Culotte en coton, Loewe. Sandales en cuir, Acne Studios. Boucles d’oreilles, Personnelles.

Des scènes de cabarets, où elle excelle, aux catwalks des designers dont elle est la muse (Pressiat, Weinsanto…), la danseuse Mimi fait de l’art de performer une arme pour émanciper les corps et démolir le male gaze.

Décembre 2021. Alors que la température avoisine zéro degré à Paris, le concept-store Elevastor, situé dans le Marais, qui accueille alors la dernière collection du jeune designer Vincent Pressiat, est en train de prendre feu. Derrière la vitrine, une liane tout en muscles et sensualité badass est en pleine performance. Abdos tracés, crinière rouge vif, regard ultra déter’, Mimi effectue un strip-tease, l’un de ses numéros préférés et aussi l’un des plus sexualisés. Pourtant, aucun des spectateurs n’est là pour se rincer l’œil. Son public, à 90 % queer, est venu admirer un “show” signé Mimi, connu pour être autant artistique que politique. Car avec ses fameuses performances signatures, elle cherche à questionner le rapport à la nudité et la sexualisation systématique du corps nu dans notre société. Des clubs de strip, où elle a passé des auditions à son arrivée à Paris, aux cabarets comme le Manko, où elle s’est fait connaître en tant que performeuse, Mimi a été confrontée plus ou moins violemment au fameux “male gaze”. Si elle a maintenant trouvé sa “meute” déconstruite parmi la jeune garde de designers français (coucou, Victor Weinsanto), ses élèves (à qui elle enseigne autant la technique de la danse heels – en talons – que l’affirmation de soi) et ses amis et anciens collègues performeur.euse.s du Manko (Julie Demont, Allanah Starr, Jean Biche et Marc Zaffuto aussi devenu son manager), Mimi n’a pas moins envie de s’affranchir des diktats d’une société patriarcale faussement prude. Pour Mixte, elle relate en cinq points comment la danse est devenue sa passion, son métier mais aussi sa meilleure alliée dans son combat féministe.

Culotte en coton, Loewe. Sandales en cuir, Acne Studios. Boucles d’oreilles, Personnelles.
1. Une histoire de sœurs

 

“Dans ma famille, on est cinq enfants. Ma sœur, Alicia, qui est l’aînée, est danseuse au Lido depuis vingt ans. J’allais la voir danser au cabaret quand j’avais 6 ans. J’ai tout de suite su que je voulais devenir danseuse moi aussi. Pendant mon enfance et mon adolescence, j’ai pris plein de cours de styles différents : classique, jazz, contemporain… Mais mes parents n’étaient pas très chauds pour que j’en fasse mon métier, car ils avaient vu ma sœur souffrir énormément dans le milieu de la danse. Je les ai donc écoutés et j’ai commencé des études de modélisme à Paris. En vérité, tout ce que j’aimais dans l’école de mode, c’était le défilé de fin d’année pour présenter les collections où j’allais pouvoir être démente sur le catwalk ! Je suis vite retournée à la danse, car je savais au fond de moi que c’était ça que je voulais faire et rien d’autre. Les ‘institutions’ du cabaret en France comme le Lido, ça n’a jamais été trop ma came. J’ai quand même passé l’audition pour intégrer le Crazy Horse. On m’a dit : ‘Tu es sublime, mais il faut que tu te fasses refaire le nez”. J’ai évidemment refusé, mais ça m’a énormément choquée qu’on puisse me recaler sur une caractéristique de mon physique. Avec le temps, ma pensée féministe s’est précisée et, aujourd’hui, ma critique de ce type de shows, que ces institutions produisent avec l’image de la femme qu’elles véhiculent, est bien trop radicale pour que j’y sois apparentée.”

