TOP À PAN EN MOUSSELINE DE SOIE IMPRIMÉE À BOUTONS BIJOUX,
MAILLOT DE BAIN DEUX PIÈCES EN JERSEY IMPRIMÉ,
BOUCLE D’OREILLE, COLLIER ET BRACELETS EN MÉTAL ET STRASS,
COLLIER EN MÉTAL, RÉSINE ET STRASS, COLLIER EN MÉTAL ET RÉSINE,
BRACELET EN MÉTAL, VERRE ET STRASS CHANEL.

Depuis son césar du meilleur espoir féminin pour son rôle dans “Papicha”, la comédienne se fraye un chemin singulier dans le cinéma. Projet après projet, elle déjoue le piège bien français des étiquettes en alternant films d’auteur et superproductions.

Ça tient à quoi, le charisme ? Ça se mesure comment ? On n’en sait rien, mais Lyna Khoudri pourrait être une unité de mesure intéressante. Même si, en interview, l’actrice fait preuve d’une humilité extrême, à l’écran, avec sa voix légèrement voilée et sa façon bien à elle d’injecter dans ses rôles autant de force que de fragilité, elle arrache tout. À 31 ans, la comédienne est au sommet de son art. On l’avait d’abord remarquée dans “Les Sauvages”, la série de Rebecca Zlotowski, avant de la découvrir vraiment dans “Papicha”, le premier film de Mounia Meddour où elle incarnait une jeune étudiante déterminée à devenir styliste dans l’Algérie de la décennie noire. Un rôle pour lequel elle a remporté un réjouissant César du meilleur espoir féminin. Depuis, c’est le tournis. Elle enchaîne trois films par an. Passe avec grâce du cinéma d’auteur à des blockbusters français comme “Novembre” de Cédric Jimenez ou la saga des “Trois Mousquetaires” de Martin Bourboulon, d’une série Apple (dont elle “ne peut pas trop parler”) au plateau choral de “The French Dispatch” de Wes Anderson. Autre ambiance, elle sera bientôt à l’affiche de L’Empire, la nouvelle comédie déjantée de Bruno Dumont. Le tournis, on vous dit. Sans compter la photographe Alice ­Moitié qui, pour l’édito mode accompagnant cette interview, n’a pas laissé de répit à Lyna en lui demandant d’incarner et d’interpréter pour chaque image des professions qu’on croise habituellement sur les plateaux photo : mannequin, styliste, maquilleuse, photographe… Une sorte de mise en abyme qui montre une fois de plus la versatilité et l’investissement de Lyna Khoudri, même pour les plus petits rôles. Quand on veut saluer la sincérité d’une actrice, on dit souvent qu’elle “n’a pas oublié d’où elle vient”. Mais dans le cas de Lyna Khoudri, qui est née à Alger puis a grandi à Aubervilliers, c’est une vérité chevillée au cœur.

VESTE EN JERSEY DE COTON PAILLETÉ, COLLIER EN MÉTAL ET STRASS CHANEL, BOUCLE D’OREILLE “ETERNAL N° 5” EN OR BLANC 18 CARATS ET DIAMANTS, MANCHETTE D’OREILLE “COCO CRUSH” EN OR JAUNE, OR BLANC 18 CARATS ET DIAMANTS CHANEL JOAILLERIE.

MIXTE. En dix ans, vous avez réussi à vous créer une belle carrière de passe-muraille, zappant du cinéma d’auteur à des longs-métrages plus populaires comme Novembre ou Les Trois Mousquetaires…
LYNA KHOUDRI.
Parce que j’adore ça ! Quand je fais un film, je m’adresse au peuple, pas à une élite ! J’ai grandi dans une famille d’intellectuel·le·s qui réfléchissent, qui lisent. Mais il y a aussi l’autre Lyna, celle qui a bouffé du Harry Potter, du Sex and the City et du Fast and Furious, avec sa bande de potes à Aubervilliers. C’est aussi ça, l’objet cinéma. On en parle beaucoup avec Martin Bourboulon (réalisateur de la saga Les Trois Mousquetaires, ndlr). On a envie de faire de la qualité pour le grand public. Parfois, je sens que le cinéma d’auteur impose des barrières. Et je déteste ça. J’aime l’idée que je puisse mêler les publics et les genres. Et aussi donner envie à quelqu’un qui m’aura vue dans Les Trois Mousquetaires de découvrir un film comme La Place d’une autre. Moi, je veux pouvoir entrer partout. Et puis je ne veux pas faire que du cinéma dans ma vie ! J’ai plein d’autres trucs à vivre.

