Coupe 7, 2018, aquarelle de Philippe Apeloig sur papier silberburg 110 g/m2, 297×420 mm.

Synonyme de provocation, de puissance, de fureur et de passion, la couleur écarlate, omniprésente dans les collections Fall-Winter 2023, nous prouve une bonne fois pour toutes qu’elle est l’incarnation ultime de l’audace.

Feux d’artifice, baby bump reveal et chorés on fleek, le concert de Rihanna à la mi-temps du Super Bowl a certes marqué l’histoire du show – il a réuni 113 millions de téléspectateur·rice·s, soit sa troisième meilleure audience – mais aussi celle de la mode. Son premier outfit, signé Loewe par Jonathan Anderson, est une combinaison de travail d’un rouge éclatant, ouverte sur un corset luisant et parée d’une étole-gants en cuir. Le second, un manteau Alaïa XXL, hommage à son ami disparu André Leon Talley, est d’un rouge tout aussi flamboyant et contraste avec les tenues immaculées des danseur.se.s. Un parti pris chromatique non sans signification puisqu’entre deux chorés, Rihanna annonce sa seconde grossesse en dévoilant son baby bump moulé dans un top vermillon. 

Rihanna lors du Super Bowl 2023.

Une façon pour la queen de capter l’attention au maximum et de rappeler son rang après sept ans d’absence sur scène. Car si le rouge est la couleur de la féminité, de la fertilité, du sang, de la vie, elle est aussi celle du culot et de l’assurance. Depuis sa création à la préhistoire, il véhicule de nombreux symboles, souvent contradictoires mais jamais dans la demi-mesure. De son côté, Pantone a désigné le Viva Magenta comme teinte de l’année 2023, soit un rouge carmin “audacieux, intrépide, affirmé sans être agressif, puissant et stimulant”. Bref, une couleur aussi agitée qu’ambivalente, à l’image de l’humeur ambiante qui oscille entre joie et frustration, colère et passion, crises politiques et militantisme acharné.

Attention et tension sexuelle

 

Pourquoi cumuler les accessoires absurdes (coucou, le lolcore) ou se promener à poil quand on peut simplement porter du rouge, une parade “m’as-tu vu” à l’efficacité prouvée. “C’est la couleur archétypale, la première que l’homme a maîtrisée, fabriquée, reproduite, déclinée en différentes nuances, d’abord en peinture, plus tard en teinture”, écrit Michel Pastoureau, historien spécialiste des couleurs et auteur de Rouge - Histoire d’une couleur. Si la petite robe noire est le vêtement de l’élégance par excellence, la “little red dress” est son penchant sulfureux. Dans Matrix, “la femme à la robe rouge” est même devenue un sujet d’étude. Alors qu’il découvre la Matrice, Neo marche à contre-courant d’une foule habillée en noir et se retourne sur une passante blonde en robe cramoisie sexy. Cette courte distraction lui coûte presque la vie, puisqu’il échappe de peu à un coup de feu. Le sex-appeal d’une femme habillée en rouge serait donc dangereux. Dans le genre cliché de la femme fatale, il y a aussi Cameron Diaz dans The Mask (1994) qui débarque à la banque au ralenti, les cheveux encore mouillés par la pluie et moulée dans une robe flamboyante fendue jusqu’aux cuisses. Elle est alors en mission pour un braquage planifié par son fiancé et est envoyée comme appât pour séduire l’innocent banquier Stanley Ipkiss, joué par Jim Carrey. Betty Boop, Jessica Rabbit ou encore les sirènes d’Alerte à Malibu dans une version plus californienne, la pin-up ou la bimbo est forcément habillée de rouge. Un stéréotype d’hypersexualisation qu’on laisse aux années 1990. En 2023, sur les podiums, restent hot mais tout en subtilité avec des jeux de transparence, tops en mesh et cut outs chez Courrèges et Gucci ou des drapés comme chez Bluemarine. Des outfits tout trouvés pour capter l’attention de son crush.

Symbole activiste et féministe

 

“Si vous êtes triste, mettez du rouge à lèvres et attaquez”, aurait dit Gabrielle Chanel à l’époque où les mouvements militants de femmes comme celui des suffragettes récupéraient cet apparat pour mieux occuper l’espace public. La légende veut qu’en 1912, Elizabeth Arden, pionnière de l’industrie cosmétique, ait distribué du rouge à lèvres aux suffragettes en signe de solidarité. Dans son essai Sur la bouche - Une histoire insolente du rouge à lèvres (éditions Premier Parallèle), Rebecca Benhamou le décrit ainsi : “Quels que soient les rôles qu’il endosse, dès lors qu’il est lancé dans l’espace public, il est simultanément un objet de consommation et de discours. Mi-parure, mi-porte-voix, il donne à voir mais aussi à entendre.” Un siècle plus tard, le rouge comme couleur d’émancipation et de rébellion se retrouve dans les rangs des manifs. Aux États-Unis, la blouse cramoisie de la série The Handmaid’s Tale est devenue l’uniforme du combat pro-IVG. Une façon de renverser la symbolique des costumes de la série dystopique de Netflix où les femmes sont réduites en esclavage pour devenir des machines à féconder. Cette dimension militante est aussi confirmée par l’expert Michel Pastoureau : “À partir de la Révolution française, le rouge prend une dimension idéologique et politique. C’est la couleur des forces progressistes ou subversives, puis des partis de gauche, rôle qu’il a conservé jusqu’à aujourd’hui.” Le gilet rouge, la it-pièce de la saison ?