 

2. #PassionStrip

 

“J’ai toujours été passionnée par le strip-tease. Toute petite déjà, la nudité m’intriguait et j’étais fascinée par le corps des femmes. C’est marrant d’ailleurs, parce que je regardais pas mal de pornos lesbiens, ce qui inquiétait beaucoup ma famille ! À 19 ans, j’ai passé une audition pour un club de strip-tease à Paris qui cherchait des danseuses pour faire de ‘l’effeuillage’. J’ai réussi l’audition et on m’a ensuite précisé que ce n’était pas vraiment de l’effeuillage… En réalité, il fallait être très proche des gens et réaliser au moins cinq lap dances privées pour gagner un salaire minimum de 65 euros par soir. À l’époque, je n’avais pas le choix, j’avais arrêté l’école de mode pour me consacrer à la danse, je n’avais pas de boulot, j’avais besoin de cet argent, j’ai donc accepté. Le premier et dernier soir que j’ai passé dans ce club, je me suis retrouvée à faire une lap dance devant un mec qui m’a dit des choses sales à l’oreille. Je suis partie en courant. Peu de temps après, un ami m’a fait découvrir le Manko (club et restaurant situé dans le 8e arrondissement de Paris, qui se changeait en cabaret le vendredi et le samedi soir sous la direction artistique de Marc Zaffuto, Manon Savary et Emmanuel d’Orazio, ndrl) et j’ai eu un coup de cœur pour cet endroit. J’y allais tous les week-ends avec des looks déments et je dansais avec toute mon énergie dans l’espoir que les directeurs artistiques me voient, et… ça a marché !”

Chemise en coton, Pull en laine, Mini-jupe en coton, Ceinture en cuir, Chaussettes en coton, MIU MIU. Sandales en cuir, Acne Studios. Boucles d’oreilles, Personnelles.
3. Trouver sa (queer) house

 

“Au Manko, je me suis dit : ‘Ça y est, j’ai trouvé mon endroit’. On m’a encouragée à être qui j’étais vraiment et on m’a donné les clés pour être la meilleure version de moi-même. J’étais entourée de gens incroyables : des drag-queens, des acrobates… C’est une femme trans, Allanah Starr, qui m’a appris à me maquiller, à mettre une perruque, mon costume, etc. J’avais 21 ans, ce qui est très jeune pour baigner dans un univers si libéré et sexualisé, mais c’est ce qui m’a permis de découvrir qui j’étais et d’apprendre l’art de performer. On m’a confié des personnages de femmes badass à incarner, comme Guesch Patti ou Barbara. Mon numéro préféré, c’était ‘Cannibal’. Il débutait sur le titre de Grace Jones qui dit : ‘I’m a man-eating machine’. J’étais en imper, assise sur une chaise en train de fumer une clope et ensuite boum, je jetais la clope et ça partait en strip sur ‘OPR’ de Gesaffelstein avec des lasers qui traversaient la salle du cabaret ! Je sentais le sol vibrer, tellement les gens tapaient des pieds. Il m’est arrivé, même là-bas, de subir des regards ou des gestes déplacés pendant que je performais. Un soir, un homme, bourré, m’a mis une claque hyper violente sur les fesses alors que je traversais la salle. J’étais en collant résille, t’imagines la douleur ! Je l’ai immédiatement signalé à la sécurité qui l’a dégagé. J’étais chez moi là-bas, c’était hors de question que je subisse des agressions sexuelles dans ma maison. Parce que tu es dénudée, les mecs s’octroient des droits, une permissivité. J’ai toujours dénoncé cela sans pour autant cesser de montrer mon corps ; car arrêter, ce serait leur donner raison.”

 

4. Collaborer avec les meilleur.e.s

 

“Au Manko, j’ai été repérée par Jean Paul Gaultier qui m’a castée pour le Fashion Freak Show (spectacle-revue retraçant l’histoire de la maison JPG joué entre 2018 et 2020 aux Folies Bergères à Paris puis à Moscou, ndlr). C’était une expérience très challengeante, car j’étais ‘swing’, ce qui signifie que je devais connaître tous les rôles des danseurs de la troupe car, à tout moment, je pouvais avoir à remplacer quelqu’un de différent. Parfois, il fallait que je joue des rôles de mecs, ce qui était super car c’est ce que je recherche aussi, incarner d’autres personnages sur scène que la fille badass et sexy. Cette expérience m’a donné accès à la marque JPG, avec laquelle je collabore toujours, et une visibilité pour plein de projets par la suite. Par exemple, en décembre dernier, j’ai accompagné l’artiste Fishbach pour son clip ‘Masque d’Or’. Je l’ai coachée pendant trois semaines pour travailler le côté ‘femme fatale’ qu’elle voulait faire ressortir et j’ai créé la chorégraphie. C’était super de suivre une femme qui n’est pas danseuse à la base et qui a travaillé d’arrache-pied pour incarner un personnage qu’elle voulait devenir. Avant cela, j’avais aussi réalisé, en tandem avec un autre danseur, Patric Kuo, la chorégraphie du clip de Jessie Ware ‘Hot N Heavy’. C’était un sacré challenge, car on tournait en plan séquence, soit 4 minutes de choré super-cardio en une seule prise !”