M. Jeune femme refusant la terreur dans Papicha, sœur de Malik Oussekine dans Nos Frangins, zadiste dans Zone à défendre… Il y a souvent une dimension politique dans vos rôles. On a du mal à croire que ce soit un hasard…
L. K.
J’ai souvent répété que, pour moi, toute forme d’art est politique. Mais je me suis promis d’arrêter, parce qu’à chaque fois ça finit toujours en titre de mes interviews (rires). Pour être honnête, cela fait longtemps que je ne sais plus quoi penser de la politique. Je ne vote même pas. Alors ça m’amuse qu’on me colle cette étiquette. Le milieu associatif, ça oui, je connais. Pendant des années, j’ai travaillé dans des assos avec lesquelles je suis encore très liée. Je sais qu’il y a chez moi un énorme appétit de justice, une envie de rééquilibrer les choses. Être comédienne, ça engage. Il faut avoir une éthique, un sens des responsabilités. Et je veux laisser une trace chez les gens.

PULL À CAPUCHE ET SHORT EN CACHEMIRE, COLLANT EN COTON, POLYAMIDE ET ÉLASTHANNE, BABIES EN TISSU, BOUCLE D’OREILLE ET BRACELET EN MÉTAL ET STRASS, BARRETTE EN MÉTAL ET RÉSINE CHANEL.

M. Quand le métier d’actrice est-il devenu une évidence pour vous ?
L. K.
Quand j’ai arrêté d’être animatrice en MJC. Je tournais en rond. J’avais un bac théâtre-histoire de l’art et j’ai décidé de reprendre mes études. Au départ, je voulais faire l’École du Louvre, travailler dans les musées… Bref, un métier en lien avec la culture, mais je ne savais pas encore que je voulais faire du cinéma. C’est lorsque je suis montée sur scène pour la première fois, à la fac, que c’est devenu une évidence. J’ai senti monter en moi un truc incroyablement jouissif, un plaisir que je n’avais encore jamais ressenti. J’ai baissé les masques.

M. Tu étais du genre à masquer ?
L. K.
Énormément. Avec tout un tas de masques sociaux : celui qu’on affiche en famille, celui avec les ami·e·s… Je viens d’une culture où le regard des autres est très important, et ça m’encombrait. C’est sur scène que j’ai trouvé ma liberté. Ça m’a transformée.

M. Quand on rentre à la maison et qu’on dit à ses parents : “Je veux être actrice”, ça passe crème ?
L. K.
Pas du tout (rires) ! Ce travail leur faisait peur. Toujours, d’ailleurs. Mes parents ont eu beaucoup de désillusions. Quand ils sont arrivé·e·s en France, ça a été compliqué pour elle·lui d’exercer leur métier. En Algérie, mon père était journaliste, ma mère professeure de violon. Mon père a pu se débrouiller, mais on exigeait de ma mère qu’elle passe tout un tas d’équivalences pour pouvoir exercer ici. Ça a été très difficile pour elle d’accepter qu’aux yeux de la France, son savoir ne valait rien. Elle qui enseignait la musique, une langue universelle. Ça l’a rendue très malheureuse. Quand je lui ai dit que je voulais être actrice, une part d’elle s’est dit : “T’as rien compris, en fait ? Tu n’as tiré aucune leçon de ce qui m’est arrivé ?”. Elle aurait voulu que je sois dentiste, médecin ou avocate. Un truc carré. Mon père, lui, me faisait davantage confiance. Mais j’ai eu la chance que le succès arrive vite. Ça m’a permis de leur fermer leur gueule (rires).

