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Présente au casting du film Titane (palme d’or au dernier festival de Cannes), Garance Marillier s’est imposée en quelques années comme l’une des actrices les plus déter’ de sa génération. Pour notre numéro anniversaire, elle nous a accordé une interview où elle partage sa vision sans concession du cinéma. 

Plus on se fait rare, plus on maîtrise le game. Surtout quand, à l’image de Garance Marillier qui n’a joué que trois rôles au cinéma en cinq ans (« Pompéi » de John Shank et Anna Falguères, « Madame Claude » diffusé sur Netflix et « Warning » d’Agata Alexander, toujours en attente de sortie), on sélectionne soigneusement ses projets avec envie, assurance et détermination. Ce n’est pas une surprise. Depuis le début de sa carrière, l’actrice française a dégagé l’impression paradoxale d’une grande jeunesse et d’une immense maturité, comme ces gosses têtus et sérieux qui n’ont pas de temps à perdre avec la légèreté de l’enfance. Très tôt initiée au théâtre, à la musique et au cinéma par une mère administratrice de production au théâtre et un père directeur musical, Garance décroche son premier rôle à 11 ans dans le court métrage de Julia Ducournau, « Junior ». Une aubaine pour la fillette hyperactive qu’elle est à l’époque et qui préfère déjà être debout sur scène plutôt qu’assise en classe. Un bon pari sur l’avenir aussi, puisque, sept ans plus tard, elle reçoit une nomination au César du meilleur espoir féminin pour « Grave », long de la même réalisatrice, qui vient d’ailleurs de remporter la Palme d’or pour son second long métrage « Titane », un film de genre queer et punk dans lequel on retrouve Garance. Autant dire qu’avec ce nouveau chef-d’œuvre, l’actrice arme son tir pour entamer à tout juste 23 ans le second temps d’une carrière marquée par un travail accru du corps, une quête permanente d’intensité et une puissance naturelle sans comparaison pour sa génération.

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MIXTE.À l’heure où nous faisons cette interview, tu sors tout juste de l’effervescence du premier festival de Cannes de l’ère Covid-19. Comment as-tu vécu ce retour au cinéma et dans les salles ?
GARANCE MARILLIER.  À  vrai dire, j’avais peur de m’être habituée au visionnage à domicile. J’avais même un peu la flemme d’en sortir… Mais dès que je me suis assise, ça a été un truc de fou. Rien ne peut remplacer l’expérience de la salle, les sièges, les gens qu’on ne connaît pas, les réactions qu’on entend. Et il n’y a qu’au cinéma qu’on se met en danger, qu’on va voir un film avec un a priori et qu’on en ressort avec une idée différente ; ou qu’on se laisse embarquer par un pote sans savoir si ça pourra nous plaire. Ces films-là, à la maison, on les coupe et on zappe au bout de vingt minutes. C’est le cinéma qui permet de brasser ça.

M.Tu étais à Cannes pour Titane de Julia Ducournau avec qui tu as déjà collaboré plusieurs fois. Comment vous êtes-vous rencontrées ?
G. M. Un jour, ma mère est tombée sur une annonce de casting pour un court métrage, un personnage de garçon manqué avec un fort tempérament, qui me correspondait parfaitement. C’était pour « Junior », le tout premier film de Julia. Quand j’ai passé le casting, je n’ai pas compris que c’était elle qui se trouvait face à moi. Je devais jouer une scène d’impro où il fallait s’embrouiller, et moi je n’avais jamais fait de théâtre, je ne possédais pas les codes, donc j’ai cru qu’on était vraiment en train de s’embrouiller : elle m’attaquait sur mon physique, je le prenais vraiment pour moi… Lors d’un deuxième rendez-vous, je retombe sur elle. Je me dis : “Merde, encore elle !” et je lâche : “Mais je pensais voir la réalisatrice ?” Et elle me répond : “Bah c’est moi !”

