The Great Wall of Vagina par l’artiste Jamie McCartney.

Après avoir traqué les rides puis la cellulite de ces dames, l’industrie cosmétique s’attaque désormais au sacro-saint vagin, et plus particulièrement à son goût et à son odeur que ce soit avec les gommes à mâcher de Kourtney Kardashian ou les lubrifiants de Christina Aguilera. Doit-on y voir une réelle émancipation qui prendrait enfin compte du plaisir féminin ou une injonction patriarcale à sentir bon de partout (et surtout de l’entrecuisse) ?

Lancé en Mars 2023, Playground se veut bien plus qu’une marque de simples lubrifiants. Fondé en partie par Christina Aguilera, la communication de cette start-up du sexe est finement rôdée : sa page web multiplie les articles parlant du vaginisme ou des rapports pendant les règles, sans aucun tabou. Une section Sexology 101 donne un tas de conseils pour améliorer ses expériences, et les produits vendus se veulent éco-responsables, composés d’ingrédients d’origine naturelle et bien sur vegan. Tout ceci n’a qu’un but : rendre l’usage des lubrifiants Playground quotidien, et pas uniquement lors des rapports sexuels ou diverses activités masturbatoires. La marque considère ses produits comme un véritable skincare du vagin, avec des compositions enrichis à l’acide hyaluronique ou en vitamine E, comme l’explique Christina Aguilera au site Hypebae : « Nous avons toujours pris l’habitude d’aller acheter des produits de beauté comme des crèmes hydratantes, il est temps de faire pareil pour notre vagin. Il n’y a aucune raison à ce que ces produits se trouvent dans une autre section du magasin, comme si c’était quelque chose que l’on devait cacher. Ces lubrifiants sont une cure de vitamines destinés au vagin. Il est important de connaître la composition de ce que l’on y introduit, comme pour un soin du visage. »

Christina Aguilera pour Playground

La marque s’offre même les conseils de l’experte Emily Morse, sexologue star outre-Atlantique, créatrice du podcast Sex with Emily. Cette opération séduction se décline en quatre lubrifiants au packaging rose pastel, dont un seulement est dépourvu de parfum. Mini escape est aromatisé à la noix de coco et au bois de santal, After hours masque les odeurs naturelles en les remplaçant par une fragrance boisée et musquée et Date night (le préféré de Xtina) dégage un doux parfum de champagne et de vanille : de quoi transformer n’importe quel entrecuisse en véritable Lady Marmelade. « Plus que le fait de ne pas avoir d’odeur, on incite les femmes à sentir bon » analyse Pauline Rochette, directrice de l’association féministe Patriarchie et créatrice du magazine du même nom. « Ces injonctions patriarcales sont aberrantes, j’y vois aussi une notion très hétéronormée de la sexualité puisque cette pratique se destine à satisfaire le partenaire, masculin de préférence. On ne donne pas un goût à son vagin pour soi, on le fait pour l’autre. »

 

Minou minou minou

 

Ce désir de masquer les odeurs des parties intimes ne datent pas d’hier, on se souvient d’ailleurs en 2017 de l’entreprise Pretty Woman (qui a depuis disparu des radars) et de ses très controversées gélules à s’insérer dans le vagin afin d’avoir une cyprine pailletée, avec en bonus un goût de bonbon acidulé. Les gynécologues du monde entier s’étaient alors insurgés contre cette pratique qui risquait non seulement d’abîmer la flore vaginale mais aussi de développer des bactéries. Cette tendance hygiéniste n’a cependant pas échappé à l’aînée du clan Kardashian, puisque Kourtney lance en grande pompes sa gamme de compléments alimentaires sous forme de gommes à mâcher en septembre 2022. Baptisé Lemme, la nouvelle guru du wellness propose des gummies enrichies aux probiotiques favorisant le système digestif, la concentration ou le métabolisme. Mais un produit en particulier attire l’attention des médias et déclenche les foudres des féministes : son vagina health gummies qu’elle nomme PURR.

Playground

Censé protéger la santé vaginale, la description de ces bonbons 2.0 met les gynécos du monde entier en PLS : « Formulés avec des probiotiques cliniquement étudiés, de la vitamine C antioxydante et de l’extrait d’ananas pour soutenir la santé vaginale, la fraîcheur, le pH, l’odeur et le goût. Rendez-le savoureux. » Jen Gunter, une gynécologue star aux USA, autrice de The vagina Bible, s’insurge sur les réseaux et vise directement Kourtney et son nouveau business : « Quiconque suggère que votre vagin n’est pas frais ou a besoin d’un meilleur goût est une personne terriblement misogyne. Votre vagin est formidable et si vous pensez avoir un problème de santé, consultez un expert au lieu d’un Kardashian. » En effet, on a souvent tendance à l’oublier, mais la nature est bien faite, et surtout lorsqu’il s’agit de nous lancer des missives afin de nous réveiller la libido. Imperceptibles, les phéromones sont des substances chimiques comparables aux hormones qui agissent comme un message entre les individus d’une même espèce. C’est en partie grâce à elle que nous sommes attirés par certain.es de nos congénères, les autres étant recalés au casting par ce jury invisible. Il a d’ailleurs été prouvé que ces phéromones jouent un rôle plus déterminant dans l’attraction et le désir que n’importe quel parfum.