M. Ils ont un peu contribué à votre cinéphilie ?
L. K.
Au début. Mon père était passionné de cinéma égyptien, russe… Il m’a fait découvrir les films d’Asghar Farhadi, Abdellatif Kechiche ou Rachid Bouchareb. Il aime le cinéma politique. Et Cannes ! Il a eu l’occasion de couvrir le festival quand il travaillait pour la télévision en Algérie. Grâce à lui, j’ai appris que la seule Palme d’or africaine était un film algérien, Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-­Hamina (1975).

VESTE ET BERMUDA EN TWEED DE COTON FANTAISIE À BOUTONS BIJOUX, ESCARPINS EN SATIN ET CUIR VERNI, COLLIER À LUNETTES EN MÉTAL ET STRASS CHANEL, MANCHETTE D’OREILLE “COCO CRUSH” EN OR JAUNE, OR BLANC 18 CARATS ET DIAMANTS CHANEL JOAILLERIE.

M. On ne veut pas vous entraîner sur le terrain politique, mais que pensez-vous de la loi immigration qui vient d’être votée en France ?
L. K. C’est très inquiétant. On n’imagine pas les conséquences que ça peut avoir sur la vie des gens. Avec une loi pareille, je n’aurais probablement pas été française. Ma mère et mon frère non plus. Tout comme 80 % de mon entourage. C’est le seul constat que j’en tire. Mais si c’est ça qu’on veut pour ce pays, d’accord…

M. Il y a un autre sujet politique inévitable en ce moment, c’est celui de la sécurité des actrices sur les tournages. Quelle est votre expérience ?
L. K. Je suis solidaire de toutes mes collègues qui ont dénoncé ces comportements. Je ne me suis jamais retrouvée dans ces situations. Je mesure ma chance. Ma génération est peut-être plus protégée. Désormais, il y a des coordinateurs d’intimité sur les plateaux, des dispositifs mis en place par les prods. On bénéficie de tout ce que nos aînées ont réussi à arracher. Mais j’ai l’impression qu’on entend surtout parler d’histoires anciennes. De comportements de vieux acteurs ou réalisateurs.

M. Tourner dans The French Dispatch de Wes Anderson, ça dessine des lignes de fuite vers le cinéma US ?
L. K. Je dis toujours que ça ne m’intéresse pas plus que ça, mais j’ai peur qu’ils se vexent (rires) ! J’adore le cinéma d’auteur américain, mais je n’ai pas ce truc du rêve américain. Peut-être parce que je viens déjà de loin et que j’ai l’impression de n’être que de passage dans ce milieu. Je n’ai pas du tout la même histoire qu’un acteur comme Saïd Taghmaoui qui, après La Haine, a dû partir parce qu’en France il n’était pas accepté et subissait le racisme. J’admire sa décision. Tout quitter pour tout recommencer ailleurs, je n’en aurais pas eu la force.

M. Le thème de notre numéro est l’escapisme. Que vous évoque cette notion ?
L. K. Le métier d’acteur·rice est évidemment une façon de s’échapper à soi-même. C’est comme ça que je tiens dans ce monde. Parce que j’ai mille vies. Sinon, ce serait trop nul.

M. C’est vrai ! L’édito mode qui accompagne cette interview en est la preuve. Là, c’était fun et rapide mais est-ce qu’il y a des rôles dont on se débarrasse moins facilement que d’autres ?
L. K. Je pense que le personnage de Nejma que j’incarne dans Papicha restera en moi toute ma vie. Ça ne veut pas dire qu’on oublie les autres, mais certains rôles vous emmènent plus loin. Mon rôle dans Zone à défendre m’a poussée dans des retranchements que je ne connaissais pas chez moi. Et je ne savais pas grand-chose sur les ZAD. Dans la perspective de ce rôle, j’ai rencontré des militant·e·s avec qui j’ai eu de vraies relations. Certain·e·s sont devenu·e·s mes ami·e·s.

