Alors que la Cour suprême des Etats-Unis vient de torpiller le droit à l’avortement au niveau fédéral, plusieurs marques de mode ont déclaré lancer des mesures afin de garantir le droit à l’IVG pour leurs salarié.e.s. Mais sous couvert de bonnes intentions, la mode peut-elle vraiment protéger un droit comme celui-ci ?

Vendredi 24 juin dernier, la Cour suprême des Etats-Unis prenait la sombre décision d’annuler l’arrêt Roe v. Wade et ainsi de révoquer le droit à l’avortement au niveau fédéral, rendant illégal dans près de la moitié des états du pays un droit pourtant acquis depuis 1973. La nouvelle a jeté un voile sombre sur les USA et pas que, rappelant tristement à toutes les femmes que, tant que la société patriarcale subsistera, leurs droits seront en permanence menacés, y compris l’un des plus essentiels, celui de disposer librement de son corps et de décider d’embrasser la maternité, ou pas. L’abrogation de Roe V.Wade est ce vers quoi travaille le mouvement anti-avortement depuis des décennies aux Etats-Unis, et le pire scénario qu’envisageaient les défenseurs des droits des femmes. Dans l’indignation générale, les marques de mode ont tenté de faire entendre leurs voix, à coup de statements et autres prises de mesures jurant de défendre bec et ongle le droit à l’IVG, pour leurs salariés. Mais, sous couvert de bonnes intentions, la mode peut-elle vraiment protéger un droit comme celui-ci, affaire de santé publique ?

Quand la mode monte au front

 

Déjà en mai dernier, après que le site Politico ait laissé fuiter que la révision de l’arrêt Roe V. Wade était en cours aux Etats-Unis, Gucci était l’une des premières marques de mode à se positionner fortement en annonçant s’engager à couvrir les frais de déplacement de toutes ses salariées qui se trouveraient dans le besoin de mettre un terme à une grossesse si ce droit leur était retiré. Suite à la décision de la Cour Suprême vendredi dernier, Gucci a publié un communiqué réaffirmant cet engagement : «Alors que nous sommes aujourd’hui confrontés à un moment critique de l’histoire des États-Unis, Gucci reste inébranlable dans sa conviction que l’accès aux soins de santé reproductive est un droit humain fondamental.» La maison italienne a déclaré également s’engager « à soutenir les organisations partenaires qui permettent l’accès à la santé reproductive et protègent les droits de l’homme, en particulier pour les plus vulnérables». Une prise de position dans la continuité de la campagne Gucci pour l’égalité des sexes, Chime for Change, lancée en 2013 à l’échelle internationale. Alessandro Michele, directeur artistique de la maison, aime d’ailleurs rappeler cet engagement pour le droits des femmes à coups de message forts (« My Body My Choice ») dans ses collections, comme par exemple celle de la collection croisière 2020.

Gucci Collection Croisière 2020

Suite à l’annonce du 24 juin dernier, d’autres enseignes que Gucci se sont empressées de faire leurs statements respectifs en faveur du droit à l’IVG. La maison Balenciaga, a ,via un post sur le compte Instagram officiel de la griffe, déclaré s’engager à couvrir les frais de déplacement de ses employées souhaitant avoir recours à une IVG. La marque a d’ailleurs supprimé toute autre publication de son compte pour ne laisser que celle-ci de visible, comme pour mieux nous signifier leur préoccupation et dévouement à cette cause. D’autres labels se sont également rapidement positionnés comme Levi’s ou encore Lululemon, qui a fait un don de 500.000 dollars au planning familial et a réaffirmé son engagement et son soutien financier auprès d’organismes tel que Black Women’s Health qui aide les personnes racisées démunies. La marque Patagonia s’est démarquée dans la mêlée en déclarant être prête à couvrir les frais de caution pour ses employé.es qui décideraient d’aller manifester pacifiquement pour le droit à l’avortement, un appel à la protestation et à la désobéissance civile assez osé et qui nous plait bien…

Les marques de mode peuvent-elles pallier aux manquements des institutions ?

 

Durant les deux dernières années, de plus en plus d’entreprises privées, y compris les marques de mode, ont pris fermement position pour des causes sociales comme le racisme, la protection des droits de la communauté LGBTQIA+, la gestion de la crise du Covid 19 ou encore la guerre en Ukraine. Cette année, plus de 1000 entreprises américaines ont décidé de couper les ponts avec la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine par Poutine en février. Selon une étude menée par Just Capital fin 2021, 63% des américains estiment que les CEOs des grandes entreprises doivent prendre position sur les sujets de société comme le droit à l’avortement. Avec l’avènement des réseaux sociaux, notamment Twitter et Instagram, les marques sont plus que jamais observées et jugées par les utilisateur.trices, d’autant plus quand elles sont propriétés de grands groupes de luxe avec des chiffres d’affaires de plusieurs milliards d’euros… Si le spectre du socialwashing n’est jamais loin quand les marques de mode s’emparent d’une problématique sociétale – d’autant plus vrai que le mois des fiertés touche à sa fin – les marques sont attendues par les consommateurs sur le terrain des luttes sociales. Ces statements de la part des marques de mode sont révélateurs des manquements de la part des institutions mais aussi d’une inquiétude générale venant des citoyen.es (qui ne sont pas que des consommateur.trices, c’est bon de le rappeler) quant à la préservation de leurs droits et de leurs libertés. Si les politiques d’entreprises ont la prétention de pouvoir pallier très ponctuellement aux politiques de santé publique, cela n’est certainement pas envisageable à long terme. En admettant que les salariées de Balanciaga, Levi’s, etc. soient « protégés » un temps par leurs employeurs, qu’en est-il des millions d’autres femmes souhaitant mettre un terme à une grossesse non désirée livrées à elles-mêmes ? Les actions des marques en faveur du droit à l’IVG – et pour tout autre cause sociale – ne doivent pas constituer une solution en soi, sinon un levier pour attirer l’attention de tous.tes, y compris et surtout celle des dirigeant.es politiques, sur les combats à mener pour la préservation des droits des libertés.