À l’instar de ses acolytes, Jamie XX et Romy Madley Croft, le bassiste et chanteur de The XX s’offre à son tour une escapade solo. Hideous Bastard est un album libérateur où le musicien affronte ses démons et évoque de manière frontale sa séropositivité. Rencontre avec un artiste discret mais bien décidé à ne plus laisser la peur dicter sa vie.

Après 13 ans à se planquer derrière un logo, une esthétique minimaliste et une pluie de hits, Oliver Sim est le dernier des membres de The XX à tenter l’aventure en solitaire. Et Hideous Bastard, son premier album solo est un coup de maitre. Un disque beau et bizarre, d’un courage et d’une délicatesse inouïe. C’est aussi un disque d’une honnêteté brutale où le chanteur explore ses amours niquées, son goût pour le monstrueux et révèle au détour d’un titre être séropositif depuis l’âge de 17 ans. Mais hors de question pour le musicien de jouer les martyrs.

Je vais commencer cet entretien par des excuses. A la sortie du premier album de The XX, je t’avais bombardé de questions sur ton orientation sexuelle. Tu les esquivais toutes. Je me disais « Mince. Ce mec est talentueux, beau, jeune et gay. Il pourrait être un superhéros pour la jeunesse queer ». Ce que je ne savais pas, c’est qu’il y avait un secret derrière le secret…
Tu avais été très respectueux, je te rassure. Je me souviens d’une discussion avec Anohni. Elle me taquinait pour savoir si j’étais assez à l’aise avec ma sexualité pour être plus visible. Mais à l’époque, je n’étais pas prêt à dire publiquement : « Je suis gay ». Ça m’a pris du temps. C’est un cliché de dire les choses ainsi mais cet album a été une forme de thérapie. Je n’ai pas fait un disque sur la honte pour me sentir comme une merde. C’est mieux que ces choses existent en chansons plutôt que de les ressasser dans ma tête. La honte, c’est se cacher. Ce disque, c’est l’opposé de tout ça.

Des tas de gens ont écrit que Hideous est une chanson sur le VIH mais c’est plutôt un morceau sur l’acceptation de soi, non ?
Totalement ! Pour moi, cette chanson est très joyeuse. Mes morceaux préférés ne sont jamais totalement sombres ou lumineux. J’aime mes chansons gaies avec une touche de mélancolie et que mes chansons tristes portent en elles un peu de joie. C’est ça la vie. Danser sur une chanson jusqu’à la fièvre, la chanter dans le taxi en rentrant et pleurer dessus en y repensant à la maison. (rires)

Il y a beaucoup de chansons qui évoquent le VIH mais quasi aucune ne prononce ces trois lettres : VIH. Toi, tu as choisi l’option frontale (« Je vis avec le VIH depuis mes 17 ans. Suis-je hideux ? »)
Crois-moi, j’ai cherché des milliers de façons poétiques de dire les choses mais, je devais dire les mots. Ça faisait partie du processus. Avec The XX, Romy et moi avons toujours pris soin de garder les choses aussi universelles que possible : ne jamais utiliser de pronom genré, ne jamais faire référence à une époque, un endroit précis ou à un élément de pop culture qui pourrait dater une chanson. Je tiens beaucoup à cela mais il y a aussi une forme de lâcheté là-dedans. La vérité, c’est que je n’étais pas prêt à partager certaines infos avec le public alors ce petit jeu m’allait très bien. Mais je pense aussi que l’auditeur a assez d’imagination pour aller au-delà des paroles pour se connecter à la chanson. Tu n’as pas besoin d’être séropo pour aimer un titre comme Hideous !

Tu as eu peur avant la sortie du single ?
Enormément. Ma décision de révéler mon statut sérologique a été très impulsive. C’est gentil de la part de gens de dire que j’ai fait cela dans une démarche d’honnêteté. Dans ma vie privée, on m’a rarement décrit comme quelqu’un d’honnête (rires). Pour moi, c’est plus facile d’être honnête dans l’écriture que dans une conversation. Le songwriting, c’est une conversation avec soi-même. Pas besoin d’être dans la pièce lorsque les gens écoutent mes chansons. Il n’y a rien de confrontationnel. Tant mieux car c’est ce que je redoute le plus dans la vie. La deuxième personne à qui j’ai fait écouter cette chanson est ma mère. Elle connait bien mon rapport au VIH. Ado, quand j’ai appris que j’étais séropo, ma façon de faire face à la maladie a été le contrôle.

Je savais exactement qui savait, s’ils l’avaient répété à quelqu’un d’autre. Ma mère sait cela et elle sait aussi que je peux parfois être très impulsif. Elle m’a suggéré d’y aller par petits pas. Il y avait encore des gens dans ma vie qui n’était pas au courant. Mon cercle restreint le savait. Ma mère est folle à lier mais elle est aussi très sage (rires). En vérité, je ne contrôlais rien du tout. Le secret me contrôlait. Alors j’ai eu ces discussions avec mes proches. Parfois, c’était très désagréable. Mais conversation après conversation, les choses semblaient un peu moins difficiles. Quand la chanson est sortie, ce n’était plus un secret sous contrôle. Je n’avais plus d’autorité dessus.

