Rakuten Fashion Week TOKYO 2025 A/W opening party showing ssstein last collection ©JFWO

Silencieuse mais déterminée, la marque ssstein incarne le regard sensible et millimétré de son fondateur Kiichiro Asakawa. Lauréat du Fashion Prize of Tokyo 2025, ce designer autodidacte cultive une élégance feutrée, entre rigueur technique et poésie du détail.

Kiichiro Asakawa est un homme discret, qui parle avec calme et prend son temps avant de répondre aux questions. Cette aura presque solennelle, légèrement en retrait, cache une détermination et une patience que rien ne semble pouvoir perturber. C’est en 2016 que ce designer autodidacte a lancé sa marque ssstein, quelques mois après avoir ouvert le très pointu select shop carol, dans le quartier de Shibuya à Tokyo. Il a fait ses armes dans le retail et a commencé à disséquer les vêtements d’un peu plus près — littéralement — en déconstruisant les pièces qu’il jugeait intéressantes, pour mieux comprendre ce qui faisait leur singularité et leur essence. L’histoire de son label est née de la frustration de ne pas trouver “le bon pantalon” pour sa boutique ; il a commencé par dessiner trois modèles qui s’accordaient avec sa vision de la perfection. Il a fini par créer des collections entières, pour l’homme et la femme, et s’est forgé un savoir-faire technique solide ainsi qu’un regard profondément sensoriel et, surtout, extrêmement exigeant.

Portrait du designer Kiichiro Asakawa par Shinya Mohri

Son souci du détail — presque obsessionnel — se double d’une quête sensible : celle d’une beauté minimale mais vibrante, élégante sans être désincarnée. Sa recherche insatiable de beauté naît dans l’intervalle, ou le flottement, entre absence et présence : “Exprimer ce qui se tient entre le rien et le tout”, écrit-il. Chaque collection de ssstein semble chercher cette tension invisible, mais toujours avec délicatesse : une manche qui suit le mouvement du vent, un tissu qui scintille comme un souvenir de feu d’artifice… Il compte aujourd’hui une cinquantaine de revendeurs multimarques au Japon et une trentaine à l’international, dont L’Eclaireur et Rendez-vous à Paris. Peu connue du grand public, la marque s’ancre solidement dans le paysage et mise sur une stratégie très Lemairienne d’intemporalité et de subtilité pour ne jamais se démoder.

Rakuten Fashion Week TOKYO 2025 A/W opening party showing ssstein last collection ©JFWO

Il a remporté cette année le Fashion Prize of Tokyo, un prix pensé pour soutenir les créateurs japonais sur la scène internationale. À cette occasion, il a ouvert le calendrier officiel de la Rakuten Fashion Week Tokyo Automne/Hiver 2025, lors d’un événement mêlant projection et installation autour de sa collection A/H 2025, qui avait défilé pour la toute première fois à Paris quelques semaines plus tôt. Malgré la pluie, l’événement a rassemblé plus de 700 personnes, et c’est après ce lancement, alors que l’émotion était encore palpable dans la voix du designer, que nous avons rencontré Asakawa.

ssstein A/W25 collection in Paris

MIXTE. Vous avez récemment changé le nom de votre marque, passant de stein à ssstein. Pourquoi ce choix ?
KIICHIRO ASAKAWA.
À partir de la saison A/H 2024, j’ai voulu faire évoluer l’identité visuelle car c’était un moment où j’envisageais sérieusement une expansion à l’international. J’ai voulu approfondir et diffuser davantage l’expression qui m’est chère : une force et une beauté qui émanent d’un calme solennel, une esthétique minimaliste et élégante. C’est dans cet esprit que j’ai opéré cette transition. Cela dit, cela ne marque pas un changement majeur dans mon approche ou ma vision de la marque. À l’origine, le nom “stein” vient simplement de mon admiration pour certains noms allemands comme Einstein ou Liechtenstein. En Allemagne, de nombreux noms de famille se terminent par “stein”, ce qui évoque souvent un lien avec l’héritage ou les origines (en allemand médiéval, les noms de famille sont souvent liés à la géographie où la personne vivait, à son métier ou un objet symbolique. “Stein” signifie littéralement “pierre” et par extension, le rocher, la forteresse ou la montagne, un élément important dans le monde médiéval germanique qui est aussi symbole de force ou de durabilité, ndlr). D’une certaine manière, j’aimerais que mes vêtements procurent ce même sentiment : quelque chose de précieux et profondément personnel, qui reflète l’identité unique de chaque personne qui les porte.

M. Quel est votre processus créatif ? Comment se matérialise-t-il à travers votre vision ?
K.A.
Je m’attache à explorer chaque élément, chaque approche et chaque méthode d’expression en profondeur, jusqu’à atteindre un résultat qui me semble véritablement beau. Il ne s’agit pas de me contenter d’un “ça pourrait aller”, mais de poursuivre sans compromis jusqu’à ce que j’obtienne un “c’est exactement ça”. J’accorde une grande importance au fait de toujours aller au bout de mon idéal, sans céder à la facilité, et de donner chaque jour le meilleur de moi-même. C’est en cumulant jour après jour ces exigences de pureté, de qualité et de précision dans chaque tâche et chaque projet que mon regard sur la beauté évolue. En cultivant cette attention quotidienne, j’affine ma perception des nuances et des différences, aussi infimes soient-elles. C’est cette accumulation d’infimes détails qui donne naissance à une esthétique à la fois épurée, silencieuse mais empreinte de force et d’émotion.