M. Julia et toi avez une quinzaine d’années d’écart, mais au fond, Junior étant son premier court, on peut effectivement se dire que vous avez démarré conjointement, sans rapport d’autorité.
G. M. Il y a même un mimétisme parce que « Junior », c’est aussi son histoire. La première fois que j’ai fait des essais, elle s’est mise à pleurer : il y avait un vrai truc de miroir.

M. Au point de devenir une relation de travail extrêmement forte et suivie…
G. M. Oui, avec un téléfilm, « Mange », puis « Grave », jusqu’au tournage duquel je ne pensais pas en faire mon métier. J’étais dans un rapport paradoxal. À la fois je désacralisais totalement le succès, ce que mon âge pouvait sans doute expliquer – mes deux premiers courts métrages, « Junior » et « Ce n’est pas un film de cow-boy » de Benjamin Parent, avaient été pris à la Semaine de la Critique à Cannes, j’avais du coup tendance à considérer que c’était normal –, et j’avais aussi le sentiment de vivre une succession de coups de chance, ce qui m’empêchait de me projeter vraiment dans le métier. C’est sur le tournage de Grave que ça a changé. J’ai rencontré Adèle Haenel, qui tournait « La Fille inconnue » des frères Dardenne à Liège, comme nous et au même moment. J’avais 16 ans, et c’est elle qui m’a poussée à me jeter à l’eau. Je me suis inscrite en école de théâtre juste après.

M. Aujourd’hui, comment définirais-tu ta relation avec Julia Ducournau ?
G. M. C’est comme un alter ego. On a une confiance aveugle l’une en l’autre, on n’a plus besoin de se parler pour se comprendre. On s’est toujours vues en dehors du travail, on part en vacances ensemble, je connais sa famille et elle la mienne. Sur le plateau, c’est l’osmose. J’arrive à tout lui donner parce que je sais que les choses ne sont jamais gratuites, qu’elle prend mais qu’elle donne toujours en retour. La preuve, c’est que je l’ai même aidée à trouver Agathe Rousselle pour « Titane » après avoir lu le scénario il y a longtemps. C’est même moi qui ai donné la réplique au casting. À un moment, Julia m’a proposé de le passer, tout en me disant que le personnage ne me correspondait probablement pas. J’ai relu le scénario et je me suis dit qu’en effet, le rôle n’était pas pour moi. Ça aurait été de l’ego de vouloir forcer pour l’avoir. Le second rôle, qui est un peu un clin d’œil, me correspond beaucoup mieux. Je sais que Julia a une très grande loyauté : elle travaille avec la même équipe, avec le même producteur, depuis son premier court. On verra bien ce que l’avenir nous réserve ensemble.

M. Comment travaille-t-elle avec ses actrices ? Je pense notamment à la question des scènes de violence et de sexe dont l’approche a été, ces dernières années, très débattue avec l’apparition aux États-Unis des “intimacy experts”, ces personnes en charge d’assurer aux actrices un environnement safe pour les scènes à risque ?
G. M. Je suis arrivée dans le cinéma avec une nouvelle génération d’acteurs et d’actrices qui n’a jamais eu de problème avec tout ce qui est scènes de sexe ou de violence. Mais il faut quand même dire une chose, c’est que ce sont des moments qui font peur à tout le monde sur un plateau, pas seulement aux actrices. Ce n’est une partie de plaisir pour personne, et du coup ça optimise le travail : il faut que ce soit carré, en équipe réduite, sans aucun débordement. Même s’il n’y a pas, à proprement parler, d’intimacy experts en France, il y a quand même un quota officieux de femmes sur les plateaux, ce qui est déjà pas mal.

