Pêle-mêle artiste peintre, musicien, producteur, réalisateur, styliste et designer, KidSuper – Colm Dillane de son vrai nom – a de quoi sourire. Une dizaine d’années lui aura suffi pour transformer son label de t-shirts sérigraphiés dans le sous-sol de la maison familiale en l’une des marques les plus convoitées du moment. Né d’une mère artiste espagnole et d’un père pêcheur irlandais, l’enfant de la balle a grandi dans un tourbillon de cultures, entre le Wisconsin, Chicago et le Mexique, avant de s’établir définitivement à New York à l’âge de 13 ans. Après des études de mathématiques à la NYU et un passage par le Brésil afin de poursuivre une carrière footballistique qui n’a pas porté ses fruits, l’incorrigible go-getter crée KidSuper au tournant des années 2010. Un simple hobby que l’enfant terrible sans formation académique en art ou en design convertit en un laboratoire créatif audacieux entre mode, art et performance. Cultivant un flair hors pair pour les défilés théâtraux et atypiques, cet Américain à Paris prend un malin plaisir à éblouir son public. Case in point : son défilé printemps-été 2025 où un ballet de modèles à la démarche désarticulée investissait la scène du Trianon, telles des marionnettes humaines contrôlées par des fils blancs cousus à une main amovible plus grande que nature (le tout au milieu des acrobaties hors-sol de la troupe du Cirque du soleil). Ici, comme à chacune de ses collections, les influences s’entrelacent, les motifs rugissent et les couleurs explosent, faisant de chaque pièce le reflet des réflexions du créateur sur la société contemporaine.
Un point de vue singulier et détonnant qui a déjà permis à la marque de rafler le prix Karl Lagerfeld au LVMH Prize 2021, de recevoir une nomination aux CFDA Awards dans la catégorie Designer de l’année 2023, mais aussi et surtout de collaborer avec Louis Vuitton qui l’avait choisi, à la surprise générale, pour co-signer sa collection masculine automne-hiver 2023/2024. Lors de ce show événement qui restera dans les annales, Colm Dillane avait notamment demandé à Michel Gondry de construire un décor monumental s’inspirant de l’univers riche et foisonnant des chambres d’enfants. De quoi permettre au créateur d’affirmer et de partager avec le plus grand nombre sa philosophie simple mais radicale : “KidSuper est destiné à celles et ceux qui cultivent une curiosité enfantine et la conviction que tout est possible, à condition de s’en donner les moyens, pose l’artiste. J’incarne cet amour contagieux de la vie et la croyance qu’il faut tenter sa chance face à l’impossible.” Car si ce Peter Pan préfère avoir la tête dans les nuages, il n’en garde pas moins les pieds sur terre. Nouvellement aux commandes de son propre label, KidSuper Records (d’où est sorti un premier single, “Big in da Game”, interprété par les rappeurs Giggs et Quavo), le kid de Brooklyn rencontre un franc succès qui est loin d’être tombé du ciel.
Mixte. Votre parcours est plutôt atypique dans l’industrie de la mode. Vous considérez-vous comme un outsider ?
Colm Dillane. Je dois reconnaître que oui. Je me souviens d’un moment, à la cérémonie des CFDA Awards, où j’ai pensé à voix haute : “c’est incroyable qu’on ait réussi à s’incruster à cette soirée”. Quelqu’un m’a rétorqué : “tu es nommé pour le prix du designer de l’année, qu’entends-tu par s’incruster ?”. J’avoue avoir été surpris. Encore aujourd’hui, je me considère comme un outsider. On imagine souvent qu’une fois entré dans le monde de la mode, tout change. Pour ma part, cela n’a pas radicalement bouleversé ma vie. De l’extérieur, la mode semble être un univers de paillettes et de glamour, mais c’est avant tout un milieu exigeant, fait de travail acharné et de sacrifices.
M. Des sacrifices qui vous ont ouvert des portes inattendues…
C. D. En effet. J’ai eu l’honneur d’être invité à cosigner la collection homme automne-hiver 2023/2024 de Louis Vuitton. Un privilège qui, dans l’univers de la mode, s’apparente à un véritable Graal. Cependant, même dans ce cadre d’exception, j’ai été frappé par l’omniprésence de l’urgence, les décisions prises à la dernière minute et les ajustements impromptus. J’ai également été étonné par la grande liberté créative accordée. Ce fut une expérience véritablement intéressante qui m’a rappelé les préparatifs d’un défilé KidSuper. Évidemment, les budgets étaient bien plus élevés. Mais la sensation de pouvoir constamment improviser et amender reste la même.