VESTE EN GUIPURE DE COTON PAILLETÉE, TOP EN TULLE, BARRETTE EN MÉTAL ET RÉSINE, BOUCLES D’OREILLES EN MÉTAL, RÉSINE ET STRASS, COLLIER EN MÉTAL ET STRASS CHANEL

M. Pour préparer votre personnage d’orthophoniste dans Hors normes, vous aviez aussi passé une semaine dans un service de la Pitié-Salpêtrière. En France, c’est une démarche encore assez rare chez les acteur·rice·s.
L. K.
C’est vrai. Pour Houria, c’est ­Mounia Maddour et moi qui avions imposé un an de préparation pour que je sois crédible en tant que danseuse. On est allées voir Marie-Claude Pietragalla qui nous a dit : “Les filles, monter sur pointes, c’est un an de travail minimum.” J’ai répondu “OK, on va prendre un an.” Se mettre à la place de l’autre, le.la comprendre, c’est quelque chose que j’essaye d’intégrer le plus possible dans mon parcours. Je crois profondément que ce qui se rapproche le plus du métier de comédien·ne, c’est celui de psy. J’ai besoin d’entrer dans le cerveau de mon personnage. Mon rêve, c’est d’avoir une carrière à la Daniel Day Lewis. Faire un film tous les quatre ans et à chaque fois, repartir avec un Oscar (rires).

M. Vous avez tourné deux films de la réalisatrice Mounia Meddour, avec qui vous avez développé une relation très forte. Elle peut tout vous demander ?
L. K.
Exactement. Et elle le sait. Quoi qu’elle me demande, je serais obligée de lui dire oui ! On a une vraie relation de sœurs. Mounia me met dans les conditions optimales pour donner le meilleur de moi-même. Elle me voit. On partage le même regard et on a traversé les mêmes choses. C’est très perturbant, d’ailleurs. On vient du même endroit. Mounia est née à ­Moscou, mais elle a vécu en Algérie. Elle aussi est partie pendant le terrorisme. Nos pères se connaissaient et ils ont tous les deux été menacés de mort. Malgré notre différence d’âge, on a les mêmes visions, les mêmes horizons, les mêmes images en tête.

M. Vous aimeriez être sa Jean-Pierre Léaud ? Une constante dans son cinéma ?
L. K.
C’est ce que j’essaie de lui vendre ! Je lui dis “Regarde, Wes Anderson, il prend toujours les mêmes acteur·rice·s…” (rires) Mais Mounia est heureuse pour moi. Elle n’est pas possessive. Au contraire, elle est fière de moi. Elle vient voir mes films et me dit “ça c’est bien, ça moins” ou “Pourquoi t’as pris cette voix ?” (rires) Avec les autres actrices, j’essaie aussi d’instaurer ce rapport. Je sais qu’il peut y avoir de la jalousie dans ce métier et que le mot “sororité” peut paraître parfois galvaudé, mais je suis proactive sur ce sujet. J’ai créé un groupe WhatsApp avec d’autres actrices, que j’ai baptisé “Les Reines”.

CAPE À CAPUCHE EN TWEED FANTAISIE À BOUTONS BIJOUX, MAILLOT DE BAIN EN JERSEY, BOUCLES D’OREILLES EN MÉTAL ET RÉSINE, BRACELETS ET BAGUE EN MÉTAL ET STRASS, SAC EN CUIR ET MÉTAL CHANEL.

“L’Empire” de Bruno Dumont, en salles le 21 février 2024. “Zone à défendre” de Romain Cogitore, disponible sur Disney+.

PHOTOS : ALICE MOITIÉ. RÉALISATION : JOANA DACHEVILLE. COIFFURE : ALEXANDRINE PIEL. MAQUILLAGE : YAZID MALLEK. MANUCURE : BRENDA ABRIAL @ WISE & TALENTED. ASSISTANT PHOTOGRAPHE : VIRGILE BIECHY. ASSISTANT STYLISTE : LÉO ROUAULT.

Cet article est originellement paru dans notre numéro Spring-Summer 2024 ESCAPISM (sorti le 1er mars 2024).