À cause de la pandémie, une forte augmentation des crimes haineux anti-asiatiques a été observée un peu partout dans le monde. Cette fois-ci, l’industrie de la mode a décidé de prendre pleinement part au combat en dénonçant cette injustice raciste.

En pleine hausse alarmante des crimes haineux anti-asiatiques (particulièrement aux États-Unis), le mouvement #StopAsianHate, né sur les réseaux sociaux, a rassemblé des personnalités de l’industrie de la mode pour aider à lutter contre ces attaques racistes. Des designers, des influenceurs, des journalistes et des entrepreneurs asiatiques-américains connus de l’industrie se sont ralliés au hashtag/mouvement de ces dernières semaines, afin de sensibiliser la population aux récents crimes observés un peu partout dans le monde. Beaucoup de ces professionnels de la mode ont ainsi partagé des histoires personnelles mais aussi leur désarroi et leur fatigue grandissante dans un contexte de pandémie de Covid-19 qui a injustement ravivé la flamme de la haine raciale anti-asiatique.

C’est peu dire tant la situation est alarmante. En effet, depuis le début de la pandémie, la discrimination, le harcèlement et la violence contre les personnes d’origine asiatique ont augmenté à un rythme effrayant. La base de données de rapports Stop AAPI Hate – créée en réponse à la montée de la violence raciale – a indiqué dans un rapport qu’elle avait reçu plus de 2800 récits de haine anti-asiatique entre le 19 mars et le 31 décembre 2020. Et selon un article du Time qui reprenait les données du New York Police Department, 2020 a vu les crimes haineux ciblant les communautés asiatiques grimper de 1900% à New York.

Au Royaume-Uni, le racisme contre les personnes d’origine asiatique de l’Est et du Sud-Est a également explosé, la police du Met ayant enregistré un total de 457 crimes entre janvier et juin 2020. En France, en octobre, le parquet de Paris avait ouvert une enquête après qu’un appel abject à “agresser chaque Chinois” avait circulé sur les réseaux sociaux. L’Association des Jeunes Chinois de France avait alors incité à porter plainte à chaque agression ou insulte raciste constatée.

Dans ce contexte délétère, plusieurs personnalités éminentes de la mode, probablement bouleversées par les combats antiracistes de 2020 portés par le mouvement Black Lives Matter, ont cette fois-ci rapidement pris la parole afin de dénoncer ces crimes mais aussi afin de proposer des réponses et des solutions notamment grâce à des campagnes de collecte de fonds.

Ainsi plusieurs marques de mode populaires comme Nike, Adidas, Converse, Tommy Hilfiger ainsi que des marques de luxe comme Valentino, Philip Lim, Prabal Gurung et Oscar de la Renta ont montré leur solidarité pour la cause. “Nous soutenons notre communauté asiatique et nous nous unissons pour favoriser un monde plus inclusif et plus tolérant”, a déclaré Valentino dans un post Instagram. Une initiative à particulièrement souligner de la part de la maison italienne puisque trop peu de marques de luxe européennes ont clairement défendu #StopAsianHate — montrant encore malheureusement une fois de plus le manque d’engagement et de soutien d’une bonne partie des mastodontes de l’industrie de la mode dans le combat antiraciste, alors que la consommation de luxe du continent asiatique a permis à beaucoup d’entre eux de garder économiquement la tête hors de l’eau pendant la pandémie.

Malgré tout, c’est surtout du côté des insiders que l’engagement a été le plus fort ; comme avec le blogueur de mode philippin international Bryan Boy qui a exprimé son inquiétude face à ces attaques odieuses. “La plupart de ces attaques sont le résultat de la rhétorique anti-asiatique à cause de la pandémie”, a-t-il souligné sur les réseaux. Michelle Lee, rédactrice en chef d’Allure, a quant à elle évoqué cette “montée inquiétante” – qui s’est poursuivie jusqu’en 2021 – dans une vidéo publiée sur Instagram le 16 février. “Je demande votre aide pour mettre fin à la haine asiatique”, dit-elle, ajoutant: “Une grande partie de ces actes a été causée par la haine, la colère et la frustration mal placées vis-à-vis de la pandémie, à tel point que nos personnes âgées sont attaquées au hasard”.