M. À quels postes dirais-tu que la prise de conscience est nécessaire sur cette question de l’intimité pour sécuriser les tournages ? Au niveau des directeurs de casting, des réalisateurs ?
G. M. Chaque place est déterminante. Même s’il y en a, évidemment, qui sont plus en lien que d’autres avec les comédiens. C’est le cas de l’équipe son, par exemple, parce qu’on vient te mettre des micros sur le corps, et là ce sont généralement plutôt des hommes. Et aussi le staff chargé des vêtements, mais là ce sont plutôt des femmes, les costumières. Mais je pense que c’est une tendance globale. Après, les personnes les plus bancales et problématiques que j’ai rencontrées jusqu’à maintenant, ce sont sûrement les journalistes. Il y a un vrai problème de questions déplacées, d’interviews qui démarrent directement par un : “Alors, ça fait quoi de jouer dans le film d’une réalisatrice, de jouer une femme forte ?” Ou bien des manques aggravés de pudeur, liés à cette façon d’être un peu pote avec tout le monde en oubliant qu’il y a tout de même un espace protégé.

M. Quel est ton ressenti sur l’attente médiatique qu’il y a depuis quelque temps sur les actrices, notamment celles qui sont politisées : Camélia Jordana, Adèle Haenel, Aïssa Maïga…
G. M. On a un peu parlé l’année dernière avec Adèle Haenel, au moment où il y avait plein de manifestations. Moi je ne me sens pas légitime pour parler de sujets aussi complexes et délicats que les grands thèmes sociétaux. Je n’ai pas envie de dire de bêtises, ni de blesser des gens et je trouve qu’on demande trop souvent leur avis aux acteurs sur des choses qui les concernent peu. Je ne me sens pas à l’aise avec l’idée d’être un personnage public. Je suis là pour parler de mon travail.

Robe en dentelle de viscose à finition métallique, Soutien-gorge et culotte en viscose, Sandales « Fendi First » en cuir à talon en métal, Mono boucle en métal doré, FENDI.

M. Parlons-en, justement. Tu tournes en ce moment le nouveau film de Hamé et Ékoué, issus du groupe La Rumeur. Peux-tu nous en dire un peu plus ?
G. M. C’est difficile à résumer car c’est surtout un portrait de quartier, inspiré du 19e arrondissement de même que leur premier film rendait hommage à Pigalle (Les Derniers Parisiens), avec plusieurs trames. En gros, c’est l’histoire d’une jeune femme qui tombe enceinte, et son mec est en prison. Elle doit se débrouiller avec les moyens qu’elle a et elle commence à tomber un peu dans des affaires. Elle organise des soirées avec des voleurs et des escorts. C’est tout ce que je peux dire pour le moment…

M. Tu peux peut-être nous en dire plus sur « H 24, 24 h de la vie d’une femme » ?
G.M. C’est une série de 24 épisodes distincts, tournée pour Arte. Tous sont inspirés de faits divers réels et racontent l’expérience d’une femme d’aujourd’hui. Il y a un casting incroyable qui rassemble une grande diversité d’actrices : Anaïs Demoustier, Valeria Bruni Tedeschi, Laetitia Dosch, Déborah Lukumuena, Noémie Merlant, Florence Loiret-Caille, Camille Cottin… L’épisode dans lequel je joue parle d’une affaire d’abus sexuel par un coach dans le milieu du football féminin.

M. As-tu rencontré la victime ?
G. M. Oui, a fortiori parce que je joue désormais dans l’équipe dans laquelle ça a eu lieu.

M. Les Dégommeuses ?
G. M. Non, j’ai joué un an avec les Dégommeuses, une association très militante et politisée, ce qui est super. Mais depuis quelques années je suis dans une asso qui s’occupe un peu plus prosaïquement de jouer. Mais il faut savoir que, dans le foot féminin, il n’y a aucune asso qui ne soit pas militante, dans la mesure où c’est tellement dur d’exister qu’il faut toujours se battre. Là, par exemple, ça fait deux ans qu’on n’a toujours pas de créneau sur un terrain, et les gens à qui on le demande nous répondent très clairement que s’ils en avaient un, ils ne le donneraient jamais à des femmes. On parle d’adjoints au maire, de gens qui sont très concrètement dans la politique. C’est chaud !