The Handmaid’s Tale, saison 3, Hulu.
Puissance et power-dressing

 

Dès le xiie siècle, c’est la marque du prestige, celle des riches et des puissants. Michel Pastoureau affirme qu’elle reste “la plus riche du point de vue matériel, social, artistique, onirique et symbolique. Admiré des Grecs et des Romains, le rouge est dans l’Antiquité symbole de puissance, de richesse et de majesté.” Que ce soient les nobles, les cardinaux ou, à une certaine époque, le pape, ce coloris est “la référence de la notabilité, de la respectabilité, commente Vincent Grégoire, directeur de création de l’agence de tendances NellyRodi. C’est resté la couleur du luxe, de la beauté, de la préciosité, les semelles rouges de Louis XIV avant celles de Louboutin.” Ce serait donc aussi le symbole d’une réussite sociale sur fond de capitalisme. Alors que son destin de prostituée est en train de virer au conte de fées, Vivian, l’héroïne de Pretty Woman interprétée par Julia Roberts, revêt une robe carmin pour accompagner à l’opéra son client qui lui offre pour l’occasion une rivière de diamants et de rubis. Aujourd’hui, mieux que la robe de gala – ce n’est pas donné à tout le monde de fouler le tapis rouge, puisqu’il est initialement réservé aux dieux·déesses et à l’élite –, les créateur·rice·s revisitent le “rouge pouvoir” à travers le workwear. De longs manteaux aux épaules carrées chez Valentino et Alberta Ferretti, des costumes aux coupes structurées comme chez Ferragamo et Stella McCartney, et du satin à épaulettes eighties comme vu chez Balmain et David Koma, le “power red” s’impose dans des lignes franches et des volumes augmentés. Bitch, you better have a red suit.

Valentino FW23, Ferragamo FW23, David Koma FW23, Stella McCartney FW23, Courrèges FW23
Provocation et transgression

 

Besoin de se faire remarquer ? Le meilleur esclandre fashion reste le rouge piment. Timothée Chalamet à la Mostra de Venise en dos-nu lamé signé Haider Ackermann ou, plus récemment, Pedro Pascal au MET gala en short et manteau Valentino (tenue a priori prohibée sur le tapis rouge), les lanceur·euse·s d’alerte fashion le font en rouge. On pense aussi à Doja Cat au défilé Schiaparelli intégralement couverte de cristaux par Pat McGrath, un statement que continue d’incarner la chanteuse avec son titre « Paint The Town Red ». “Ce n’est pas innocent de choisir cette teinte, confirme Vincent Grégoire. Ça veut dire être comme un porte-drapeau, se rendre visible en posture de conquérant, il y a une dimension très agressive comme le rouge communiste.” Et puisqu’il a été pendant un temps interdit de porter cette couleur, notamment à la Renaissance où elle était “considérée comme ostentatoire et apparentée au maléfique, au diabolique, aux flammes de l’enfer”, écrit Michel Pastoureau, elle a conservé sa dimension diabolique. En 2021, Lil Nas X sortait en même temps que son single MONTERO, les Satan shoes, une paire de Air Max 97 modifiée et contenant un liquide sang dans les bulles d’air. Un projet provoc’, puisque la société Nike n’y ayant pas collaboré a porté plainte et tenté de faire interdire leur commercialisation. Elles sont depuis devenues collectors. Dans les collections Automne-Hiver 2023-2024, on retrouve le diable non pas chez Prada mais sur les corsets à cornes de Luis de Javier, chez Loewe et sa créature sans yeux ou encore sur les silhouettes aspergées de sang inspirées d’American Psycho chez Louis Gabriel Nouchi. Le diable, le vrai, lui, portait un collant rouge, un peu comme ceux vus cette saison chez Dolce & Gabbana et Coperni. Prêt·e·s à filer votre 666 ?

Mélange des genres

 

Avant d’être en blanc, la mariée était en rouge (poke la Reine Margot et sa robe cramoisie iconique), une vieille tradition revisitée par Ester Manas dans sa collection Automne-Hiver 2023-2024 dédiée au mariage. Plus que l’amour éternel (ou presque), il symbolise aussi la passion et de la sexualité. La rumeur veut qu’en 1858, la reine Victoria d’Angleterre ait porté un jupon écarlate pour réveiller la susceptibilité conjugale endormie de son mari le prince Albert. “Dans notre société, le rouge est connoté et reste rattaché à la séduction, à la sexualité, notamment avec la lingerie, atteste Dinah Sultan, styliste et prévisionniste de tendance chez Peclers Paris. C’est aussi une des rares couleurs qui n’est pas rattachée à un mouvement de genre”, poursuit-elle. Chez Valentino, il reste néanmoins la marque de la femme aimée, admirée. Né d’un coup de foudre, il traverse le temps et perpétue la tradition du “rouge piédestal” : “Je crois qu’une femme habillée de rouge est toujours magnifique, elle est au milieu de la foule l’image parfaite de l’héroïne.” En 2023, ça vaut aussi pour les hommes, comme en témoignent les collections Automne-Hiver 2023-2024 d’Alexander McQueen, Bottega Veneta ou encore Valentino. Go, passez l’hiver dans le rouge.

Valentino Rosso (éd. Assouline, 2022).

Cet article est originellement paru dans notre numéro fall-winter 2023 AUDACITY (sorti le 26 septembre 2023).