T-SHIRT, MAILLOT DE BAIN
ET ESCARPINS MIU MIU.

Celle qui a crevé l’écran sous les traits de Loana dans la série “Culte” s’apprête à conquérir le cinéma français. Rencontre avec une actrice sensible et sensée.

Si son interprétation plus vraie que nature de Loana dans la série Culte lui a permis de se faire connaître d’un plus large public, certain·e·s l’avaient déjà remarquée dans la série policière ­Laëtitia ou dans le thriller espagnol 
As Bestas, aux côtés de Denis Ménochet et Marina Foïs. Marie Colomb a toujours ces grands yeux verts qui transpercent avec innocence. Celle qui a grandi dans le Sud-Ouest avec l’envie de faire du théâtre, débarque à Paris à l’âge de 19 ans, portée par la certitude qu’il va falloir “se défendre avec un peu plus de munitions qu’un homme” dans cette ville et ce milieu qu’elle ne connaît pas. Depuis, elle a tourné dans des clips, des films d’auteur·rice·s ou des séries grand public et s’apprête (enfin) avec enthousiasme à jouer dans une comédie de Patrick Cassir avec Hakim Jemili, Noémie Lvovsky et Denis Podalydès. De ses premiers jeux d’enfant à ses émois de jeune adulte, Marie Colomb n’a eu de cesse de chérir son enfant intérieur et de cultiver une vision des autres et de son métier empreinte d’empathie.

Mixte. Te souviens-tu de la toute première occasion où, enfant, tu as senti que tu jouais la comédie ?
Marie Colomb.
Je me souviens qu’à l’école, il y avait une étendue de terre et qu’avec cette terre, on fabriquait des petits murets, des maisons, et on s’inventait des familles.

M. Tu avais six ans en 2001, l’année de la sortie de Loft Story, et il paraît que tu jouais à Loana dans la cour de récréation. Est-ce qu’il y a d’autres personnages que tu aimais imiter ?
M. C.
C’est une amie qui m’a rappelé ça ! Je ne m’en souvenais pas. Au collège, un peu plus tard, j’étais fan de ­Twilight, j’adorais Kristen Stewart et sans trop m’en rendre compte (tout en ayant bien conscience de ça), je prenais les mêmes mimiques qu’elle. Elle a une allure très forte, une manière d’être très à elle.

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M. Le rôle qui t’a fait connaître du grand public est celui d’une participante de téléréalité. Mais à la base, tu as plutôt une formation de théâtre ?
M. C.
Oui, j’ai fait du théâtre toute mon enfance et mon adolescence, et l’idée était bien de devenir comédienne. C’était mon premier amour. Pour moi, le cinéma c’était un peu de la triche. Jusqu’à ce que je rencontre le réalisateur Romain Winkler. À 18 ans, un peu par hasard, j’ai participé à mon premier tournage, un clip du groupe Odezenne. J’ai découvert l’univers du plateau et le travail en équipe. J’ai adoré l’ambiance, cette petite fourmilière où on a tou·te·s notre place pour le même but.

M. Quelles sont les références de cinéma qui ont marqué ta jeunesse ?
M. C.  Je dirais Mrs Doubtfire, ne serait-ce que pour la prouesse d’acteur de Robin Williams. Je me suis renseignée sur la création du film : toutes les scènes les plus dingues proviennent de propositions et d’improvisations de Robin Williams. Et puis j’ai toujours été fascinée par le rapport père-enfants. Je suis d’ailleurs une auditrice assidue du podcast “Histoires de darons” de Fabrice Florent, qui invite des pères à parler de leur paternité.

M. Es-tu es aussi une consommatrice de téléréalité ? Quelle place occupe-t-elle dans ta vie ?
M. C. Chez moi, quand j’étais jeune, c’était vraiment la culture de la télé. Elle était souvent allumée, donc j’ai grandi avec. Je pense que ça m’a inculqué un schéma de construction particulier, assez sexiste. Je me rends compte que depuis quelques années, comme plein de gens, je déconstruis énormément de choses. Certaines images qui ressortent des téléréalités de l’époque ne me choquaient pas plus que ça alors qu’aujourd’hui, elles me révoltent.

