Robe en latex, Avellano. Bottes en cuir, Ceinture en métal, Paco Rabanne. Collier et Boucles d’oreilles en laiton dorée, Patou .

Cinq ans après la sortie de son premier album, À ta merci, la chanteuse et musicienne française partage Avec les yeux. Un nouveau disque intime, qui nous parle d’exploration, de féminité et de liberté. Elle nous a accordé une interview fleuve dans les pages de notre dernier numéro SS22 COMMITMENT pour nous raconter ce nouveau projet qui marque son grand retour sur la scène musicale. Fishbach is back !

Elle a débarqué “d’un peu nulle part”, pour reprendre ses mots, et a mis tout le monde d’accord. Remarquée aux Inouïs du Printemps de Bourges puis aux Transmusicales de Rennes en 2016, Fishbach s’est alors imposée comme la nouvelle voix de la chanson française avec À ta merci, son premier album paru en janvier 2017. En cause ? Un son rétrofuturiste et audacieux, qu’elle a souvent décrit comme “la musique que mes parents auraient pu écouter”, mais qui fait tout autant danser la jeunesse, et cette voix à la fois grave, mystérieuse et parfois même étrange, qui explose en plein vol et touche en plein cœur. Encensé par la critique, À ta merci a ainsi propulsé l’autrice-compositrice sous le feu des projecteurs, lui permettant une tournée de 150 dates, une nomination aux Victoires de la musique en 2018, et même quelques collaborations avec le cinéma (en 2019, elle incarne Anaïs dans Vernon Subutex, la série télévisée de Canal+, et elle interprète la bande originale de Teddy, le dernier film des frères Boukherma). Ce fulgurant succès n’a cependant rien changé à la nature de Flora Fischbach (son matricule à la ville, avec un “c” en plus). La musicienne le confessera elle-même : elle adore tout autant danser en club, rencontrer des inconnu.e.s, et se sent toujours aussi “amateure” dans sa façon de faire de la musique. Pourtant, à l’écoute de son nouvel album Avec les yeux, composé dans sa région natale des Ardennes, où elle est retournée vivre en 2018, quelque chose a changé. Fishbach semble en avoir fini avec cette lutte intérieure décrite dans “Un autre que moi”, son titre le plus écouté à ce jour. Elle n’est plus cette “fille un peu masculine” qui enveloppait sa sensibilité dans de grandes tenues noires. Du haut de ses 30 ans, Fishbach s’assume et embrasse toutes les facettes de son identité de femme.

Robe en latex, Avellano. Bottes en cuir, Ceinture en métal, Paco Rabanne. Collier et Boucles d’oreilles en laiton dorée, Patou .

Mixte. On dit souvent que le deuxième album est plus compliqué à entamer, surtout lorsque le premier a connu un franc succès. Dans quel état d’esprit étais-tu, lorsque tu t’es attaquée à la création d’Avec les yeux ?
Fishbach. J’ai laissé passer beaucoup de temps entre les deux, car je ne voulais pas faire un “disque de musicienne” et raconter ma vie de tournée. Je n’arrive pas à me reconnaître dans ces chanteurs qui parlent de leur vie d’artiste ! J’ai donc pris le temps de m’occuper de moi, de composer… J’ouvrais mon ordi, je trouvais des petits sons, des amis m’envoyaient des textes… Et les choses se sont assemblées comme ça, de manière intuitive et spontanée. Et puis, lorsque j’ai eu une vingtaine de maquettes, mon label m’a dit : “Flora, il serait peut-être temps de trouver un réalisateur avec qui produire tout ça !” Et c’est là que j’ai rencontré Michael Declerck (réalisateur pour Her, Gaspard Augé, Prudence, ndlr), avec qui ça s’est fait super naturellement. Mais je ne te cache pas qu’il y avait une pression, évidemment. D’autant plus qu’encore aujourd’hui, je pense que je suis une amateure dans ma façon de faire de la musique. Je ne suis pas une férue de boulot, je ne suis pas une hard working girl du tout… J’aime bien me laisser vivre, prendre le temps. C’est vrai qu’il y avait un peu une contrainte et en même temps, je ne voulais pas perdre ma spontanéité. Je crois qu’il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.

M. Ton premier album parlait d’une attente amoureuse. Avec les yeux est davantage tourné vers toi : tes aventures, tes expériences en tant que femme. Que s’est-il passé entre les deux ?
F. C’est très juste. J’ai sorti mon premier album à 25 ans, il racontait ce que j’avais vécu durant les trois ou quatre années qui le précédaient – soit l’époque où j’étais une amoureuse un peu fébrile…

M. Comme toutes les femmes à cet âge !
F. Effectivement ! Ce nouveau disque est moins amoureux que le premier… La nana part à l’aventure et règle des trucs avec elle-même. C’est un album de trentenaire, finalement. Je crois vraiment que c’est à partir de cet âge-là que le caractère se fige. En tout cas, j’ai senti une vraie évolution à mes 30 ans, quelque chose de plus affirmé, de plus assumé… Avant, je refusais d’être belle et d’être femme. Je portais des joggings, je voulais avoir un côté dur, ne pas être foutue dans la catégorie “fille”. Mais en faisant ça, malgré tout, je me suis enfermée dans la case “fille un peu masculine”. Je crois que je refusais d’assumer qui j’étais. Aujourd’hui, au contraire, j’embrasse ma féminité. Je trouve ça trop cool de se maquiller et de mettre des talons hauts (même si j’adore aussi traîner en grosses baskets) ! Avec les yeux raconte cela.

