M. Comment tu découvres tous ces artistes ?
L. J. Je fais un appel à candidature et les quatre personnes de Virgules Neuf Studio, la prod’ qui tourne les émissions, font aussi des propositions. Cet été, on lance un nouveau format solo pour une campagne en Côte d’Ivoire. On y est allés et on a fait un grand casting sauvage, en partenariat avec Sony, pour créer un lien entre les artistes de la rue et Sony Music Afrique. On aimerait répliquer ça en France, une sorte de tremplin. Le rap ivoirien reste francophone, il y a une grande passerelle qui mérite d’être faite.
M. Cet exemple illustre en grande partie ton engagement dans la scène rap, mais aussi au-delà. Qui t’a influencée dans ce domaine ?
L. J. Les grands artistes comme Bob Marley, Lauryn Hill, Mary J. Blige, Nina Simone, Rihanna… Oui, Rihanna c’est clairement un modèle. Je ne me considère pas comme une fan d’elle musicalement, mais je me suis rendu compte récemment que son parcours professionnel est admirable. En fait, tout le monde peut être motivant, y compris des gens dans la vie de tous les jours, même les ouvriers dans la rue me donnent de l’énergie, ils sont courageux, ils supportent. Mes parents, ma mère, ma grand-mère, beaucoup de femmes très fortes m’ont inspirée.
M. Je crois que tu respectes particulièrement Rokhaya Diallo ?
L. J. Quand je vois des filles comme elle, je me dis qu’elles sont tellement fortes, si intelligentes, brillantes, dignes de conviction. Rokhaya prône l’égalité et la paix de tout son corps, de toute son âme. Sa profondeur me touche. Quand tu te sens faire partie d’un combat, tu te dis que tu n’es pas seule et qu’il y en a plein d’autres qui sont aussi en train de combattre les discriminations. En tant que femmes, on vit toute sorte d’injustices. Mais nos histoires sont différentes, comme notre parcours et notre caractère, donc on ne les vit pas de la même manière. Je n’ai même pas besoin d’y réfléchir. En étant moi-même une femme, qui fait ce qu’elle fait naturellement, sans porter de message, je représente un mouvement. Parce que je me bats dans un milieu d’hommes.
M. Qu’est-ce qui est le plus impactant selon toi, tes paroles ou tes actes ?
L. J. Les deux, je crois. Les mots peuvent toucher, mais en tant qu’être humain j’ai toujours pensé que les actions valent les mots, elles sont mon moyen. Je dois réussir si je veux dire aux femmes qu’elles doivent réussir. Je dois rapper si je leur dis qu’elles peuvent rapper. Des femmes nous ont ouvert les portes : Diam’s, Princess Aniès, Keny Arkana… Mais il y a eu un grand fossé temporel entre elles et nous depuis, donc c’est comme s’il fallait repartir de zéro. Des portes se sont ouvertes, mais certains les ont refermées. Au lieu de nous inscrire dans la continuité, on va plutôt nous opposer aux anciennes générations de rappeuses en nous disant qu’on ne les vaut pas. Il y a différents styles, des femmes qui rappent mais qui sont sexy comme Davinhor (qu’elle a rencontrée sur le documentaire Reines sur Canal+ et avec qui elle a enregistré le tube en puissance “Floko”, ndlr). Les femmes peuvent aussi parler de sexe. Il y a la musique, mais aussi la mentalité. Je suis contente de voir plus de rappeuses : quand Shay a débarqué, on était toutes ravies, il y a de la place pour tout le monde. Le boulot est monstre, mais c’est mon but d’apporter ma couleur musicale, d’influencer des générations.
M. Comment vois-tu ton statut de rappeuse militante et entrepreneure aujourd’hui ?
L. J. C’est comme un superhéros qui commence à prendre conscience de ses pouvoirs, qui les perfectionne et les maîtrise petit à petit. La musique est bien plus que de la musique. C’est un vrai pouvoir sociétal, c’est politique. Je prends conscience que mes mots peuvent toucher, influencer, que j’ai un rôle. Ça m’amène à changer mon écriture, mais sans me mettre la pression. Parfois, on fait des textes super légers et parfois on a un discours intelligent, politique. Il faut savoir allier les deux.