M. Que connaissais-tu de Loana avant de l’interpréter ?
M. C.  Un peu comme tout le monde, j’avais une sorte de fascination pour elle. Elle était un peu le “cas zéro” de la téléréalité dans le sens où, après sa participation à Loft Story, beaucoup d’autres émissions ont cherché leur L­oana. Je savais qu’elle était très critiquée et j’avais déjà beaucoup d’empathie pour elle. J’étais dérangée par la manière dont on parlait d’elle parce que je la trouvais hyper intelligente.

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M.  Outre l’image de bimbo, Loana a été le symbole de la femme-enfant ayant brisé certains tabous sur la santé mentale. Est-ce un sujet qui te parle ?
M. C.
Quand tu as eu des traumatismes d’enfance, ce qui est son cas et celui de plein de gens, au point que tu acceptes de montrer ta vulnérabilité… N’est-ce pas une force ?

M. Avant celui de Loana, tu as obtenu le rôle-titre pour la série Laëtitia, adaptée de l’enquête d’Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes (éd. Seuil). Tu y interprètes cette jeune femme disparue en 2011, un fait divers sordide devenu une affaire d’État, un peu à l’image du procès des viols de Mazan. Comment as-tu suivi cette histoire-là ?
M. C.
Je n’ai pas pu m’empêcher de suivre et de lire. C’est très troublant. Je le savais déjà, mais ce truc nous explose vraiment au visage : il n’y a pas de profil type du violeur. Gisèle Pélicot a passé des dizaines d’années avec un homme en qui elle avait entièrement confiance et ça nous fait réaliser la complexité de l’humain. Cette affaire m’a bouleversée, mais aussi rendue plus forte.

M. Un peu comme les élans de sororité que ce procès a déclenchés…
M. C.
Il y a un peu plus d’un an, j’ai rejoint l’ADA (Association des acteur·rice·s, ndlr), qui compte une soixantaine de membres. On se rassemble une fois par mois, déjà parce qu’à moins de travailler ensemble, on a assez peu d’occasions de se rencontrer, ensuite parce que même si on a souvent été mises en compétition, c’est une génération super chouette où tout n’est pas basé sur la rivalité. On a un groupe WhatsApp pour se donner des conseils, autant sur les contrats que sur les coordinateur·rice·s d’intimité.

Chacune de nous vit des moments pas toujours très agréables et le fait de nous rassembler nous permet de sentir qu’on vit la même chose, de nous sentir plus fortes, de parler de la manière dont on pourrait faire avancer la cause. Et puis, on défend très fortement l’idée qu’être acteur ou actrice c’est un métier, et que les actrices ne doivent plus être considérées comme des muses ou des créatures.

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M. Grâce à des figures comme Judith Godrèche et plus récemment Sarah Forestier, la parole sur les violences faites aux femmes dans le cinéma français se fait enfin entendre. Pourtant, le mouvement #Metoo a retenti dès 2017 dans le cinéma américain. Pourquoi en France, aborder ces sujets semble plus compliqué ?
M. C.
Parce que c’est super dur et il y a encore beaucoup de paroles qui n’arrivent pas à se libérer. Si tu parles, même si tu es entendue, tu vas très vite être catégorisée, d’autant plus quand tu es une actrice peu connue. C’est ça qui est compliqué : les gens qui agressent, abusent de leur pouvoir et se font dépasser par leurs pulsions noires, le savent très bien.