M. Cette vision est très rigoureuse et technique. La nourrissez-vous de références, ou de sources d’inspirations qui viennent d’autres disciplines (artistiques, musicales, etc.) ?
K.A.
Mes inspirations sont extrêmement variées : paysages, vêtements portés par les passants, livres de photographie, films, musique, mobilier, architecture… J’essaie de toujours garder un regard neutre et réceptif pour pouvoir capter spontanément ce qui me semble beau, fort ou simplement intéressant. Ces innombrables fragments de beauté finissent par s’assembler et prendre forme dans mes créations. Parmi les sources qui me marquent particulièrement, j’aime beaucoup les livres de photographie des années 90 et du début des années 2000. Quand je me sens bloqué ou que j’ai besoin de retrouver une vision plus pure, je les feuillette régulièrement.

Rakuten Fashion Week TOKYO 2025 A/W opening party showing ssstein last collection ©JFWO

M. Remporter le Fashion Prize of Tokyo et faire défiler votre collection à Paris vous a offert une nouvelle visibilité. Comment cette expérience a-t-elle nourri votre réflexion sur l’avenir de ssstein et influencé votre manière d’envisager son développement ?
K.A. Avant tout, j’ai été très honoré et sincèrement touché de recevoir ce prix. En même temps, cela m’a amené à réfléchir à la manière dont je veux développer ma marque pour être à la hauteur de cette reconnaissance. Être présenté à Paris m’a apporté une perspective différente. La façon dont les gens réagissent à la mode et à l’art y est très directe : qu’ils adorent ou qu’ils questionnent, leurs réactions sont franches. Cette sincérité m’a renforcé dans mon approche et m’a donné confiance. Paris encourage cette envie de créer et de partager de belles choses. Au Japon, les réactions peuvent parfois être plus réservées.

M. Y a-t-il un vêtement en particulier qui selon vous incarne le mieux votre dernière collection Automne/Hiver 2025?
K.A.
Cette collection a été façonnée par un état d’esprit que je voulais exprimer plutôt que par des influences extérieures. Mon admiration pour Paris a aussi joué un rôle dans les influences de cette collection, mais cela reste à distance. Je me suis concentré sur la distillation de l’essence de ce que représente ssstein et sur la manière de le présenter de la manière la plus authentique possible. Les grands manteaux superposés – “layered coats” fabriqués en France sont mes pièces préférées de cette collection, ils représentent vraiment bien ce sentiment de confort et d’assurance que je souhaite transmettre.

Rakuten Fashion Week TOKYO 2025 A/W opening party showing ssstein last collection ©JFWO

M. ssstein existe depuis bientôt une décennie. Avec du recul, comment percevez-vous son évolution ?
K.A.
 Au tout début, je m’étais focalisé sur la création de trois modèles de pantalons. Un an plus tard j’ai commencé à créer des hauts et après trois ans après, j’ai finalement pu présenter des collections complètes. Avec le temps, mon approche de la création et de la production a inévitablement évolué. Je suis passé d’un système où je développais d’abord le patronage et les silhouettes à une étape de créations des textiles très importante qui influence ensuite le processus de conception.

M. En dix ans, l’industrie de la mode a été témoin de grands changements, notamment en matière de durabilité, de diversité et d’innovations technologiques. Comment ces évolutions se répercutent-elles dans votre création ?
K.A.
Plutôt que de les voir comme une contrainte, je les considère comme une opportunité. Chaque époque voit naître de nouvelles technologies et de nouvelles façons de penser. Et ces innovations génèrent de nouvelles formes de création et de nouveaux systèmes de valeurs, qui ouvrent la voie à des expressions inédites. Bien sûr, elles ont un impact sur mon processus créatif mais mon objectif reste inchangé : exprimer ce que je ressens comme “beau”. Dans un contexte de mutation permanente, je veux explorer de nouvelles approches et intégrer ces transformations pour enrichir mon langage créatif. Je pense que c’est dans cette adaptation constante que naissent des formes d’expression impossibles à atteindre autrement.

M. Quelles sont vos ambitions pour l’avenir de la marque ?
K.A.
Difficile de dire où sera la marque dans 10 ans mais ce qui est sûr c’est que je veux continuer à cultiver ce qui fait l’essence de ssstein, tout en respectant l’atmosphère et l’univers qui m’est cher, et en accordant une grande importance aux personnes qui font partie du projet. Si, au fil du temps, cette accumulation d’efforts et de détails invisibles permet à notre vision de toucher un public plus large, ce serait une grande satisfaction pour moi. Je ne cherche pas une visibilité massive ou une expansion rapide : je privilégie des projets qui respectent notre identité. Si nous nous développons à l’international, cela devra se faire dans le respect de nos valeurs fondamentales.