité capter “le moment particulier qui appartient aux années formatrices, celles qui forgent le caractère […] La fugacité et la belle volatilité de l’adolescence ». Du coup, cette idée de nonchalance cool AF est capturée dans des silhouettes andorgynes lâches et amples, presque nostalgiques, comme si on avait choisi des pièces dans une pile de vêtements trouvée par terre sur le sol de la chambre d’une adolescente. Comment ça se traduit ? Par des looks qui associent à la fois maillots de rugby et longues robes, ou cravates de grand-père avec esthétique de jeune working girl ultra-déter, à l’image de la star de Squid Game Hoyeon Jung qui a ouvert le show et de Lous & The Yakuza qui l’a clôturé.

GIVENCHY
Pour sa dernière collection pour la maison Givenchy, Matthew M.Williams a fait ce qu’il sait faire de mieux. À savoir combiner sportswear et savoir-faire pour des silhouettes mi-glam mi-emo qui cette saison se caractérisaient par des graphismes de logo ressemblant à des groupes de métal comme s’ils avaient été éclaboussé sur des pulls molletonnés et des débardeurs. Ceux-ci étaient superposés et/ou assemblés avec de longs vêtements d’extérieur ou encore des crop tops. En se penchant sur les archives de la maison, Williams a aussi réinventé les détails des collections de couture, en ajoutant des perles aux jeans et aux tops ainsi que des colliers surdimensionnés comme accessoires.

LOEWE
« Pousser les choses vers quelque chose qui pourrait être irrationnel », voilà la direction prise par Jonathan Anderson la collection FW22 de Loewe. Le créateur a ainsi présenté une gamme de designs inattendus et fantaisistes, notamment une robe avec une voiture cachée dans l’ourlet (oui, oui), une robe avec des lèvres surdimensionnées au niveau du buste et des ballons pressés sur des robes drapées. Du surréalisme typique à la sauce Loewe qui nous réaffirme une fois de plus que la mode ne doit pas être prise au sérieux.

HERMES
Comme à son habitude, Hermès a présenté une collection qui tournait autour du coeur équestre. Pourquoi changer quand ça marche d’aillleurs ? Sauf que cette saison, la vision équestre d’Hermès est beaucoup plus sexy et jeune qu’il n’y paraît. “C’est techno dans l’esprit : vitesse, sex-appeal, sportivité », décryptait Nadège Vanhee-Cybulski dans les coulisses avant le défilé. Du sex-appeal oui, mais surtout beaucoup de sensualité. La silhouette, centrée sur la taille et les cuisses, entrelace le cuir avec des fils de tricot extensibles, permettant aux vestes, robes moulantes, minijupes et mini-shorts d’épouser tranquillement et sensuellement les courbes du corps des mannequins. Easy.

3. L’ultime défilé de Virgil Abloh pour Off-White

Le décès de Virgil Abloh en novembre 2021 a été un coup dur pour l’industrie de la mode et les nombreuses vies qu’il a influencées. Cette collection FW22 d’Off-White était donc un hommage à son défunt fondateur. Intitulé “Spaceship Earth: an Imaginary Experience”, le défilé présentait une série de looks de prêt-à-porter et de couture portés par certains des plus grands modèles issus de différentes générations (Naomi Campbell, Cindy Crawford, Kaia Gerber, Bella Hadid, Kendall Jenner). Cette dernière collection, « conçue par Virgil et complétée par les équipes créatives et les collaborateurs avec lesquels il a travaillé », aura délivré plusieurs messages importants dont un en particulier sur la lutte d’Abloh contre la maladie vu à travers un sac à main qui disait « MORE LIFE » et un autre rempli de gélules rouges et blanches. Rest In Power, Virgil.

4. La jeune garde qui va s’emparer du fashion game

Préparez-vous car cette saison, Paris a vu éclore quelques jeunes noms de la création qui ont définitivement marqué de leur empreinte l’histoire de la mode et de la fashion week Parisienne. Une jeune scène composée de designers comme Lecourt Mansion, Weinsanto, Pressiat, Benjamin Benmoyal, Botter, Germanier, Alter, Ester Manas, Ottolinger ou Rui, qui chacune et chacun à leur manière ont confirmé leur statut de jeune pousse méga-star en devenir.

LA FIERCENESS DE LECOURT MANSION
Avec son premier vrai show dans le calendrier officiel de la fashion week parisienne, Lecourt Mansion a pu montrer toute l’étendue de son talent avec une collection nommée “Revenge look”. Soit une série de silhouettes d’eveningwear fierce AF mises en lumière par un casting à faire pâlir n’importe quelle A-List du fashion game : Noémie Lenoir, Amel Bent (enceinte), Inès Rau, la Dj Jeune Pouce… qui surjouaient les attitudes de femme empowered et en plein contrôle de leur corps et de leur sex-appeal (flip hair compris). Bref, le meilleur du revenge look sublimé par une performance de la chanteuse Thee Dian entre champagne et grosses bagnoles au milieu du Garage Amelot à Paris. Un sans faute pour la maison Lecourt Mansion et sa créatrice Nix dont le message était clair : célébrer le pouvoir, la force et le désir de TOUTES les femmes.