M. La place des femmes et le regard masculin que l’on porte sur elles, c’est aussi un sujet central dans le cinéma. Comment vois-tu les choses évoluer aujourd’hui ?
M. C.
J’ai l’impression qu’il y a quand même des rôles un peu plus intéressants, pour les femmes plus âgées notamment. De beaux premiers rôles qui ne sont pas juste des mères, des grands-mères ou des putains. Mais bon, le risque que l’on revienne en arrière existe toujours, parce qu’il y a des résistances très fortes. Par exemple, Judith Godrèche reste très décriée. Je suis tellement reconnaissante envers elle et d’autres femmes, comme Andréa ­Bescond, qui ont mis en péril leur carrière. Grâce à elles, mais aussi aux hommes qui se déconstruisent, les choses évoluent un peu et je me sens commencer ma petite carrière dans de meilleures conditions, plus en sécurité et plus respectée. Même si certains clichés sur les actrices sont encore durs à faire péter.

M. Hormis le jeu, que penses-tu avoir gardé de ton âme d’enfant ?
M. C.
Mon empathie. Pour ma mère, c’est une valeur très importante. Elle nous répétait souvent “Ne fais pas aux autres ce que tu n’as pas envie qu’on te fasse”. Elle nous a vraiment transmis l’empathie, à mes frères et sœurs et à moi. Je me souviens de mon arrivée à Paris, je venais de la campagne et même si j’avais déjà vu des gens vivant dans la rue, je ne savais pas qu’en France, des enfants pouvaient dormir dehors. La première fois que j’en ai croisé, ça m’a bouleversée, j’ai fondu en larmes. J’étais avec un copain et il m’a dit “Tu verras, tu t’habitueras”. Ce jour-là, je me suis promis de ne jamais m’y habituer.

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M. L’enfance peut être perçue comme régressive, mais c’est aussi un refuge. Selon toi, de quoi a-t-on besoin de se protéger aujourd’hui ?
M. C.
Du monde un peu violent dans lequel on vit… Mais je ne trouve pas vraiment refuge dans l’enfance. C’est plutôt que j’essaie de protéger la petite fille qui est encore en moi.

M. Quel conseil voudrais-tu donner à ton “toi enfant” ? Qu’aimerais-tu que cette version de toi sache qui tu es aujourd’hui ?
M. C.
C’est marrant, ça me touche de parler de ça. J’aimerais qu’elle sache qu’elle fait de son mieux pour être quelqu’un de pas trop mal, pour s’en sortir dans la vie et qu’elle a le droit d’être aimée pour ce qu’elle est.

M. Il y a aussi une dimension rebelle dans l’âme d’enfant, une forme d’insolence qui fait fi des codes sociaux du monde des adultes. Quel geste aimerais-tu réhabiliter dans ton quotidien ?
M. C.
C’est vrai que j’observe parfois les enfants et ils ont une telle liberté, comme celle de pouvoir crier dans la rue. Pour eux·elles, ça passe alors que moi, si je me mettais à crier tout d’un coup dans la rue, je passerais pour folle. Je trouve que c’est quelque chose qu’on peut retrouver dans l’intimité, souvent dans le couple, quand tu te sens hyper bien avec quelqu’un. Parfois on voit d’ailleurs des couples qui se parlent comme s’ils étaient des enfants.

M. Si tu devais réaliser un projet ou un rêve d’enfant, quel serait-il ?
M. C.
 Acheter une maison pour ma maman, une femme qui a élevé seule quatre enfants, donc une combattante. Une maison de campagne pour qu’elle puisse y vivre mais aussi où on pourrait tou·te·s se rassembler avec ma fratrie. Et, peut-être un jour, pouvoir écrire ou réaliser un projet sur le thème des sœurs. J’en ai deux que j’aime énormément et je trouve que c’est un amour très particulier. Celle avec qui j’ai un an d’écart est le témoin de ma vie et je suis le témoin de la sienne. Mon amour pour elle est incommensurable.

PHOTOS : ANNA DAKI. STYLISME : TANIA RAT-PATRON. COIFFURE : MICHAEL BUI @ WSM. MAQUILLAGE : JENNIFER LE CORRE. ASSISTANT PHOTOGRAPHE : BASILE HAMELIN.

Cet article est originellement paru dans notre numéro Spring-Summer 2025 WE WILL ALWAYS BE THOSE KIDS (sorti le 25 février 2025).