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Remarqué dans “L’Amour ouf” de Gilles Lellouche, le jeune Malik Frikah, nommé pour le César de la meilleure révélation masculine 2025, semble déjà s’inscrire dans l’intemporalité du cinéma français.

C’est une vieille histoire que le cinéma français connaît bien : celle de la jeune révélation qui apparaît comme une comète dans le ciel, en une déflagration de naturel et de fougue, généralement récompensée d’un César et suivie d’une entrée fracassante dans un vedettariat où il n’est pas de plus haute vertu que la puissance organique et l’incarnation de la jeunesse. On l’a ou on ne l’a pas. Malik Frikah, comme avant lui Jean-Paul Belmondo, Sandrine Bonnaire, Romain Duris ou Adèle Exarchopoulos, l’a. Parfait inconnu avant sa révélation dans “L’Amour ouf”, amplifiée par le triomphe public du film, l’acteur a pratiquement volé la vedette aux innombrables stars à l’affiche de ce film hors norme, en imprimant au personnage tourmenté du jeune Clotaire une fragilité et une violence inouïes. Mixte est revenu avec lui sur un itinéraire d’enfant terrible à la détermination dévastatrice, passé par un titre de champion du monde de breakdance à 10 ans, un arrêt de l’école à treize. À 18 ans, il a déjà écrit un livre (pour lui, sans souhaiter le publier) et un court-métrage qu’il compte prochainement mettre en scène. Mixte a rencontré cet interprète viscéral, pure volonté en marche. Et ça rend humble.

Mixte. Tu sembles avoir eu une enfance et une adolescence trépidantes. Quel genre d’enfant étais-tu ?
Malik Frikah.
J’étais un enfant plein d’énergie. J’ai démarré la danse à l’âge de 3 ans. À dix, j’ai été champion du monde. Toutes ces années, je me suis beaucoup entraîné. À 13 ans, j’ai découvert l’expérience de tournage en tant que figurant, et j’ai arrêté la danse et l’école pour me lancer dans le cinéma. Avec ma mère, on a essayé de se donner les moyens et on a passé énormément de castings ensemble.

M. Pourquoi cette décision ?
M. F.
Par passion. Au départ, je pensais que c’était la danse, ma vraie passion. J’en fais encore à côté pour le plaisir. Mais c’est quand j’ai découvert le jeu que j’ai trouvé ma place. Maintenant, je vais tout faire pour continuer. C’était mon unique but pendant toutes ces années.

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M. L’école n’a jamais été ton truc ?
M. F. On va dire que c’est un univers qui n’est pas vraiment adapté à ma personnalité. Quand on vient de la campagne, très loin du domaine artistique, on n’est pas soutenu par les adultes, surtout pas les professeur·e·s qui peuvent rabaisser des élèves qui, comme moi, ne sont pas scolaires.

M. Et tes parents, ils t’ont soutenu ?
M. F. Mon père, pas tout de suite. C’est logique, aussi, quand un enfant de 13 ans annonce qu’il veut arrêter les cours ! Mais ma mère, elle, m’a tout de suite soutenu parce qu’elle a une confiance tellement énorme en moi. Elle m’a juste demandé si j’étais sûr de moi. Je lui ai dit oui. Elle m’a dit “alors on va le faire”.

M. Aujourd’hui, avec le carton de “L’Amour ouf”, on te demande d’incarner une certaine idée de la fougue de la jeunesse, chère au cinéma français. Est-ce que c’est une pression, de sentir qu’on doit représenter ça ?
M. F.
C’est le travail d’acteur. Peu importe que ma personnalité soit proche ou à l’extrême opposé. Le but, c’est justement de pouvoir aller chercher des sentiments pour défendre une vision du personnage. Clotaire (son personnage dans “L’Amour ouf”, ndlr), c’était un adolescent rebelle, mal dans sa peau, contrairement à ce qu’on peut penser, qui a vécu une déchirure et qui a une haine viscérale de l’injustice sociale. C’est une chose que je peux avoir en commun avec lui. Mais s’il y a un prochain film où je dois aller chercher l’opposé de ce personnage, j’irai aussi.

M. Au-delà de ce qu’on projette sur toi, es-tu habité par l’idée d’être jeune, ou est-ce qu’il y a une partie de toi qui ne s’y reconnaît pas ? As-tu une “vieille âme” ?
M. F.
C’est un mélange. À 10 ans, je faisais des compétitions de break entouré d’adultes. J’ai plutôt l’habitude d’un entourage de personnes plus âgées, bien plus âgées même. Mais à côté, j’ai eu ma vie normale. Je ne me sens ni trop jeune, ni trop vieux. Je ne suis pas forcément à l’aise pour m’exprimer sur ces questions de place, de statut, de jeunesse, de vieillesse. Moi, je veux juste jouer. C’est dans les personnages que je vais trouver une réponse à la question que tu me poses.

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M. Quel rapport as-tu avec François Civil ? Est-ce un grand frère ?
M. F. On s’est retrouvés à devoir partager un personnage. Même lui le disait, c’est quelque chose d’assez rare, d’assez intime aussi. François a été là pour moi avec une bienveillance extrême, et je sais qu’il sera toujours là. C’est quelqu’un qui donne envie de se pousser à essayer de devenir encore meilleur.