LA PERFORMANCE DE WEINSANTO
Pour son deuxième défilé, le jeune créateur Weinsanto (présent dans les pages de notre nouveau numéro Commitment) a su confirmer son statut de nouvel enfant terrible de la mode, digne hériter d’un Jean Paul Gaultier jeune et fougueux. Sa nouvelle collection baptisée “Murder in Paris” célébrait une culture mode queer où les mannequins (Mimi, Ildjima, Philippine Leroy-Beaulieu…) qui exagéraient les poses (spin, sourires, attitudes) étaient puissantes, mystérieuses, fierces et énigmatiques. Entre une drama queen ultra-colorée penchant dangereusement vers une veuve noire BDSM…

LE JUSTESSE DE BOTTER
La marque parisienne BOTTER de Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh s’est rendue à la Fashion Week de Paris pour présenter sa collection Automne/Hiver 2022 « Dear Earth ». Teasé à la fin du mois dernier sous les hashtags « #caribbeancouture #botterwaysarecoming », BOTTER a livré une collection qui fait un clin d’œil aux racines caribéennes des fondateurs tout en présentant sans aucun doute la meilleure collection de la marque à ce jour. Connue pour son approche ultra-sustainable de sa confection (récupération de deadstock, upcycling de plastique etc), la marque a présenté ce qu’elle sait faire de mieux : un subtil assemblage de tailoring et de sportswear aux couleurs flamboyantes.

L’ULTRA-GLAM DE GERMANIER
Petit chouchou des stars de K-Pop et J-Pop, tout comme de la chanteuse Björk, Kevin Germanier a enfin pu officiellement défiler dans le calendrier officiel de la fashion week de Paris. L’occasion pour le jeune créateur suisse ultra-talentueux de montrer son savoir-faire sur les broderies de perles et de plumes mais aussi sur précision quant au tailoring. Avec en prime une tendance assumée et maîtrisée du glam et de la flamboyance (sequins, paillettes, dorures…) qu’il a pu montrée au sein des Salons Baccarat dans le 16e arrondissement de Paris. Si jamais Chanel cherche un successeur pour reprendre la marque, elle sait où le trouver.

LA COOLITUDE D’ALTER
La jeune marque Alter connu pour proposer des silhouettes conçues à partir de matériaux sustainables a marqué la fashion week avec un défilé en off du calendrier officiel. Tout était là : du tailoring, du tricot, du satin, de la laine, des bombers, du tailoring… Bref, tout ce qui fait la garde-robe idéale du moment. Ouvert par la mannequin et artiste trans Claude-Emmanuelle Gajan-Maull, le show a été clôturé en beauté par une performance du jeune rappeur parisien Le Sid. Même Suzy Menkes était là pour applaudir la performance.

5. Le syndrome de la Miu Miu Skirt

La saison dernière Miu Miu a killé le fashion game avec le retour de sa mini-jupe très Y2K. Depuis, la pièce a été vue partout (même en couv’ de notre dernier numéro Commitment). Normal donc que plusieurs marques (Miu Miu y compris) aient repris cette saison cette pièce iconique à leur compte. Regardez autour de vous, la mini est partout. PARTOUT. Vu chez Miu Miu, Courrèges, Coperni, Balmain, Off-White, Victoria Tomas…

6. La tendance White spirit

Doudounes et vestes luxueuses ainsi que chandails qui claquent dans les tons crème, ivoire et blanc neige sont clairement les éléments phares du vestiaire automne-hiver 2022. Les podiums de Paris prouvent que la teinte nette et neutre fera l’hiver ou ne fera pas. Et qu’il faudra s’habiller comme une bonne vieille bouteille de White Spirit si on compte rester dans le game. Vu chez Courrèges, Acne, Anrealage, Maitrepierre, Miu Miu, Rick Owens, Saint Laurent, Giambattista Valli, Dries van Noten, VTMNTS , Vivienne Westwood, Yoshi Yamamoto…

7. Pour l’armour, toujours

Les équipements de protection et autres dérivés vestimentaires de l’armure (armour) – pensez aux plastrons et aux épaulettes – sont devenus des thèmes récurrents pour l’automne. Balmain et Christian Dior mènent l’armée de la mode avec des accents d’acier d’inspiration médiévale et des accessoires de football et de motorsport. Vu chez Dior, Balmain, Marine Serre, Monot, Rick Owens, Stella McCartney…

8. L’ère du Purple Reign

Alors que les designers préfèrent généralement les tons earthy pour l’automne, ils.elles ont opté cette saison pour une teinte d’évasion. Avec ses liens avec la royauté, les institutions religieuses mais aussi le féminisme des suffragettes, le violet apporte un esprit transformateur et créatif inédit pour l’automne-hiver. Vu chez Acne, Atlein, Kenneth Ize, Koché, Lutz Huelle, Issey Miyake, Patou, Stella McCartney, Dries Van Noten, Victoria Tomas…

9. Le retour du Sexy Black Suit

Le tailoring est clairement sorti de la salle de réunion et est entré dans un rêve minimaliste des années 90 sur les podiums de l’automne-hiver 2022 à Paris. L’offre sophistiquée et sinueuse de Saint Laurent se distingue par sa vision simpliste d’un “glamour on fleek” qui se retrouve également chez Monot, Givenchy, Ann Demeulemeester, Coperni, Calvin Luo, Balmain…

10. La belle ou la cuisse

Que ce soient les cuissardes ou ​les chaussettes mi-bas et mi-cuisses, la jambe est partout. Normal, c’est comme si elle allait de paire avec le retour de la mini-jupe. La température baisse mais ça n’empêche pas de montrer un peu de peau là-haut. Vu chez Chanel, Hermès, Courrèges, Coperni, Louise Lyngh Bjerregard…

11. Couvre-chef en chef

Couvre-chefs, casquettes de baseball, chapeaux, néo-capelines : cette saison, la tête est couverte le plus possible et de façons différentes. Vu chez Botter, Comme des Garçons, Nina Ricci, Off-White, Rochas, Victoria Tomas…