Selon Linda Buck, chercheuse récompensée par un prix Nobel pour son travail sur le système olfactif, le lavage excessif ou la dissimulation constante de ces signaux sociaux pourrait nous priver d’intéraction avec nos semblables et faciliterait l’apparition de symptômes dépressifs. Alors certes, sur le papier, l’odeur du vagin ne fait vraiment rêver puisqu’il est constitué de sueur, d’urine, de cyprine, et dépend du niveau de pH vaginal, mais dans les faits, chaque vagin possède une odeur unique produite par l’ensemble des bactéries présentes, et c’est ce combo naturel qui attire les partenaires sexuels. Un vagin qui a une odeur signifie tout simplement que ce dernier est en bonne santé, sans avoir besoin d’être aromatisé. « La démarche de ces célébrités est purement marketing » déclare Pauline Rochette, « car il ne faut pas oublier que le vagin est le seul organe qui s’auto-nettoie. On crée des angoisses aux femmes autour de leur corps en leur faisant croire qu’elles auraient besoin d’un produit, on est limite dans la désinformation et surement pas dans une démarche féministe. Si on veut que les femmes soient plus excitées et qu’elles mouillent plus, il y a d’autres techniques naturelles qui existent. Aidons les femmes à mieux se faire jouir en les incitant à mieux connaître leur vagin. Ce n’est pas en leur vendant un lubrifiant ou des gummies qu’on ira à la source du problème dans un monde où une femme sur trois n’a jamais regardé sa vulve. »

Lemme X Kourtney Kardashian
Moule à Moula

 

Car si les stars prônent avant tout une démarche féministe afin de justifier leur nouveau business, il ne faut pas oublier la réalité du marché que représente le sexual wellness market. La journaliste beauté Chloé Laforest s’est récemment penchée sur la question pour le magazine Harper’s Bazaar France : « Les grandes maisons de mode ou de cosmétiques sont encore frileuses à l’idée de vendre des produits pour l’intimité. L’image de marque prime et vendre des produits pour le vagin a longtemps été perçu par l’industrie comme quelque chose de tabou, qui ne rime ni avec luxe ou glamour. Sauf que, depuis que le mot wellness a envahi toutes les sphères de notre vie, ces marques se sont rendues compte qu’il y avait une vraie demande, car on estime que ce marché devrait peser plus de 115 milliards de dollars en 2030. Pour certaines marques, enrichir sa gamme avec des produits de wellness sexuel est du pur opportunisme mais pour d’autres, comme Barbara Sturm, c’est une vraie logique. » En effet, elle nous présente d’autres marques baptisées Dame ou Maude qui proposent toutes des sérums favorisant la libido, et à l’instar de Playground, des lubrifiants qui prennent soin du vagin tout en lui donnant un bon goût. La marque Cake décline d’ailleurs trois saveurs : pêche, vanille et noix de coco, tout en garantissant une formule qui aide à réduire les irritations “tout en vous permettant de vous sentir douce et propre. » On le répète : Sexe is not DIRRTY! « Les parfums étaient très à la mode dans les années 2000 » se souvient Chloé Laforest. « On achetait son lubrifiant goût fraise, ses préservatifs goût chocolat, on nous a fait croire qu’aromatiser nos parties intimes pouvaient rendre l’acte plus fun en étant synonyme d’un rapport sexuel réussi. Aujourd’hui, on se rend compte que le fait que ces produits soient souvent aromatisés est un vrai problème parce que oui, cela sous-entend que l’odeur naturelle ou le goût du vagin doit être masqué pour pouvoir plaire à son ou ses partenaires. Ces produits s’adressent principalement aux femmes et renvoie l’idée que le sexe féminin ne sent pas bon et doit être parfumé. C’est faux, c’est sexiste et culpabilisant. » Bien qu’étant contre la mise en vente de ces produits, Pauline Rochette y voit tout de même une réalité qu’il faut aussi prendre en compte : « En soi la démarche de Christina Aguilera ou Kourtney Kardashian est tout de même intéressante. Cela fait des décennies que notre société capitaliste profite de l’injonction faite aux femmes de devoir être belle, de s’occuper de leur corps et de leur apparence, on ne peut donc pas s’étonner que des femmes saisissent cette opportunité pour s’enrichir plutôt que de laisser la place aux hommes afin qu’ils en profitent à leur place. Puisqu’on utilise le corps des femmes, autant que ce soit ces dernières qui en tirent le bénéfice, quitte à faire partie du problème. Dans une époque où une femme se doit forcément d’être féministe, est-ce qu’elle ne peut pas tout simplement vouloir juste se faire de l’argent ? » Qu’elles en profitent, puisqu’il paraît qu’il n’a pas d’odeur.

Lemme X Kourtney Kardashian