M. Cela fait beaucoup d’obstacles un peu rudes, de rendez-vous manqués dans ton début de carrière.
F. O. Ces films n’ont pas été des succès, ils n’ont pas cassé la baraque. Quand tu démarres, bien sûr, tu te focalises un peu là-dessus, parce que tu sais que c’est
ce qui va jouer pour que des portes s’ouvrent. Mais ce sont des films qui n’ont pas disparu, qui sont encore vus.
M. Tu as été très plébiscité, jeune, par le cinéma d’auteur. Est-ce que tu l’as découvert en y travaillant, ou étais-tu déjà très cinéphile avant ?
F. O. C’est un mélange des deux. Ce qui est sûr, c’est que je l’ai très vite perçu comme une distinction à l’échelle du travail. Dans un film d’auteur, à la fin d’une prise, on reste sur toi pendant parfois vingt, trente, quarante secondes, et on ne sait jamais trop pourquoi. On a envie de dire “Bon, c’est bon, on passe à autre chose ?”. Et si on fait ça, le réalisateur sort de ses gonds : “Non mais t’es con, c’était génial !” Dans un film de genre, rien de tout ça : le texte est dit, on a la prise, bim, bam, on passe à la suite.
M. Est-ce qu’à ce moment où on t’expose, tu commences à identifier ce qui pourrait devenir ton “profil” de rôles ? Ce que tu pourrais explorer, mais aussi qui pourrait t’enfermer ?
F. O. J’ai très rapidement voulu le fuir, justement. J’ai tout de suite vu le truc : des mecs un peu taiseux, un peu nerveux… Et j’ai refusé de me bloquer là-dessus. Donc j’ai cherché à faire de la comédie. J’ai tourné dans un court-métrage, Trucs de gosses, qui était une sorte de comédie romantique pour la Fémis, et ça m’a fait beaucoup de bien. Je ne sais pas si je suis forcément tombé sur les meilleurs projets dans cette voie-là, mais je ne me voyais vraiment pas jouer des rebelles. Ma carrière aurait été différente si j’avais suivi tête baissée cette veine un peu sombre, presque mortifère. Mais à l’arrivée, j’ai par exemple fait Coupez !, dont je suis très heureux.
M. Tu es aussi un acteur “mat”, assez illisible, et ces films qui ont participé à ta révélation sont eux-mêmes des films très opaques dans leurs intentions, qui ont l’air de couver un secret qu’ils refusent de délivrer. Est-ce que c’est une dimension que tu cultives ?
F. O. Carrément, oui. Sur Ni le ciel ni la terre, ma participation n’était pas indispensable, c’est pratiquement de la silhouette. Mais je suis là du début à la fin, et j’en suis extrêmement heureux car j’ai senti un film totalement captivant. On m’a beaucoup dit, à cette époque, que ce qui était intéressant chez moi, c’était qu’on ne savait pas qui j’étais, ce que je pensais. C’était l’incertitude. Bonello, sur Nocturama, m’a très peu dirigé. À un ou deux moments, il m’a poussé, genre “allez, jette-toi à fond”. Mais quand je lui demandais des éclaircissements, il me répondait à peine, il me regardait en souriant. Il y avait une distance, très troublante. J’ai revu le film récemment, et je trouve que je ressemble à un mannequin de vitrine. Je me cherche une prestance mais je suis rigide, embarrassé. Il a vu ça, il l’a mis dans son film.