Robe en coton, Valentino. Chaussures à plateformes en cuir, Acne Studios. Boucles d’oreilles, Personnelles.
5. Trouver sa meute

 

“J’ai connu les créateurs de mode Vincent Pressiat et Victor Weinsanto (dont elle est l’une des muses et égéries, ndlr) au Manko. On a eu un coup de cœur réciproque, on était hyper inspirés les uns par les autres. Eux, de me voir performer sur scène et moi, de les voir arriver toujours avec des looks incroyables et avec cette attitude club kids, cette joie de vivre et cette lumière qu’ils ont. Ce que j’aime chez eux, c’est qu’ils questionnent le genre, leurs créations peuvent être portées par n’importe qui. Ils ont une conception de la mode qui dépasse les standards classiques. Lors du dernier défilé de Victor Weinsanto, par exemple, il y avait des drags, des femmes de plus de 50 ans… J’adore collaborer avec eux car on travaille vraiment “ensemble”. Certes, ils ont leurs vêtements à promouvoir et à vendre, mais je sens qu’ils veulent aussi me mettre en valeur. Dans leurs créations, on se sent comme un bijou dans un écrin. Au moment d’aller sur le catwalk, si je ne me sens pas à l’aise dans une tenue, je sais qu’on peut en discuter et se mettre d’accord sur autre chose. Le but, c’est juste d’être bien et de pouvoir performer au top. C’est rare une telle mentalité dans les maisons de mode et c’est un vrai kiff de pouvoir créer tout ça en famille.”

 

6. Danser un message politique

 

“Avec le temps, je remarque que ma revendication autour de la nudité s’est précisée. Avant, j’étais dans quelque chose de très juvénile, du style : “Je montre mon corps et je vous emmerde !” Le fait de m’être beaucoup intéressée au féminisme, d’avoir lu plein de livres, écouté des podcasts, être allée aux manifs, m’a fait conscientiser les problématiques liées aux dogmes de la société patriarcale. J’ai intellectualisé mon propos et j’ai aussi capté, que, mine de rien, le fait de donner des cours de danse à une trentaine d’élèves me donnait une certaine responsabilité. Je me devais d’avoir un message précis et sensé devant eux.elles. D’autant plus que, dans ma spécialité, le heels, il peut y avoir une connotation très sexiste. Mon propos, c’est que chacun.e de mes élèves aille chercher sa propre féminité, et non celle qui répond aux diktats du male gaze. J’ai commencé à comprendre que mon message avait un impact quand j’ai remarqué, par exemple, qu’à mes cours, venaient des filles qui se laissaient pousser les poils sous les bras. Ça peut paraître dérisoire, mais ça a une réelle signification. Je déteste les gens qui disent : ‘Je ne peux rien faire à mon petit niveau’. Si tout le monde pense comme ça, on n’arrivera évidemment jamais à rien. Pour moi, c’est important de porter un message, des luttes, même jusque dans un studio de danse. »

Cet article a été publié dans le numéro Spring/Summer 2022 de Mixte : Commitment.

Veste en coton à ornements, Schiaparelli. Chaussures à plateformes en cuir, Acne Studios. Boucles d’oreilles Personnelles.

PHOTOS : BOJANA TATARSKA
STYLISME : LARA CVIKLINSKI
GROOMING : CHRISTELLE LAROMANIÈRE
ASSISTANT LUMIÈRE : STAN REY-GRANGE
DIGITECH : BENOÎT SOUALLE / NEON CAPTURE