Beaucoup des insiders asiatiques mode ont notamment pris la parole sur Clubhouse fin février, réseau social audio par invitation sur lequel la discrimination asiatique a été l’un des principaux sujets de discussion dans bon nombre de ses sous-groupes. Le dimanche 21 février, Prabal Gurung, Susie Lau, Tina Craig, Michelle Lee, Bryanboy et Phillip Lim s’étaient réunis sur la plateforme pour partager des histoires de discrimination dont ils ont été victimes au sein de l’industrie de la mode.

Outre la sensibilisation à cette vague de crimes haineux anti-asiatiques depuis le déclenchement de la pandémie, beaucoup de ces posts mettent en évidence le racisme sous-jacent et les mythes persistants que le virus n’a fait qu’exacerber. Parmi ceux-ci, il y a le fameux “mythe de la minorité modèle”, un stéréotype qui suggère que ceux qui s’intègrent tranquillement dans la société, sans exprimer leurs difficultés, seraient plus facilement acceptés. Afin d’aider et de prendre part au combat, plusieurs insiders de la mode ont suggéré à leurs followers de par exemple mettre fin à ce mythe de la minorité modèle, mais aussi de parler publiquement de la discrimination contre les personnes d’origine asiatique, tout en faisant des dons à diverses organisations comme l’AAPI et en soutenant les business asiatiques locaux. C’est ce qu’a proposé Eva Chen, la directrice des partenariats mode d’Instagram, qui après avoir animé mardi une conversation sur la montée du racisme anti-asiatique avec la militante des droits civiques et fondatrice de Rise Amanda Nguyen, la rédactrice Michelle Lee et la réalisatrice de “Birds of Prey” Cathy Yan, a également apporté son soutien à la campagne de collecte de fonds GoFundMe “#StopAsianHate Fundraising Hub”.

Pur hasard du calendrier, le mouvement contre la haine envers les asiatiques dans le milieu de la mode se déroule exactement au même moment où s’ouvre à Milan ces jours-ci le procès intenté par Dolce & Gabbana contre le compte instagram Diet Prada. Connu pour son combat antiraciste dans l’industrie, le média social avait mis en lumière une campagne de la marque italienne de 2018 bourré de clichés et de stéréotypes racistes envers les asiatiques (comme cette fameuse image d’une mannequin chinoise tentant de manger une pizza avec des baguettes…). Un backlash qui avait poussé D&G à s’excuser publiquement et a annulé un défilé prévu à Shanghai après qu’un certain nombre d’invités et d’employés (journalistes, mannequins) avaient refusé d’y participer.

Ces jours-ci, Diet Prada vient de révéler que Dolce & Gabbana avait finalement porté plainte contre eux devant les tribunaux. La déclaration et explication du média militant Instagram est on ne peut plus claire : “Avec tant de haine anti-asiatique qui se propage aux États-Unis, ce n’est pas normal de continuer à garder le silence sur un procès qui menace notre liberté d’expression. Nous sommes une petite entreprise cofondée par une personne de couleur, essayant de dénoncer le racisme dans notre propre communauté”.

Ils ajoutent : “Le procès fait valoir que nous devrions être tenus responsables de la perte de revenus et d’autres préjudices causés à Dolce & Gabbana et à son co-fondateur Stefano Gabbana après avoir critiqué leur campagne publicitaire 2018 sur Weibo pour sa représentation stéréotypée et sexiste d’une femme chinoise, et révélé des remarques anti-asiatiques provenant du compte Instagram de Gabbana. (…). Peu de temps après, début 2019, la marque a déposé une action en diffamation demandant que nous payions des dommages et intérêts d’un montant de 3 millions d’euros pour Dolce & Gabbana et 1 million d’euros pour Stefano Gabbana”.

Une action en justice démesurée qui paraît évidemment absurde dans ce contexte actuel et qui en dit encore long sur les biais et préjugés racistes qui gangrènent l’industrie et qu’il reste à déconstruire et à condamner. Chamboulé mais par désarmé, Diet Prada en a profité pour réaffirmer son engagement et se positionner comme un leader d’une nouvelle garde mode qui ne laisse plus rien passer quand il s’agit de haine et de discrimination : “Avoir développé Diet Prada en tant que plateforme où nous pouvons dénoncer le racisme, amplifier de façon plus large les histoires de la communauté BIPOC et maintenir l’industrie de la mode à un niveau éthique plus élevé, a été l’une des expériences les plus enrichissantes à ce jour et notre seul espoir est de protéger cela”. Preach boy !