Des progrès mais des interrogations
Un an et demi plus tard, le danseur assure que l’ambiance au sein de l’institution a changé. “Au-delà du nombre de signatures, je pense que tout le monde a réfléchi à ces questions. Et au final, c’est ce qu’on voulait, que les gens prennent au moins le temps de se les poser, d’avoir des discussions autour de ce sujet. Je pense que beaucoup d’entre eux n’y pensaient pas forcément, et le simple fait qu’on en parle leur a permis de prendre conscience de certaines choses, de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas, mais aussi de comment nous, les personnes concernées, vivons cette situation.” D’abord tentée par Benjamin Millepied, directeur de la danse à l’Opéra de Paris de 2014 à 2016 – qui souhaitait mettre en œuvre plus de diversité au sein du ballet, mais à qui on avait opposé l’argument selon lequel faire danser des non-blancs serait “une distraction” –, la transformation a été cette fois permise grâce au concours d’Aurélie Dupont, l’étoile qui lui a succédé à ce poste, et d’Alexander Neef, directeur de l’Opéra depuis le 1er septembre 2020. Décrit par Guillaume Diop comme “un interlocuteur bienveillant, hyper compréhensif et à l’écoute”, il présentait lors d’une conférence de presse en février 2021 les conclusions du rapport sur la diversité au sein de l’institution commandé dans la foulée du manifeste à l’historien Pap Ndiaye et à la secrétaire générale du Défenseur des droits, Constance Rivière. Le résultat ? “L’arrêt de la pratique très contestable du blackface et du maquillage des rôles stéréotypés sur l’ensemble des productions”, l’adaptation “des outils de travail, comme le maquillage ou les vêtements, aux différentes couleurs de peau”, “un travail de contextualisation” de certaines œuvres, ou encore un effort pour élargir le processus de recrutement des artistes de l’Opéra, et ce faisant pour diversifier le public qui assiste aux spectacles – l’idée étant qu’en se voyant représentés sur scène, des enfants issus de milieux plus divers puissent s’intéresser à la danse classique.
Lorsqu’on demande à Guillaume Diop si de telles avancées lui font craindre que ses talents de danseur, le charisme et la joie de vivre dont il fait preuve sur scène ne soient mis en avant que pour servir de “caution antiraciste”, il répond franchement. “Lorsque j’en discute avec d’autres personnes de couleur, c’est ce qu’on se dit souvent : quand on n’a pas quelque chose, parfois c’est à cause de notre couleur de peau ; et quand on a quelque chose, on a tendance à se dire que c’est aussi à cause de notre couleur de peau. Ça me fait un peu peur, j’y pense, et je sais que beaucoup se disent aussi que c’est la raison pour laquelle tout ça m’arrive, ce qui est assez compliqué à gérer. Mais pour me rassurer, j’essaie de m’attacher au fait que je travaille énormément, et que si j’ai ce que j’ai, c’est aussi parce que j’en suis capable.” De ça, et de bien d’autres choses encore, c’est certain, si l’on en croit la détermination avec laquelle il répond à la question de ce qu’il lui reste encore à accomplir : “Danser le rôle de Roméo, c’était vraiment un grand rêve. Maintenant, j’aimerais beaucoup faire Siegfried, dans Le Lac des Cygnes, c’est un rôle que je trouve vraiment magnifique”.