M. Si on regarde ta filmographie, entre Julia Ducournau, mais aussi Sylvie Verheyde, Émilie Deleuze, tu as plutôt travaillé avec des réalisatrices…
G. M. (Garance interrompt)… Non, j’ai travaillé avec plus de réalisateurs que de réalisatrices ! Peut-être que les films que j’ai faits avec des femmes sont plus marquants… Mais si la suite de ta question était : “Est-ce que c’est un choix ?” Ma réponse est non. C’est toujours la rencontre d’une personnalité, d’un propos qui m’importe.

M. Mais tourner avec une réalisatrice peut aussi permettre une plus grande confiance, un environnement de travail plus safe, non ?
G. M. Si je m’engage, c’est que je suis en confiance. Je l’ai donnée à des hommes comme à des femmes, et jusqu’ici ça m’a plutôt réussi.

M. Tu n’as pas de regrets, d’expériences douloureuses ?
G. M. Il y a toujours des expériences qui sont plus douloureuses que d’autres, des tournages plus laborieux, voire éreintants. Et quelquefois aussi des regrets qui naissent de rôles que j’ai refusés, sachant que j’ai toujours essayé de varier, de ne pas me laisser enfermer dans un registre. Si j’avais dû m’écouter, moi et mon pur plaisir, je me serais éclatée dans le cinéma de genre, puisqu’après Grave on ne m’a proposé que ça et que c’est une vraie jouissance. Mais si j’avais dit oui à tout, j’aurais été finie dans quelques années. Donc je me suis réfrénée, j’ai refusé des trucs qui m’excitaient pourtant à fond – et dont je ne peux évidemment pas parler – c’était des choix difficiles. Mais globalement pour ce qui est tourné, je n’ai heureusement encore jamais regretté un projet, tout m’a toujours apporté.

M. Sous le titre « Raw », Grave a eu un petit succès aux États-Unis, comparable à celui qu’a pu connaître un réalisateur comme Gaspar Noé, par exemple. Est-ce que ça ne pourrait pas t’apporter un début de carrière américaine ?
G. M. Si, clairement. Là-bas, ils ont un rapport au corps et au jeu beaucoup plus animal et instinctif que chez nous ; ce qui me plaît beaucoup et me correspond davantage. Je suis en train de matérialiser ce projet avec mon agent américain. J’ai d’ailleurs tourné dans une production américaine, un film d’anticipation qui, à mon avis, peut être très bien, « Warning » d’Agata Alexander. Mais je n’ai toujours pas de nouvelles concernant la date de sortie depuis que le coronavirus est passé par là…

M. D’ailleurs, comment s’est passée cette période pour toi, personnellement et professionnellement ?
G. M. À partir de la reprise des tournages, à la fin du premier confinement, j’ai énormément travaillé. Donc c’est devenu un peu virtuel pour moi, contrairement à d’autres métiers qui sont réellement restés à l’arrêt, jusqu’à aujourd’hui pour certains. J’ai bien sûr conscience que c’est un luxe. En plus, je fais partie de ceux qui ont bien vécu ce premier confinement. J’étais retournée chez mes parents, dans un appartement avec une petite terrasse. Je vivais comme une ado, les préoccupations de la journée se limitaient au repas et au film à regarder le soir. C’est étrange, mais j’en suis même encore un peu nostalgique.

Veste en cuir retourné, Brassière en maille, Jupe en daim, Chaine en métal doré, Mono boucle en métal doré, FENDI.

Photos : Bojana Tatarska
Réalisation : Gaultier Desandre Navarre
Talent : Garance Marillier
Coiffure : Charlotte Dubreuil @mfthavonekham_agency
Maquillage : Khela @callmyagent.fr
Assistant lumière : Stanrey Grange