M. Actuellement, beaucoup de marques reviennent à leur état de nature, à leur ADN. Comment définiriez-vous l’identité de Dior en 2024 ?
J. P. Elle est très fidèle à la vision même de Christian Dior, dans le sillage des traumatismes engendrés par la Seconde Guerre mondiale. Le génie de Monsieur Dior a consisté à créer une notion d’espoir, de magie au cœur d’une période sombre – et il me semble que la Maison perpétue cette mission.
M. G. C. Je suis pour une certaine forme de constance, mais mes convictions et mon engagement à rendre le pouvoir aux femmes m’ont amenée à transformer les “femmes-fleurs” du temps de Christian Dior en horticultrices, en quelque sorte. C’est-à-dire en sujets dotés d’une capacité d’action, au lieu d’objets esthétiques.
M. Depuis votre premier jour chez Dior, vous portez un message féministe. Est-ce que vous pensez que la mode a encore le pouvoir de faire évoluer les mentalités ?
M. G. C. La mode est un phénomène social intrinsèquement lié à nos façons de penser, donc oui, j’en suis certaine ! Si vous portez un style de robe en particulier, une certaine couleur, un t-shirt, il y aura toujours matière à lancer une conversation.
M. Vous êtes toutes deux des femmes à la carrière florissante dans le milieu de la mode. Quels sont les avantages d’être une femme d’après votre expérience ?
M. G. C. Notre capacité à nous identifier aux autres femmes, peut-être. Quand j’étais petite, je voyais ma mère diriger son entreprise de couture, et c’est à cette époque-là que j’ai pris conscience de leurs besoins et aspirations, mais aussi du rôle des vêtements et de la mode en général. Je suis également autrice, et je pense que l’on peut aussi avoir un female gaze. C’est d’ailleurs ce qui se reflète dans les mots utilisés par Justine pour parler de Catherine Dior.
J. P. En tant que femme, mère et grand-mère, je pense disposer d’une clairvoyance naturelle. Je tente de soutenir les personnes avec lesquelles je travaille, pas vraiment comme une mère, mais en faisant appel à une vision similaire apprise dans le cadre de mes différents rôles de sœur, de fille, d’amie… L’autre avantage, soyons honnêtes, c’est qu’en tant que femme on est capables de gérer plusieurs tâches à la fois.
M. L’an dernier, pas mal de designers ont quitté leurs postes ou ont été remercié·e·s. Étrangement, tou·te·s ont été remplacé·e·s par de jeunes hommes cisgenres. L’industrie de la mode est-elle encore sexiste ?
J. P. Personnellement, je suis choquée qu’aussi peu de femmes occupent des postes à responsabilité créative ou exécutive dans cette industrie. Il y avait plus de femmes designers et créatrices en exercice dans les années 1920 qu’aujourd’hui : Coco Chanel, Jeanne Lanvin, Madame Grès, Jeanne Paquin, Louise Boulanger, Madeleine Vionnet, Elsa Schiaparelli, pour ne citer qu’elles. À croire que, dans la lutte contre le sexisme, on a fait machine arrière – du moins sur ce sujet en particulier.
M. G. C. Vous n’êtes pas sans savoir qu’on me désigne toujours comme la première femme directrice artistique de la maison Dior. J’en suis très honorée et heureuse, mais je trouve ça parfois un peu surprenant d’être définie par mon genre et non par mes expériences ou la légitimité que j’ai acquise grâce à mes réalisations passées. Mais je crois aussi que cette opportunité qu’on m’a donnée est une façon de montrer que l’industrie est capable de choix comme celui-là. J’espère vraiment le voir arriver plus souvent.