Elle porte le pouvoir, comme les autres femmes de sa lignée. Comme ses ancêtres, elle chérit la lune, le soleil et les arbres.
Brume regarde l’astre de feu se réveiller derrière le trait où rien ne finit. Les premières paroles des plumes volantes sifflent. Le silence noir devient lueur de soie.
Brume aime penser dans la langue de Kryoh, cette femme qui semble voir à travers l’âme, cette femme au visage raviné que l’on appellerait “grand-mère” dans un autre temps. Elle imagine des mots nouveaux au fil de ses déambulations dans la nature, mais conserve précieusement leur origine, celle que Kryoh lui enseigne. Elle vit avec sa tribu, sur une terre sans fin de nature préservée. Elle arpente bois, prés, montagnes, rivières, falaises, océans, prairies. Elle connaît les pouvoirs des plantes et les vertus des baies, le bruissement des nuages et le chant des oiseaux. Elle vit.
S’ils ne connaissent rien du passé, comment peuvent-ils déterminer le futur ?
S’ils ne connaissent que le présent, comment le passé peut-il exister ?
S’ils n’imaginent pas le futur, comment le présent a-t-il un sens ?
Brume dort contre la flamme douce et soyeuse qu’elle aime appeler “renard” dans la mélodie qu’elle invente. Des vies et des couleurs pas comme elle. Les animaux. Elle est partie cueillir des champignons dans une grande forêt de chênes plus anciens que les millénaires. Ensuite, il faudra les laisser dormir dans des vases de verre pour un repos de plusieurs lunes. Et les faire chanter dans les creusets de terre sur les lueurs pétillantes, dans le cercle du soir.
Elle secoue la grande cape qu’elle utilisait comme couverture et la pose sur ses épaules. Un instant plus tard, elle marche sans bruit sur les feuilles. Elle suit la piste des champignons, ses pas la guident entre les mousses et les troncs, elle a l’instinct d’un animal.