M. Comment faites-vous pour faire en sorte que vos sujets se sentent le centre du monde le temps d’une prise de vue ?
P. R. J’ai deux ou trois assistants photo en fonction du projet, plus les stylistes, les maquilleurs, les coiffeurs, et leurs assistants. Donc on est nombreux en plateau, mais je regarde toujours mon sujet dans les yeux plutôt qu’à travers le viseur de l’appareil. C’est beaucoup de concentration, d’attention, de volonté de comprendre. Je dis toujours que je ne prends pas une photo, je la donne. Il ne s’agit pas d’encadrer quelque chose de la réalité extérieure à travers la caméra mais plutôt de réveiller quelque chose à l’intérieur de soi-même et le mettre en lumière. Je pense que ce qui fait le style d’un artiste, c’est son âme, pas l’usage d’une technique particulière. Ma patte, c’est la simplicité. C’est dur de faire simple.
M. Les émotions passent-elles aussi à travers les vêtements selon vous ?
P. R. Bien sûr, les vêtements s’animent par le corps, l’attitude, l’humeur des modèles, mais aussi ma façon de cadrer et surtout de les éclairer. La lumière, c’est central, surtout en photographie de mode. Comme un visage, chaque robe a besoin de la bonne lumière.
M. Pas de maniérisme dans les poses, des coiffures et maquillages légers… L’intemporalité de vos photos procède-t-elle aussi de cela ?
P. R. Je ne cherche jamais des choses trop extravagantes en tout cas. Je travaille avec des équipes que je connais bien depuis longtemps, des coiffeurs et maquilleurs en qui j’ai tellement confiance que je n’ai pas besoin de les diriger. Ce sont aussi des artistes. Je les laisse faire. Je ne suis pas là pour être directif, c’est une collaboration artistique. Le travail d’équipe décuple la créativité. Je pense qu’on ne fait jamais de photo à partir de rien, mais à partir d’autres photos, d’autres images, d’autres imaginaires. C’est aussi comme ça que se font les passages de relais. Moi-même, j’ai été inspiré par d’autres avant moi, comme August Sander, Nadar, Diane Arbus, Helmut Newton, Guy Bourdin, Erwin Blumenfeld, Richard Avedon, Irving Penn, Man Ray et peut-être que j’en inspire d’autres. Comme disait Umberto Eco dans Le Nom de la rose : « Nous sommes des nains, mais des nains juchés sur les épaules de géants, et même si nous sommes petits, parfois nous réussissons à voir plus loin qu’eux. »