Je ne suis pas à l’aise avec le mot « honneteté ». Pour moi, ton statut sérologique est un truc ultra privé. C’est ton choix d’en parler mais tu ne dois rien à personne. Et on sait aujourd’hui qu’une personne sous traitement avec une charge virale indétectable ne peut pas transmettre le VIH…
Tu as totalement raison et ça me fait un bien fou que tu le dises. Je ne recommande à personne de balancer un truc aussi personnel à n’importe qui. En parler à des gens en qui ont à une totale confiance, oui. Moi, j’en avais besoin. Et Dieu sait que j’aurais été incapable d’avoir cette conversation avec toi il y a trois ans. Mais au risque de sonner un peu américain, c’est à partir de ce moment que la guérison à pu commencer pour moi. Aujourd’hui, je me sens plus libre. Je ne suis plus paralysé par la peur et la honte, même si ces sentiments sont encore parfois présents en moi.

Jimmy Sommerville chante sur deux titres du disque. C’est tellement cool de le réentendre, lui qui a fait tellement pour la cause gay et la lutte contre le VIH. D’ailleurs, on doit beaucoup à la pop anglaise en matière de visibilité sur le VIH. Holly Johnson de Frankie Goes To Hollywood, Andy Bell d’Erasure ont tous révélé être séropositifs…
Et John Grant, Billy Porter, Jonathan Van Ness, Mykki Blanco… comme tu l’as dit, ce n’est pas une responsabilité mais c’est génial qu’ils et elles le fassent. Tu sais, j’avais mis Jimmy Sommerville sur un tel piédestal. Il a été si courageux, sa parole a été si forte dans les années 80-90. Il se pointait dans l’émission du matin à la télé anglaise et il martelait les mots « VIH » et « Sida » pour secouer les consciences au moment où les familles britanniques prenaient leur petit déjeuner. Je me disais : ce mec n’a peur de rien. Mais quand je l’ai rencontré, j’ai découvert un homme empli de craintes. Pour moi, ça rend tout ce qu’il a fait encore plus puissant ! Ça n’a pas été facile pour lui mais il l’a fait. Ce n’est pas qu’un ange-gardien, comme on le représente dans le clip de Yann Gonzalez, c’est un être humain à qui on peut s’identifier.

Pour cet album solo tu travailles à nouveau avec Jamie. Tu n’as pas eu envie d’échapper un peu autre membres de The XX ?
Mais j’ai besoin d’être avec eux ! Ce sont mes amis les plus chers. J’ai essayé de travailler avec d’autres producteurs. Je me disais: il faut vraiment que je sorte de ce trouple ! (rires) Car c’est ce que nous sommes ! Jamie a collaboré avec des tas d’autres personnes et il est toujours revenu avec des idées merveilleuses. Je me suis dit, moi aussi il faut que je me fasse de nouveaux potes au moins pour apporter quelque chose de neuf à notre relation. Un groupe, c’est une démocratie. Mais là, nous avons travaillé différemment.

Cette fois, Jamie s’est mis à ton service ?
Exactement. Il est rentré dans mon monde. Par exemple, Jamie déteste les films d’horreur. Ça lui fout les jetons. Mais il accepté de s’asseoir avec moi et de regarder des films qui m’ont inspirés.

D’où te vient ce goût pour les films d’horreurs et de serial-killers ?
Je trouve ça captivant. Je pense que Patrick Bateman, le tueur d’American Psycho, est un personnage super intéressant, tout comme Buffalo Bill (la tueuse en serie du Silence des Agneaux, ndr) fascinante. Problématique mais fascinante. Pareil pour Norman Bates de Psychose. Pour moi, ce sont tous des personnages queers : ils sont rejetés pour ce qu’ils sont. Ça me parlait énormément quand j’étais gosse. en tout cas beaucoup plus que ces idiotes de princesses Disney. (rires)

Sur scène tu reprends Nancy Boy de Placebo. C’était un groupe important pour toi ?
C’était mon premier crush musical. Je devais avoir 14 ans. Avant tous mes héros étaient des femmes au cinema : des femmes fortes et en colère comme Sigourney Weaver ou Jamie Lee Curtis. Pour moi, Brian Molko a été la première personne identifiée comme homme mais qui assumait cette féminité. C’était un putain d’alien ! Il est d’une telle beauté et il faisait une musique rageuse et intelligente. Des qualités importantes pour moi.

GMT est une magnifique chanson sur une relation à distance. C’est ça la vie d’une popstar ? Etre condamné à envoyer des messages à un amoureux qui vit sur un autre fuseau horaire ?
Cette chanson parle d’un ex petit ami… « Ex » étant le mot-clé dans cette phrase. (rires). C’est vrai qu’être dans un groupe complique une vie amoureuse. Mais bon, désormais je suis trentenaire. Les tournées de deux ans, c’est terminé. On va continuer à faire des concerts mais je ne veux plus faire trois fois le tour de la planète pour défendre un disque. Ça te sort de la réalité. Et puis je ne suis pas un super pote quand je suis en tournée. Je ne suis pas très présent. Mais tourner, c’est fun aussi ! Chaque jour est une fête.

Madonna disait que c’est difficile d’entendre chaque soir des milliers de gens crier ton nom mais de s’endormir seul à l’hôtel dans un grand lit… ça te fait pareil ?
Quoi ? M’endormir seul ? Comme c’est présomptueux de ta part de penser ça ! (Rires)

Hideous Bastard d’Oliver Sim, sortie le 9 septembre chez Beggars.