On l’avait repéré dans la série Skam. Sa nonchalance, son jeu pure, son sourire désarmant. Et voilà qu’à 23 ans, Khalil Ben Gharbia crame la toile, vibrant et beau à crever, dans Peter Von Kant, le nouveau film de François Ozon. Le jeune homme y joue Amir, acteur, muse et amant du réalisateur Peter Von Kant.

Dans cette adaptation très libre des Larmes Amères de Petra Von Kant, Ozon est chez lui. Chez Fassbinder, dont il avait déjà adapté la pièce Gouttes d’Eaux sur Pierres Brulantes, dans un huis clos façon théâtre filmé comme dans 8 femmes, dans les années 70 et les sexualités ouvertes. Alors le réalisateur d’Eté 85, s’amuse : les acteurs sont-ils les créatures de metteurs en scène ? Le désir entre réalisateur et comédiens doit-il être prohibé ou est-il inévitable ? Qui contrôle qui ? L’affaire est portée par deux acteurs monstrueux : Isabelle Adjani, belle comme jamais et qui joue avec délectation ce rôle d’actrice sur le retour partie tenter sa chance à Hollywood. Et Denis Menochet, bouleversant en cinéaste habité qui jette son dévolu sur un jeune à la beauté sublime. Entre ces deux-là, Kahlil Ben Gabria tire son épingle du jeu. Il n’a qu’à entrouvrir la bouche pour que la salle soupire. Lippu, casque bouclé, dévoré par une envie d’exister. Si beau, qu’il faut le voir pour le croire. Car c’est beau un acteur quand on le voit naitre sous nos yeux.

Mixte. Pour ton premier long métrage, tu te retrouves à l’affiche avec Isabelle Adjani. Tu le vis comment ?
Khalil Ben Gharbia. Je dois te faire un aveu : je n’avais pas vu un seul de ses films. Je connaissais… son nom. On m’en avait beaucoup parlé mais je n’arrivais pas vraiment à mettre un visage dessus. Je me rappelle que j’avais commencé à regarder La Reine Margot mais je m’étais endormi devant. J’ai vu la première scène et blackout… (rires gênés)

M. Pardon mais tu dois être le seul comédien en France à ne pas connaitre Isabelle Adjani !
KBG. Peut-être mais en tout cas ça m’a permis d’aborder le tournage très sereinement. La première fois que j’ai rencontrée Isabelle, je ne savais pas que c’était elle. Je me suis mis à la tutoyer direct. « Hé salut, tu vas bien ? » Et là, dans les regards autour d’elle, j’ai compris qu’il se passait un truc (rires). Denis, c’est différent, je connaissais son travail. Il y a un tel amour, une telle générosité qui se dégage de lui. Je n’ai jamais vraiment eu de formation de théâtre. Je n’ai jamais réussi à trouver l’endroit de non-jugement où j’aurais pu me sentir à l’aise. Denis est mon mentor, mon parrain dans ce métier. Et même au-delà. Car quand on apprend à jouer, on apprend à vivre.

M. Dans le film, tu joues un objet de désir. Il y a des scènes de nudités, pas forcément la chose la plus facile à jouer. Tu appréhendais ?
KGB. François ne m’en a pas parlé tout de suite. Puis lors de la première lecture, j’ai compris entre les lignes qu’il y aurait un peu de nudité. François m’a rassuré. Il a insisté sur le fait que ça serait plus suggéré que frontal. Surtout, il m’a toujours laissé le choix. « Si ça te dérange, ne t’en fais pas. On trouvera une autre façon de tourner la scène. » m’a t-il dit. Mais je trouvais ça important car ça servait le film. Je sentais qu’Amir avait besoin de se livrer. C’est un pacte. Une fois que le personnage de Peter reçoit ce don, il n’a plus d’autre choix que de donner en retour. Je me suis senti très à l’aise sur le tournage. Denis était tellement protecteur avec moi, tellement à l’écoute de mes doutes. Dès qu’il sentait que je réfléchissais un peu trop, il venait me parler.

M. Le film explore les rapports de séduction et de pouvoir entre cinéastes et comédiens. Si le film se passe dans les années 70, il parle beaucoup du cinéma d’aujourd’hui, non ?
KBG. Absolument. C’est une question qui s’est imposée à moi dès mes premiers castings. Souvent, les équipes instauraient un rapport de force malsain. Puis un jour, je me suis dit : ça doit marcher dans les deux sens. Je suis devenu attentif à ceux que les réalisateurs avaient à me proposer. Comment ils allaient me diriger. Quel rôle ont-ils à m’offrir ? D’un coup, tout ça fonctionnait mieux. Je n’étais plus dans le besoin de plaire. Et au final, c’est ce qu’on attend de toi : défendre quelque chose de viscéral, de personnel. Dans ce milieu-là, c’est quand on veut le moins plaire qu’on plait plus. Ça marche comme ça aussi dans ma vie amoureuse. C’est souvent quand on n’essaie pas de me séduire qu’on me charme.