M. C’est vrai qu’il y a plusieurs Flora sur Avec les yeux : on te sent parfois conquérante, sexy, triste ou très grave…
F. Je pense que ce n’est pas plusieurs Flora justement, mais plusieurs facettes de la femme que je suis. Cet album parle vraiment de l’exploration de soi, et du fait d’affirmer qu’on n’a pas la même voix, ni la même attitude ou les mêmes états émotionnels suivant la personne qui nous fait face. Il parle de toutes les faces d’une âme à un moment donné.

M. Tu parlais à l’instant de ta voix, qui varie beaucoup plus sur ce second disque. Comment l’as-tu travaillée ?
F. J’avais envie de moins… C’est bizarre à dire, mais je voulais moins hurler que sur le premier. Je souhaitais plus de lyrisme, de mélodies chiadées, me permettre la douceur. “Téléportation” est sans doute le morceau qui illustre le mieux tout ça, là où il y a le plus de vagues : je peux y être très, très douce, et la minute d’après, partir dans de grandes envolées lyriques. Tout le travail a été de trouver cette justesse, de réussir à mettre dans une même phrase beaucoup de douceur puis d’éclater à un moment donné.

M. Est-ce que le “son Fishbach” a changé entre ces deux disques ?
F. Je ne l’ai pas vraiment remarqué… Disons que j’ai fait les choses de manière très spontanée. Je n’ai pas voulu de changement à proprement parler. Cela dit, je pense que c’est beaucoup plus rock qu’avant. Dans le sens “pop rock”, variété – si les rockeurs lisent ça, ils vont hurler (rires) ! Du rock à la Bonnie Tyler, quoi. C’est un peu lié au fait que j’ai passé mon permis, puisque j’ai écouté énormément de musique en bagnole, des trucs très clichés genre grosses road songs américaines, australiennes, anglaises… J’étais dans cette dynamique-là au moment de créer l’album. J’avais très envie de tout ça, de guitare… Après, ça reste dans ce que certain.e.s décrivent comme un son new wave ou 80 – ce qui ne veut rien dire. C’est une décennie, pas un style, mais en tout cas, quand on dit 80, ça veut dire à mon sens être très audacieux dans la façon de produire, en foutre partout, ne pas être radin sur les effets de voix et de guitare… J’ai toujours à peu près la même approche que sur À ta merci, mais je pense que c’est un tout petit peu plus rock “à paillettes”.

Veste brodée de cristaux, Collier, Schiaparelli., Blouse en satin, DANAME. Pantalon en coton, Avellano.
Manteau en cuir, Pressiat. Body en coton, Schiaparelli. Bottes en cuir, Christian Louboutin. Bracelet à strass, Paco Rabanne.

M. As-tu l’impression que l’environnement des Ardennes, où tu as composé ce disque, l’a nourri ?
F. Quand je suis arrivée à Paris, en 2013, j’ai mis un an et demi à m’y faire, parce que je n’arrivais pas à voir l’horizon, et que la proximité avec les gens me choquait un peu… J’avais besoin d’espace ! Donc oui, forcément, ça a joué. Après, je pense que la campagne à temps plein, c’est un peu trop intense aussi. J’aime quand même la vie parisienne : les copains, les restos, la culture, les concerts, les clubs… J’adore les boîtes, aller danser, rencontrer des gens ! Alors, il a fallu trouver le juste milieu pour ce disque. Même s’il a été fait dans les Ardennes, j’étais quand même pas mal en ville avec mes musiciens. On peut dire que c’est un album à la fois campagnard et night-club… Enfin, début de soirée plutôt ! (rires). Ce n’est pas du gros tempo, bien sûr, mais un morceau comme “Démodé” ne sonne pas du tout forêt des Ardennes, par exemple. “Quitter la ville”, en revanche, oui.

