M. As-tu l’impression que l’environnement des Ardennes, où tu as composé ce disque, l’a nourri ?
F. Quand je suis arrivée à Paris, en 2013, j’ai mis un an et demi à m’y faire, parce que je n’arrivais pas à voir l’horizon, et que la proximité avec les gens me choquait un peu… J’avais besoin d’espace ! Donc oui, forcément, ça a joué. Après, je pense que la campagne à temps plein, c’est un peu trop intense aussi. J’aime quand même la vie parisienne : les copains, les restos, la culture, les concerts, les clubs… J’adore les boîtes, aller danser, rencontrer des gens ! Alors, il a fallu trouver le juste milieu pour ce disque. Même s’il a été fait dans les Ardennes, j’étais quand même pas mal en ville avec mes musiciens. On peut dire que c’est un album à la fois campagnard et night-club… Enfin, début de soirée plutôt ! (rires). Ce n’est pas du gros tempo, bien sûr, mais un morceau comme “Démodé” ne sonne pas du tout forêt des Ardennes, par exemple. “Quitter la ville”, en revanche, oui.
M. Ce qui a beaucoup changé entre À ta merci et Avec les yeux, c’est ton rapport à l’image. Tu t’es entourée d’Aymeric Bergada du Cadet pour donner vie à de superbes clips, looks et visuels. Comment c’était, de travailler à ses côtés sur la direction artistique de ce nouvel album ?
F. C’était ultra-fun ! Il faut dire qu’Aymeric est quelqu’un d’ultra-fun. On s’est rencontrés en 2012, au moment où j’ai joué dans un clip de La Femme, et il m’a tout de suite fascinée. Je débarquais de ma campagne, et j’ai été subjuguée par ce garçon qui nous habillait avec des costumes fous, et qui lui-même était très, très costumé, qui portait des talons, qui était vraiment très élégant… c’était génial pour moi ! Après ça, on s’est perdus de vue quelque temps, avant de se retrouver il y a quelques années… et c’est à ce moment-là qu’il m’a confié qu’il avait envie d’aller vers davantage de réalisation et de direction artistique. De mon côté, je voulais quelqu’un qui puisse s’occuper de tout ça pour mon deuxième album – sachant que j’avais fait mes premiers clips et looks un peu à la va-vite –, quelqu’un qui soit le réalisateur de l’image, au même titre que Michael l’a été pour la musique. On s’est trouvés pile au bon moment. J’adore bosser avec lui. Il m’apprend énormément et me permet des choses que je n’aurais jamais essayées seule.
M. Ce qui n’a pas changé en tout cas entre ces deux albums, c’est la poésie de ton langage, qui est très plaisante car elle nous encourage à user de notre imagination. Il y a plein de moments touchants dans Avec les yeux, comme lorsque tu dis, dans ton morceau “La Foudre” : “L’espoir de tes mots jeunes/L’avenir comme tout remède/Canaille, tu rimes en fer/La rose qui enterre” ; ou que tu chantes sur “Téléportation” : “Mater des courses d’escargot/J’suis l’être en noir/Je prends patience entre les mots/J’pars autre part”. Quel est ton rapport à l’imagination ?
F. On dit souvent que les adultes ont perdu leur âme d’enfant. Moi, je crois que plus on vieillit, plus il faut cultiver son imagination et son émerveillement. Il est important de faire les choses aussi sérieusement que quand on était petits. Tu te souviens de l’état dans lequel on était quand on construisait une cabane ? C’était notre raison de vivre ! On était des enfants pirates perdus, on se battait contre des requins, et on y croyait à mort ! Je pense qu’il faut qu’on essaie de faire les choses avec ce sérieux-là une fois adulte. Résultat, quand quelqu’un me demande : “Mais t’as voulu dire quoi, là ?”, je réponds toujours : “Bah vas-y, dis-moi ce que t’as ressenti, dis-moi ce que t’as imaginé !” Et, bien souvent, les gens me disent des choses beaucoup plus intéressantes que ce que j’ai voulu exprimer à la base !
M. Quel est ton rapport à l’écriture ?
F. Il y a un peu d’autofiction parce qu’évidemment, faire des chansons, c’est aussi une façon de digérer les choses de la vie, d’adresser un message que tu n’as pas pu envoyer, de te soulager d’un poids, de ce qui te pèse, qui te tourmente. Mais je ne dis pas non plus exactement tout… C’est déjà si impudique de chanter ! Mes textes sont nourris de ce que je vis, mais il y aura toujours un petit voile par-dessus, qui dérive de la vérité.
M. La chanson la plus personnelle de l’album ?
F. “Dans un fou rire”. C’est la dernière que j’aie composée, pendant le confinement, à un moment où on me demandait constamment mon avis sur plein de sujets très clivants. On vit à une époque très moralisatrice, où on a vraiment troqué la vertu contre la morale. On me demandait de prendre parti sur des sujets que je trouvais beaucoup trop polémiques, virulents et séparatistes… Et ce n’est pas du tout mon intention ! Ce morceau-là exprime ce ras-le-bol. C’est une réponse à cette époque moralisatrice, une façon de lui dire : “Mais laisse-moi ! Moi ce que j’aime, c’est la beauté.”
M. C’est quoi ton grand rêve ?
F. Je rêve d’une vie ordinaire. J’aimerais construire une maison dans les bois (bon, avec la crise, c’est pas trop le moment, parce que les sous, c’est pas trop ça, là…), réaliser un beau projet de vie sédentaire. Et en parallèle, j’ai envie aussi de faire un voyage jusqu’à Tokyo, sans prendre l’avion, en Transsibérien et en cargo, avec mon petit chien. D’ailleurs, j’aimerais bien effectuer ce périple tout en composant et en tenant un de carnet de bord musical…
Album Avec les yeux (Entreprise/Also/Sony Music), sorti le 25 février. Fishbach sera en tournée dans toute la France à partir du 31 mars,
dont L’Olympia à Paris le 30 novembre.