M. La caméra de François Ozon te magnifie. Tu es d’une beauté incendiaire dans le film. Tu t’es trouvé beau à l’image ?
KBG. Honnêtement, je ne me suis pas reconnu à l’écran. Et tant mieux. François a son regard. Il parvient à nous voler tellement de choses. Des regards, des moments d’absence… Pour un tel rôle, j’avais besoin d’être en confiance. Dès le départ, en tournant avec Ozon, tu sais que tu ne maitriseras pas tout. Qu’il va sûrement garder les prises où tout t’échappe, où tu es le plus ailleurs. Je lui ai fait confiance à 100%. C’est comme un vol consentant. J’ai l’impression que certains réalisateurs te piquent des choses dans la douleur, dans l’effort. Avec François, tout est fluide. T’as envie de te faire dépouiller ! Les scènes dont je suis le plus fier sont celles où lorsque l’on dit « Coupez! » soudain, je reviens à moi et je me dis : « Attends mais j’étais où ? Qu’est-ce qui vient de se passer ? » Ces petits moments de grâce hors du temps, c’est ça que cherche.

M. Est-ce que le moteur principal d’un acteur c’est l’envie de plaire ?
KBG. Ben j’espère pas ! (rires) Même si je suis conscient que ce métier a un lien fort avec l’envie d’être aimé. Mon moteur à moi, c’est ce besoin de communiquer de mon humanité. Ce sont ces énergies qui me traversent et que j’ai envie de sortir au monde.

M. À quel moment, tu t’es dit « Acteur, c’est ça que je veux faire » ?
KBG. Vers neuf ou dix ans. A cette époque, je n’arrivais pas à accepter que ce que je voyais au cinéma n’était pas la réalité. Quand j’ai vu Spiderman, j’ai harcelé ma mère pour qu’elle m’amène au laboratoire médical à coté de chez moi. J’étais convaincu que là-bas, on allait pouvoir faire de moi un homme araignée (rires). Je me suis demandé : Qui sont les humains qui ont la chance d’être au plus proches des univers que je vois à l’écran ? Les acteurs ! J’ai commencé à développer une vraie cinéphilie. Mon papa m’a fait découvrir des films comme Le Salon de musique de Satyajit Ray et Rêves d’Akira Kurosawa… Mon père (Hassan Ben Gharbia, ndlr), c’est l’image la plus précise que j’ai d’un artiste. Il fait de la danse orientale contemporaine et il joue du Ney, un instrument de musique traditionnelle orientale. C’est un exemple de don de soi et de l’humilité.

M. François Ozon pour un premier long, c’est pas mal. Tu as d’autres fantasmes de réalisateurs ?
KBG. Gus van Sant ! My Own Private Idaho m’a bouleversé. J’ai du le voir 5 ou 6 fois. J’adore les films de Jim Jarmush, son sens du silence et la solitude. Ce sont des motifs qui me sont vraiment chers. J’aime beaucoup Lukas Dhont et Cédric Klapisch ! Le Péril Jeune fait partie de mes films de chevet. Je connais par cœur toutes les répliques !

M. Si tu n’avais pas été comédien, t’aurais fait quoi ?
KBG. Depuis mes 15 ans, je joue de la guitare, je chante et je compose. J’avais cinq ans quand mon père m’a pris par le col et m’a trainé au conservatoire. Il m’a dit « Choisis un instrument. » J’ai fait du hautbois pendant 10 ans. Je suis un très bon hautboïste. Puis j’ai commencé à écouter Nirvana et ça a été un tournant dans ma vie. J’ai découvert Kurt Cobain, sa poésie. Et plus tard le punk, Pink Floyd et les Doors…

M. Bêtement on penserait ta génération plus tournée vers le hip-hop…
KBG. Mes années lycée étaient vraiment difficiles. Je me sentais aliéné et terriblement seul. Le grunge c’est la musique dans laquelle je me suis reconnu. C’était crû. Honnête. Ces mecs montaient sur scène pour gueuler leur souffrance sans filtre ou préoccupations esthétiques. Je n’aime pas idolâtrer les gens mais Kurt Cobain m’a beaucoup hanté. C’était une âme pure. C’est ce que je cherche chez les comédiens aussi. Les acteurs qui m’attirent sont des gens complexes comme Joaquin Phoenix ou Heath Ledger… Je n’ai pas vu beaucoup de film d’Alain Delon, et j’imagine que c’est un excellent acteur, mais tout ce côté vitrine esthétique c’est pas pour moi…

M. Il faut allait mal pour être un bon acteur ?
KBG. Surtout pas ! Après, c’est vrai que mes douleurs amoureuses par exemple m’ont nourri. C’est dans les moments où je me suis senti le plus seul et le moins aimé que j’avais le plus envie de jouer. C’est dans la douleur qu’on est proche le plus de soi et à travers elle qu’on est le plus proche des autres. Mais pour autant ça n’est pas absolument nécessaire. Aujourd’hui, je vais mieux et je suis vraiment heureux d’aller mieux.

Peter von Kant de François Ozon, avec Denis Ménochet, Isabelle Adjani, Khalil Gharbia. Actuellement en salles.