Tu as eu peur avant la sortie du single ?
Enormément. Ma décision de révéler mon statut sérologique a été très impulsive. C’est gentil de la part de gens de dire que j’ai fait cela dans une démarche d’honnêteté. Dans ma vie privée, on m’a rarement décrit comme quelqu’un d’honnête (rires). Pour moi, c’est plus facile d’être honnête dans l’écriture que dans une conversation. Le songwriting, c’est une conversation avec soi-même. Pas besoin d’être dans la pièce lorsque les gens écoutent mes chansons. Il n’y a rien de confrontationnel. Tant mieux car c’est ce que je redoute le plus dans la vie. La deuxième personne à qui j’ai fait écouter cette chanson est ma mère. Elle connait bien mon rapport au VIH. Ado, quand j’ai appris que j’étais séropo, ma façon de faire face à la maladie a été le contrôle.
Je savais exactement qui savait, s’ils l’avaient répété à quelqu’un d’autre. Ma mère sait cela et elle sait aussi que je peux parfois être très impulsif. Elle m’a suggéré d’y aller par petits pas. Il y avait encore des gens dans ma vie qui n’était pas au courant. Mon cercle restreint le savait. Ma mère est folle à lier mais elle est aussi très sage (rires). En vérité, je ne contrôlais rien du tout. Le secret me contrôlait. Alors j’ai eu ces discussions avec mes proches. Parfois, c’était très désagréable. Mais conversation après conversation, les choses semblaient un peu moins difficiles. Quand la chanson est sortie, ce n’était plus un secret sous contrôle. Je n’avais plus d’autorité dessus.
Je ne suis pas à l’aise avec le mot « honneteté ». Pour moi, ton statut sérologique est un truc ultra privé. C’est ton choix d’en parler mais tu ne dois rien à personne. Et on sait aujourd’hui qu’une personne sous traitement avec une charge virale indétectable ne peut pas transmettre le VIH…
Tu as totalement raison et ça me fait un bien fou que tu le dises. Je ne recommande à personne de balancer un truc aussi personnel à n’importe qui. En parler à des gens en qui ont à une totale confiance, oui. Moi, j’en avais besoin. Et Dieu sait que j’aurais été incapable d’avoir cette conversation avec toi il y a trois ans. Mais au risque de sonner un peu américain, c’est à partir de ce moment que la guérison à pu commencer pour moi. Aujourd’hui, je me sens plus libre. Je ne suis plus paralysé par la peur et la honte, même si ces sentiments sont encore parfois présents en moi.
Jimmy Sommerville chante sur deux titres du disque. C’est tellement cool de le réentendre, lui qui a fait tellement pour la cause gay et la lutte contre le VIH. D’ailleurs, on doit beaucoup à la pop anglaise en matière de visibilité sur le VIH. Holly Johnson de Frankie Goes To Hollywood, Andy Bell d’Erasure ont tous révélé être séropositifs…
Et John Grant, Billy Porter, Jonathan Van Ness, Mykki Blanco… comme tu l’as dit, ce n’est pas une responsabilité mais c’est génial qu’ils et elles le fassent. Tu sais, j’avais mis Jimmy Sommerville sur un tel piédestal. Il a été si courageux, sa parole a été si forte dans les années 80-90. Il se pointait dans l’émission du matin à la télé anglaise et il martelait les mots « VIH » et « Sida » pour secouer les consciences au moment où les familles britanniques prenaient leur petit déjeuner. Je me disais : ce mec n’a peur de rien. Mais quand je l’ai rencontré, j’ai découvert un homme empli de craintes. Pour moi, ça rend tout ce qu’il a fait encore plus puissant ! Ça n’a pas été facile pour lui mais il l’a fait. Ce n’est pas qu’un ange-gardien, comme on le représente dans le clip de Yann Gonzalez, c’est un être humain à qui on peut s’identifier.