M. Avez-vous pu préparer le personnage ensemble ?
M. F. Il n’y a pas eu de répétitions en commun ou de choses comme ça. J’ai joué en partant de ma propre inspiration par rapport au personnage. Je ne voulais pas m’appuyer sur ce qui allait se passer dans le futur. De son côté, c’est différent. On a passé deux semaines ensemble à Marseille lors des répétitions pour la danse avec le collectif La Horde. François a alors eu un œil sur moi, sur certains gestes. Mais il y a une fissure tellement énorme à la moitié du film que ça permet d’exploiter deux personnages différents.

M. Et Gilles Lellouche, le considères-tu comme une figure paternelle ?
M. F. Il a été le premier à me faire confiance, le premier à me donner ma chance. Avant, j’avais eu de petites expériences, mais rien de comparable. Quand je suis arrivé sur ce casting, on était un nombre incalculable. Pourtant, je pensais ne faire que cinq jours de tournage à la base. Par bienveillance, la directrice de casting (Elsa Pharaon, ndlr) avait laissé entendre que c’était un personnage assez secondaire, que c’était pour des scènes de flashback. L’annonce disait : “Cherche adolescents et adolescentes de fort caractère”, avec un cœur au milieu de l’affiche. C’est tout. Au bout de six mois de casting, on commence à se dire que c’est peut-être plus important qu’on le pense, parce que le processus est rude pour un rôle secondaire. Et Gilles, donc, au bout de ce chemin, m’a fait confiance comme personne. Quand on réalise un film à 40 millions et qu’on met la moitié sur quelqu’un qui vient de nulle part et n’a presque jamais tourné… Ça m’émeut encore aujourd’hui de savoir qu’il a pris ce risque parce qu’il croyait en moi.

M. Tu écumais les castings depuis longtemps ?
M. F.
Oui, j’ai fait deux, trois ans de castings. Et ce n’était que des téléfilms. Mais ce casting-là était différent, rien qu’au niveau des “self-tapes” : on nous envoie une scène et on nous demande de la faire en vidéo avant de nous faire venir. Il n’y avait pas de scène de jeu, on devait juste répondre à des questions, et à la fin il fallait choisir une musique, faire ce qu’on voulait dessus. Je me suis filmé dehors, en train de hurler sous la pluie sur un remix de Bach, je trouvais ça assez original. Mais oui, j’ai eu le sentiment de galérer. Après, évidemment, j’ai rencontré d’autres acteur·rice·s qui galèrent depuis dix ans et qui aujourd’hui encore passent chaque semaine des castings, sans résultat. Et pourtant, ce sont des gens talentueux.

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M. Comment gères-tu la rivalité inhérente à ce métier ? Es-tu plutôt du genre solidaire ou individualiste ?
M. F.
J’ai grandi dans le break, c’est de la compétition pure, surtout que j’étais en solo aux championnats du monde. Mais c’est une compétition qui dit vraiment son nom, alors que dans l’acting, il n’y a pas officiellement de champion du monde. Je suis d’un naturel très déterminé, très compétiteur et quand on entre dans le cinéma, on comprend qu’il faut mettre ça de côté. On se donne la réplique tou·te·s ensemble. Le but est de trouver un plaisir et une réussite collectif·ve·s.

M. Es-tu sensible à l’idée d’appartenir à une génération ? Ressens-tu quelque chose qui te relie aux gens du même âge que toi ?
M. F.
Je suis assez vieille école, je n’aime pas les réseaux sociaux, je ne suis pas téléphone portable. Pourtant je ne dirais pas que ça m’a isolé ou marginalisé par rapport à des gens de ma génération. Mes potes ont des réseaux sociaux, il n’y a pas de souci, pas de pression. J’aurais pu naître à n’importe quelle époque, je pense que j’aurais avant tout été porté par ce désir de jouer.

M. Comment t’imagines-tu vieillir ?
M. F.
Comment je le rêve, ou comment je le redoute ? J’aimerais bien réaliser. J’ai terminé d’écrire un court-métrage que je voudrais faire maintenant. J’ai envie de voyager, de rencontrer des peuples. Je ne veux pas vieillir l’esprit fermé. Mais comme l’a dit IAM, demain c’est loin…

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M. C’est des réfs qui datent ça…
M. F.
J’aime beaucoup la musique. Je peux écouter IAM comme Gainsbourg, du jazz, du rock… Franchement, j’apprécie. Quand Gilles m’a fait découvrir “A Forest” de The Cure, ce son est entré très haut dans ma vie.

M. En cinéma aussi, tu apprécies les années 1980 et 1990 ?
M. F.
Mes films de chevet, c’est “La Haine”, “Trainspotting”, “Basketball Diaries”, “Quand Harry rencontre Sally”… Oui, c’est une période que j’aime bien.

M. Le thème de notre numéro est “We will always be those kids”. Que penses-tu avoir gardé de ton âme d’enfant ?
M. F.
La détermination. Et le jeu.

M. L’enfance peut être perçue comme régressive, mais aussi comme un refuge. De quoi a-t-on besoin de se protéger selon toi aujourd’hui ?
M. F.
On est naturellement protégé quand on est bien entouré. Je crois qu’il faut savoir se sentir vulnérable pour pouvoir interpréter. Sinon on s’enferme. Je suis aussi quelqu’un de très sensible et je pense que c’est hyper important de savoir se connecter à sa fragilité.

PHOTOS : ARTHUR DELLOYE. STYLISME : KANNIKA CHHIT. MISE EN BEAUTÉ DIOR PAR LISA LEGRAND. ASSISTANT PHOTOGRAPHE : IGOR KNEVEZ. DIGITECH : LAURA DE LUCIA.

Cet article est originellement paru dans notre numéro Spring-Summer 2025 WE WILL ALWAYS BE THOSE KIDS (sorti le 25 février 2025).