M. Ce qui a beaucoup changé entre À ta merci et Avec les yeux, c’est ton rapport à l’image. Tu t’es entourée d’Aymeric Bergada du Cadet pour donner vie à de superbes clips, looks et visuels. Comment c’était, de travailler à ses côtés sur la direction artistique de ce nouvel album ?
F. C’était ultra-fun ! Il faut dire qu’Aymeric est quelqu’un d’ultra-fun. On s’est rencontrés en 2012, au moment où j’ai joué dans un clip de La Femme, et il m’a tout de suite fascinée. Je débarquais de ma campagne, et j’ai été subjuguée par ce garçon qui nous habillait avec des costumes fous, et qui lui-même était très, très costumé, qui portait des talons, qui était vraiment très élégant… c’était génial pour moi ! Après ça, on s’est perdus de vue quelque temps, avant de se retrouver il y a quelques années… et c’est à ce moment-là qu’il m’a confié qu’il avait envie d’aller vers davantage de réalisation et de direction artistique. De mon côté, je voulais quelqu’un qui puisse s’occuper de tout ça pour mon deuxième album – sachant que j’avais fait mes premiers clips et looks un peu à la va-vite –, quelqu’un qui soit le réalisateur de l’image, au même titre que Michael l’a été pour la musique. On s’est trouvés pile au bon moment. J’adore bosser avec lui. Il m’apprend énormément et me permet des choses que je n’aurais jamais essayées seule.

M. Ce qui n’a pas changé en tout cas entre ces deux albums, c’est la poésie de ton langage, qui est très plaisante car elle nous encourage à user de notre imagination. Il y a plein de moments touchants dans Avec les yeux, comme lorsque tu dis, dans ton morceau “La Foudre” : “L’espoir de tes mots jeunes/L’avenir comme tout remède/Canaille, tu rimes en fer/La rose qui enterre” ; ou que tu chantes sur “Téléportation” : “Mater des courses d’escargot/J’suis l’être en noir/Je prends patience entre les mots/J’pars autre part”. Quel est ton rapport à l’imagination ?
F. On dit souvent que les adultes ont perdu leur âme d’enfant. Moi, je crois que plus on vieillit, plus il faut cultiver son imagination et son émerveillement. Il est important de faire les choses aussi sérieusement que quand on était petits. Tu te souviens de l’état dans lequel on était quand on construisait une cabane ? C’était notre raison de vivre ! On était des enfants pirates perdus, on se battait contre des requins, et on y croyait à mort ! Je pense qu’il faut qu’on essaie de faire les choses avec ce sérieux-là une fois adulte. Résultat, quand quelqu’un me demande : “Mais t’as voulu dire quoi, là ?”, je réponds toujours : “Bah vas-y, dis-moi ce que t’as ressenti, dis-moi ce que t’as imaginé !” Et, bien souvent, les gens me disent des choses beaucoup plus intéressantes que ce que j’ai voulu exprimer à la base !

M. Quel est ton rapport à l’écriture ?
F. Il y a un peu d’autofiction parce qu’évidemment, faire des chansons, c’est aussi une façon de digérer les choses de la vie, d’adresser un message que tu n’as pas pu envoyer, de te soulager d’un poids, de ce qui te pèse, qui te tourmente. Mais je ne dis pas non plus exactement tout… C’est déjà si impudique de chanter ! Mes textes sont nourris de ce que je vis, mais il y aura toujours un petit voile par-dessus, qui dérive de la vérité.

M. La chanson la plus personnelle de l’album ?
F. “Dans un fou rire”. C’est la dernière que j’aie composée, pendant le confinement, à un moment où on me demandait constamment mon avis sur plein de sujets très clivants. On vit à une époque très moralisatrice, où on a vraiment troqué la vertu contre la morale. On me demandait de prendre parti sur des sujets que je trouvais beaucoup trop polémiques, virulents et séparatistes… Et ce n’est pas du tout mon intention ! Ce morceau-là exprime ce ras-le-bol. C’est une réponse à cette époque moralisatrice, une façon de lui dire : “Mais laisse-moi ! Moi ce que j’aime, c’est la beauté.”

M. C’est quoi ton grand rêve ?
F. Je rêve d’une vie ordinaire. J’aimerais construire une maison dans les bois (bon, avec la crise, c’est pas trop le moment, parce que les sous, c’est pas trop ça, là…), réaliser un beau projet de vie sédentaire. Et en parallèle, j’ai envie aussi de faire un voyage jusqu’à Tokyo, sans prendre l’avion, en Transsibérien et en cargo, avec mon petit chien. D’ailleurs, j’aimerais bien effectuer ce périple tout en composant et en tenant un de carnet de bord musical…

Album Avec les yeux (Entreprise/Also/Sony Music), sorti le 25 février. Fishbach sera en tournée dans toute la France à partir du 31 mars,
dont L’Olympia à Paris le 30 novembre.

Robe en métal brodée, Paco Rabanne. Boucle d’oreille « Serpenti » en pavé diamants, Bulgari.
Robe blazer en coton, Colliers, boucles d’oreilles et bracelets en métal dorée, Ceinture en cuir et métal,  Escarpins en cuir vernis, Saint Laurent par Anthony Vaccarello.

Photos : Yann Morrison
Chef de projet artistique : Clément Guinamard
Réalisation : Aymeric Bergada Du Cadet
Talent : Flora Fischbach
Coiffure : Yusuke Taniguchi @bagency
Maquillage : Dyna Dagger @bagency
Set design : Jade Boyeldieu d’Auvigny
Première assistante photo : Soraya Sanini
Assistant styliste : Axel Besson